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Actualités - ANALYSE

Les barricades de l’État Par Samir FRANGIÉ

Pourquoi l’État et les services qui en dépendent insistent-ils pour faire la preuve que le pays est en état permanent de guerre civile ? Est-ce pour démontrer, en réponse à l’appel lancé par les prélats maronites en septembre dernier, que le Liban a toujours besoin de la présence militaire syrienne pour empêcher ses fils de s’entre-tuer ? Nous vivons ces derniers temps une situation paradoxale qui ne peut manquer de surprendre : les Libanais tentent de tourner la page de la guerre alors que leur État s’acharne à la maintenir ouverte, et les efforts qu’il déploie en ce sens sont considérables. Qui donc a pris l’initiative au Akkar de pousser les ulémas à insulter le patriarche Sfeir et d’appeler les présidents de toutes les municipalités de la région à faire paraître un communiqué appelant au maintien des forces syriennes au Liban ? Peut-on, un instant, penser qu’il s’agit-là d’initiatives «spontanées» ? Et la manifestation de Tripoli au cours de laquelle des slogans insultants à l’égard du patriarche maronite ont été lancés en présence de ministres et de députés était-elle également «spontanée» ? Pourquoi l’affaire des détenus libanais en Syrie a-t-elle poussé le Premier ministre à rappeler la question des personnes enlevées au cours de la guerre ? Est-ce là le meilleur moyen de calmer les esprits ? La déstabilisation de la société est généralement le fait de groupes extrémistes et marginaux. au Liban, elle est le fait du Pouvoir. Ce dernier semble farouchement hostile au consensus de fait qui s’est établi entre les Libanais. Ceux-ci sont aujourd’hui plus unis qu’à aucun autre moment de leur histoire. Leurs positions sur les grandes questions qui les avaient jusque-là divisées sont quasi identiques, même si elles différent dans leur expression. Plus personne aujourd’hui ne prône la partition du pays ou ne remet en question la nécessité d’une convivialité entre les communautés libanaises. Plus personne également ne réclame une alliance avec Israël ou une union avec la Syrie. Tous sont unanimes à dénoncer le danger israélien et à accepter le principe de relations privilégiées avec la Syrie qui se feraient dans le cadre du respect le plus strict de la souveraineté nationale. Cette entente entre les Libanais s’est fait à l’insu de leurs dirigeants. Ces derniers réagissent avec nervosité comme si leur existence était menacée. Il leur faut, pour conjurer le danger, relever à tout prix les barricades du passé. Et comme les forces politiques semblent peu disposées à jouer le jeu, il faut aller chercher dans la périphérie pour trouver qui convaincre de relancer la tension. C’est ainsi que les présidents des municipalités du Akkar se sont retrouvés, à leur corps défendant, apposant leurs signatures au bas d’un document qu’ils n’ont pas eu le loisir de lire et de discuter. Force est de constater que le pouvoir est aujourd’hui en guerre avec sa société. Depuis que la question de la présence syrienne au Liban a été posée, il multiplie les menaces et les tentatives d’intimidation, refusant tout dialogue avec ses citoyens. Mais sa position est devenue difficile, voire intenable, après la décision du pouvoir syrien d’instaurer le dialogue avec des représentants de la société libanaise. La situation à laquelle on assiste aujourd’hui est étonnante : les Libanais discutent de leur avenir avec un pouvoir politique établi dans un pays voisin alors que l’État qui les représente refuse tout dialogue avec eux et considère qu’il n’est du droit de personne de soulever la question de la présence syrienne au Liban, et cela alors que les principaux intéressés, à savoir les Syriens, semblent disposés à traiter de la question. Poussons les choses encore plus loin : pendant que Libanais et Syriens s’efforcent à Damas de trouver un terrain d’entente qui permettrait de tourner la page et d’instaurer des relations plus équilibrées, le pouvoir libanais déploie tous ses efforts pour rouvrir les plaies de la guerre et dresser une nouvelle fois les Libanais les uns contre les autres. Que faire pour calmer les ardeurs de nos dirigeants ? Faut-il inscrire cette question à l’ordre du jour des réunions de Damas et considérer qu’elle relève de la responsabilité des Syriens ou bien est-il possible de convaincre le Pouvoir de changer d’attitude et de se mettre à l’écoute du pays ? La réponse n’est pas évidente. Mais il ne fait de doute à personne que la crédibilité des Syriens serait vite remise en cause si le gouvernement libanais, que Damas a contribué à mettre sur pied, continuait de se maintenir sur ses positions actuelles. Le dialogue libano-syrien, qui est encore à l’état d’ébauche, en serait profondément affecté.
Pourquoi l’État et les services qui en dépendent insistent-ils pour faire la preuve que le pays est en état permanent de guerre civile ? Est-ce pour démontrer, en réponse à l’appel lancé par les prélats maronites en septembre dernier, que le Liban a toujours besoin de la présence militaire syrienne pour empêcher ses fils de s’entre-tuer ? Nous vivons ces derniers temps...