Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Des images pour l’oubli

 Seule avec la guerre, c’est le titre que la jeune cinéaste Danièle Arbid a choisi pour son documentaire, diffusé récemment sur Arte. On y comprend que l’auteur a quitté le Liban très jeune, peu après la mort tragique de Bachir Gemayel. C’etait l’époque où les enfants, vêtus de blanc, défilaient dans les rues de Beyrouth «Est» en scandant des promesses de vengeance à leur héros défunt. «Nous jouions aux petits soldats», commentait-elle sobrement. Dix-sept ans plus tard, retour éclair pour ce reportage à l’objectif ubuesque : revenir sur les lieux des combats et vérifier s’il n’y a pas eu quelque part un monument collectif érigé à la mémoire des victimes de la guerre, et «si la violence existe encore entre les gens». Sur le biceps, il avait bien des tatouages en bleu, mais ni d’un cœur ni de maman-je-t’aime. Il y avait saint Élie (celui au poignard), un scorpion, l’aigle de la Wehrmacht et un visage de Christ (celui de Zeffirelli). Il dit : «Le mal, ça vient du sang. La première fois mon chef m’a dit : choisis une cible et tire. J’avais peur, mais j’ai tiré. J’ai tiré sur un homme qui traversait la rue. Je l’ai vu frétiller. Puis ça s’est arrêté. J’ai pleuré mon âme et puis j’en ai redemandé jusqu’à plus soif. Aujourd’hui encore j’ai besoin du bruit de la mitraille. Ça me met en ébullition. Pas touché à la drogue. C’était pour les chefs. Moi, j’ai découvert le Benzhexol. Ouah, le Benzhexol ! Avec ça j’étais un dieu». Et maintenant ? «Maintenant, elle est en moi, la guerre, comment la sortir ? Donnez-moi un boulot, une bagnole, dites-moi : prends ça, et donne nous la guerre enfouie en toi, et je vous la donnnerai pour toujours, ma saleté de guerre...». Combien sont-ils, les comme lui de tous bords ? Dans tous les pays en guerre du monde, combien sont-ils et comment les réinsérer, «prendre la guerre qui est en eux» ? On se demande si, pire que les mines dont on a perdu la trace, ces misérables fétus déshumanisés ne sont pas, tant qu’ils sont, les germes de toutes les guerres à venir. La violence n’existe peut-être plus «entre» les gens, mais «en» certains, que oui. Quant au monument collectif... Quelle idée ! Une idée sûrement pas d’ici. Ici, chacun a fait une guerre qui n’était pas forcément celle des autres. Chacun est mort tout seul, enterré à la hâte, ce qui ferait des fosses publiques le seul lieu fédérateur de tout le pays. Chaque mort de la guerre n’aura été pleuré que par les siens. Quel monument ? Des portraits gominés en noir et blanc de premières communions pas si lointaines, des portraits comme on en fait pour la survie des mères, et que l’on place religieusement sur un napperon de dentelle – qui fait encore ces napperons de dentelle au sinistre usage ? – sur le poste de télévision. Table rase. C’est le mot de la semaine. Le dernier mot du lexique de la guerre. Il résonnera longtemps avec ses accents de honte et de rage. Ainsi notre Hiroshima aura été verbal. Un dernier mot, puis le silence et l’oubli ? Accepter la disparition des disparus, leur mort sans sépulture, leur deuil sans funérailles. Déjà les crevasses des obus sont ensevelies sous les petits pans de murs jaunes. Et la mémoire nous fuit sur des pattes de colombe. Fifi ABOU DIB
 Seule avec la guerre, c’est le titre que la jeune cinéaste Danièle Arbid a choisi pour son documentaire, diffusé récemment sur Arte. On y comprend que l’auteur a quitté le Liban très jeune, peu après la mort tragique de Bachir Gemayel. C’etait l’époque où les enfants, vêtus de blanc, défilaient dans les rues de Beyrouth «Est» en scandant des promesses de...