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Actualités - REPORTAGES

Le livre dans la Carthage punique : bibliothèque saccagée et œuvres rédigées sur papyrus

Un exposé sur les écrits du Liban depuis 4 000 ans manquerait d’une section essentielle pour la période de l’Antiquité, s’il ne faisait pas une place aux productions dans ce domaine culturel de la Carthage d’Afrique du Nord au cours de la durée de presque deux millénaires de son existence. Pour nous, nous bornerons notre étude à la période qui concerne notre spécialisation, c’est-à-dire celle qui précède notre ère et qui va depuis la fondation de Carthage vers 925 ou 914 et sa destruction par les Romains en 146. Il ne peut pas être question de séparer, comme ce fut le cas dans de nombreux ouvrages, l’histoire carthaginoise de celle de la Phénicie libanaise. En créant cet établissement africain par l’intermédiaire d’une première Carthage installée par elle sur la côte sud de l’île de Chypre, Tyr n’eut jamais d’autre but que d’élargir sa propre existence, de s’épanouir mieux qu’en Orient, où elle était gênée par l’étroitesse de son territoire et par les difficultés soulevées sans cesse par les intrusions assyriennes et araméennes, et de pouvoir tout à son aise développer toutes ses potentialités. Carthage répondit toujours à ce programme et pour bien manifester son attache perpétuelle à sa terre d’origine, elle envoyait chaque année, comme l’attestent l’écrivain latin Quinte-Curce, IV, 2, 10, et l’historien grec Diodore de Sicile, XX, 14 (cf. St. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. I, Paris 1913, pp. 395-396, et t. IV, 1920, p. 302), une ambassade à Tyr pour célébrer un sacrifice dans le temple d’Héraclès-Melqart et offrir à ce dieu la dîme de ses revenus. Elle semble aussi avoir également pris l’habitude, comme en témoigne d’après Polybe, III, 24, 3 un traité conclu avec Rome au IVe siècle (St. Gsell, ibid, t. I, pp. 396-397 et t. IV, p. 164) de ne pas signer d’alliance sans mettre le nom de Tyr à côté du sien. Bien loin d’être une histoire à part, les annales carthaginoises doivent être considérées comme l’apogée de la civilisation phénicienne. C’est donc bien à cette dernière qu’appartient toute la production littéraire de la Carthage punique. Nous laisserons de côté la récolte déjà considérable des inscriptions puniques gravées ou peintes, pour nous occuper seulement des ouvrages écrits par les Carthaginois au cour du premier millénaire avant notre ère et dont la somme constitue la fameuse Bibliothèque de Carthage. Nous chercherons d’abord à savoir ce qu’était cette Bibliothèque de Carthage et le sort qui lui fut réservé lors de la destruction de fond en comble de la ville. Nous montrerons ensuite qu’un des trésors qu’elle contenait forma une partie de l’enjeu de la dernière guerre punique et nous verrons ce qu’il nous reste pour le moment de cette Bibliothèque. Nous ne connaissons l’existence et le sort de la Bibliothèque de Carthage que par un passage de Pline l’Ancien (XVIII, 22) qui déclare que le Sénat romain intervint pour faire donner aux princes africains tous ces ouvrages épargnés par la destruction de l’année 146. Il semble qu’ils n’aient pas été, comme la célèbre Bibliothèque créée par Alexandre à Alexandrie, groupés en un seul bâtiment, puisqu’il est question de bibliothèques au pluriel. Il est probable que ces collections avaient été constituées peu à peu tout au long de l’histoire de la «Nouvelle Tyr». Ce devait être un rassemblement dans le genre de celui que les fouilles ont mis au jour à Ras-Shamra/Ougarit au début de ce siècle, ou comme celui qui avait été organisé par le roi d’Assyrie, Assourbanipal, au VIIe siècle, connu par les sources littéraires. Il devait donc être composé d’éléments archaïques sous forme de tablettes et d’œuvres plus jeunes rédigées sur papyrus. Si donc un jour d’heureuses fouilles mettaient à la lumière les vestiges de cette Bibliothèque, il y a bien des chances pour que seule sa partie archaïque, la plus intéressante pour nous, soit la mieux conservée, et peut-être la seule conservée. Après la prise de Carthage en 146, toute la collection excepté les ouvrages de Magon relatifs à l’agriculture fut remise à Massinissa par les Romains, en retour des services que le roi des Massyles-Masaessyles leur avait rendus au cours des deux dernières guerres contre Carthage. Par la suite, nous ne retrouvons plus de traces de cette Bibliothèque que dans le Bellum Jugurthinum de l’historien latin Salluste au premier siècle avant notre ère ; l’auteur raconte qu’il eut l’occasion pendant la durée de son séjour en Afrique comme gouverneur de la province romaine de l’Africa vetus de consulter les livres puniques à la cour du roi numide Hiempsal et il en cite un certain nombre d’extraits. Mais il ne nous renseigne pas lui non plus sur l’importance de l’ancienne bibliothèque de Carthage ni sur son contenu d’ensemble. Il reste cependant quelque chance de mettre un jour la main sur ce trésor inestimable, ou au moins sur une partie de ce trésor à l’occasion des fouilles des palais des rois de Numidie, quelque part en Algérie, soit à Constantine (Cirta), dont le sol est loin d’avoir été vraiment exploré, soit à Cherchell, l’antique Caesarea, où les Français ont déjà effectué une exploration archéologique, soit à Siga où une équipe allemande travaille depuis quelques années (sur la Bibliothèque de Carthage, consulter St. Gsell, op. iam supra laud., IV, Paris 1920, pp. 212-215). À part les extraits de Salluste contenus dans son traité sur la vie et la guerre de Jugurtha et qui renferment des renseignements très intéressants pour nous, en particulier sur le peuplement de l’Afrique du Nord à l’époque de la Carthage punique, nous ne connaissons comme ayant appartenu à la Bibliothèque de la métropole africaine que des traités d’agronomie. Deux noms d’auteurs sont parvenus jusqu’à nous, celui d’Amilcar, dont nous ne savons rien en dehors de cela, et celui du très célèbre Magon. Les ouvrages de ce dernier dépassaient alors tous ce qui avait été écrit sur l’agriculture même par les Grecs. Ce Carthaginois était devenu le grand théoricien des connaissances de la culture sèche méditerranéenne importée d’Orient et en particulier d’Asie mineure à l’âge du Bronze par les Libyens agriculteurs et que ceux-ci n’avaient cessé de développer à l’intérieur de l’Afrique du Nord grâce au concours de capitaux mis à leur disposition par Carthage. L’agriculture africaine à l’époque des guerres puniques était arrivée ainsi à un tel degré de prospérité que les Romains en étaient restés ébahis lorsqu’ils avaient parcouru les campagnes de Carthage à l’occasion des hostilités. Ce fut en grande partie pour rénover l’agriculture italiote qui périclitait que Rome entreprit la dernière guerre punique qui avait pour but la destruction totale de sa rivale africaine. Caton, pour mieux convaincre ses compatriotes de la nécessité de détruire Carthage, accompagnait ses discours sur le Delenta est Carthago de la présentation d’une de ces figures particulièrement appétissantes importées du territoire de Carthage. Jacques Heurgon dans un article récent a bien montré qu’un des objectifs principaux de Rome dans sa troisième guerre contre Carthage avait été de s’emparer des 28 livres de Magon renfermés dans la Bibliothèque de Carthage. Le savant étruscologue, s’appuyant sur un passage de Pline l’Ancien auquel nous avons déjà fait allusion plut haut montre clairement que l’Urbs ne s’était pas préparée à cette campagne finale et décisive qu’en fournissant ses armes, mais qu’elle avait constitué toute une équipe de spécialistes en langue punique pour que les livres de Magon soient saisis dans la Bibliothèque dès la capitulation de Carthage et immédiatement traduits en latin pour pouvoir être le plus rapidement possible utilisés pour la rénovation de l’agriculture de toute l’Italie (sur cette question, cf. aussi St. Gsell, H.A.A.N, IV, Paris 1920, pp. 3-8). La Carthage qui ne tarda pas à s’élever sur les cendres de l’ancienne et dont le visage seulement était romanisé, comme le montre Tertullien au début du «De Pallio», reprit de suite sa passion pour le livre. Qu’il suffise d’évoquer à ce sujet l’immortel Apulée avec son «Âne d’Or». Il ne faut pas oublier surtout que c’est à Carthage que naquit la littérature chrétienne latine dont les plus célèbres représentants restent Tertullien, Cyprien et Augustin. Il suffit de se reporter aux volumes écrits sur la question par un auteur récent, Paul Monceaux, pour se rendre compte de la richesse de cette nouvelle production de l’intarissable source libanaise. Jean FERRON Dans «Le livre et le Liban»
Un exposé sur les écrits du Liban depuis 4 000 ans manquerait d’une section essentielle pour la période de l’Antiquité, s’il ne faisait pas une place aux productions dans ce domaine culturel de la Carthage d’Afrique du Nord au cours de la durée de presque deux millénaires de son existence. Pour nous, nous bornerons notre étude à la période qui concerne notre...