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Actualités - REPORTAGES

I-Des scolarités impayées en augmentation constante

Encore une fois, la crise économique fait des ravages, et cette fois, c’est le secteur de l’éducation qui en fait les frais. L’avenir de l’enseignement privé ne tient plus qu’à un fil, d’autant plus que les écolages impayés se chiffrent par milliards de livres libanaises. Un nombre croissant de parents d’élèves vivent des conditions dramatiques et ne paient plus les scolarités de leurs enfants, alors que les établissements tentent par tous les moyens de trouver une solution à ce problème tout en maintenant leurs standards d’enseignement. En octobre 1999, le montant des scolarités impayées s’élevait déjà à 41 milliards 900 millions de livres dans les seules écoles catholiques, selon Mgr Camille Zeidan, alors que les chiffres attendus pour début novembre devraient dépasser ce chiffre, et de loin… Au collège des frères de Mont La Salle, qui accueille près de 2 600 élèves, la situation enpire, selon le frère Habib Zraïby. Pour une scolarité moyenne de 2 millions 200 000 livres, les impayés ont atteint la somme de 500 millions de livres. Et dans l’ensemble des écoles des Frères, les scolarités impayées se sont élevées à un milliard 500 millions de livres l’année passée, alors qu’elles atteignent aujourd’hui la somme de 2 milliards de livres, explique-t-il. Tenter de récupérer les écolages restants n’est pas chose facile, aux dires du directeur, car nombreuses sont les familles touchées dramatiquement par la crise économique. Des pères de famille se retrouvent au chômage, d’autres perçoivent la moitié de leur salaire, alors que les faillites ne se comptent plus, principalement au niveau de la classe moyenne. Chaque cas est étudié séparément, car le directeur est conscient que certains parents sont dans l’incapacité de payer leur dû, alors que d’autres n’en régleront qu’une petite partie, échelonnée sur plusieurs mois. «Nous devons nous résoudre à effectuer d’importantes réductions pour récupérer au moins une partie des écolages, explique frère Zraïby, mais nous ne mettrons en aucun cas un enfant à la porte parce que ses parents n’ont pas les moyens de payer la scolarité. Nous tentons de l’aider dans la mesure de nos possibilités et des fonds de bourses disponibles. Quant aux profiteurs qui roulent en voiture dernier cri et s’abstiennent de régler l’écolage de leurs enfants, ils sont repérés et priés de régler leurs dettes». Cependant, l’heure est à l’économie, et pour éviter d’imposer aux parents une nouvelle hausse des scolarités, le directeur a décidé de limiter les dépenses et de réduire les investissements du collège au strict minimum : l’entretien des bâtiments n’a pas été effectué cette année et les pupitres ont été réparés à défaut d’être changés. La priorité a été donnée à l’achat d’équipements de technologie, de laboratoire et d’audiovisuel, ainsi qu’aux sessions de formation des enseignants. Nous avions beaucoup de projet, regrette frère Zraïby, mais nous devons parer au plus urgent. Quant aux salaires, nous n’y touchons pas, c’est vital, mais nous avons gelé l’application de la loi imposant les augmentations de salaires… Seuls quelques enseignants contractuels ont été licenciés pour des raisons pédagogiques et non financières, ajoute le directeur. Au collège Notre-Dame de Jamhour, les écolages impayés pour la seule année 1999-2000 s’élèvent à 600 millions de livres, sans compter le montant d’un demi-milliard de livres accumulées au fil des années précédentes. Des scolarités dont la moyenne est de 2 millions 900 000 livres à Jamhour pour le tarif A, le moins cher, et de moins de 2 millions de livres à Saint-Grégoire. Et pour récupérer ces scolarités impayées et ne pas être contrainte à contracter des emprunts pour payer les salaires des enseignants durant les grandes vacances, la direction a rappelé leurs devoirs aux parents, avant la fin de l’année scolaire, et accepté l’échelonnement des paiements sur plusieurs mois. Et si le collège Notre-Dame de Jamhour tente par tous les moyens de garder ses élèves, refusant de laisser partir vers d’autres écoles ceux qui ne peuvent plus payer l’écolage, deux ou trois familles subissant des revers financiers ont retiré de leur propre chef leurs enfants de l’établissement. «Un système d’entraide a été mis en place depuis déjà plusieurs années, mais certains parents d’élèves ont honte d’accepter une bourse scolaire», déplore le père Daccache. Et pourtant, la crise économique a atteint tous les secteurs, et plus spécifiquement les professions libérales. Les faillites ne se comptent plus alors qu’il est de plus en plus courant de voir des commerçants, des entrepreneurs, des propriétaires fonciers, des architectes et même des médecins ou des dentistes incapables d’assumer les écolages de leurs enfants. D’ailleurs, explique le père Daccache, les gens ont appris à définir leurs priorités, et commencent à réduire leur niveau de vie. Entre-temps, 80 % du budget des scolarités sont destinés aux salaires des 400 employés et enseignants alors que seulement 20 % sont désormais consacrés à l’entretien. Nous n’avons pas le choix, et c’est la seule façon pour nous de ne pas être déficitaires. D’ailleurs, ajoute le directeur, nous devons gérer nos avoirs intelligemment pour équilibrer le budget, et tentons de limiter les moindres dépenses, depuis la consommation d’électricité jusqu’à l’utilisation des craies. Quant à l’augmentation des salaires accordée aux enseignants par la loi, père Daccache explique que c’est un droit qu’ils ont acquis, mais que l’application de cette loi a été provisoirement gelée par le collège, pour éviter d’avoir à hausser les scolarités, dans l’attente d’une diminution des charges des établissements scolaires. À Amiliyé Trois mille cinq cents élèves poursuivent leur scolarité dans les sept écoles dont deux gratuites, de l’association caritative de Amilyé, qui relèvent de la communauté chiite. Et malgré des écolages très étudiés, plafonnant à 2 millions de livres, à l’adresse d’élèves appartenant principalement à une classe pauvre, l’établissement accumule 650 millions de livres libanaises de scolarités impayées pour l’année passée, et 800 millions d’impayés des années précédentes, selon le trésorier de l’institution, Mohammed Hamadé. «Cela, sans compter que presque la totalité de nos élèves bénéficient de réductions ou de bourses scolaires et que nous leur offrons la possibilité d’échelonner les paiements sur plusieurs mois». De nombreux parents d’élèves n’ont d’ailleurs pas encore fini de payer l’écolage de l’année passée. Malgré tous les efforts de l’institution d’éponger certaines dettes et la vaste politique d’aide qu’elle mène, 10 à 15 % des élèves ont quitté les écoles Amilyé pour s’orienter vers l’enseignement public, leurs parents étant dans l’incapacité de s’acquitter, ne serait-ce de la modique somme de 420 000 livres par an, exigée par l’école gratuite. Mais nous ne devons pas oublier qu’il nous faut servir la cause de l’association et non seulement des gens, explique M. Hamadé. Car le but de l’association est de persévérer dans sa mission humanitaire, malgré les 2 milliards de déficit générés par les scolarités impayées, les investissements relatifs à l’application de la réforme de l’enseignement, et l’achat de matériel pédagogique. Ainsi, depuis le début de l’application des nouveaux programmes scolaires, les établissements Amilyé sont équipés de laboratoires de technologie, physique, chimie et biologie, accueillant même les élèves de l’école publique avoisinante, alors que les augmentations des salaires exigées par la loi ont été entièrement accordées aux enseignants. Mais les charges qui nous sont imposées sont très lourdes, avoue le trésorier, et la loi est dénuée de toute logique à l’égard des établissements scolaires, surtout en ce qui concerne les prestations à la Sécurité sociale et à la caisse des indemnités. À Zahret el-Ihsan Affiliée à l’archevêché grec-orthodoxe de Beyrouth, l’école Zahret el-Ihsan ressent la crise économique, au même titre que les autres établissements scolaires. Les scolarités impayées s’accumulent chaque année et s’élèvent actuellement à 240 millions de livres libanaises, selon la directrice de l’établissement, Hala Skaff. Nous tentons de régler le problème en accordant des réductions et des facilités de paiement aux parents, mais le chiffre ne cesse d’augmenter chaque année, déplore-t-elle, alors que la crise touche de plus en plus de gens. Les parents d’élèves font peine à voir, et certains ne peuvent s’empêcher de pleurer en nous exposant leurs problèmes, rongés par la honte, raconte-t-elle, alors que nombreuses sont les mères qui viennent frapper à notre porte dans l’espoir de trouver du travail et de payer la scolarité de leurs enfants. Cependant, elle déplore que certains parents n’aient pas encore appris à limiter leur mode de vie, des parents qui accumulent les scolarités impayées, alors qu’ils satisfont toutes les demandes matérielles de leurs enfants. «Et même si la scolarité de l’établissement reste très abordable, se chiffrant en moyenne à 3 millions de livres libanaises, une trentaine d’élèves a quitté l’établissement qui en accueille 1 400, malgré tous nos efforts pour les garder», regrette la directrice. Départs qui s’expliquent par le grand nombre d’élèves des classes secondaires rejoignant l’enseignement public, dans le but de se préparer au bac, alors que d’autres quittent le quartier d’Achrafieh pour réintégrer leur région qu’ils avaient désertée pendant la guerre. Malgré tous ses problèmes, Zahret el-Ihsan n’a pas ressenti de grandes difficultés à appliquer la réforme scolaire, épaulée par les parents d’élèves. Les équipements audiovisuels et de technologie ont été assurés à tous les niveaux, alors que l’établissement compte trois salles d’ordinateurs. Nous aurions voulu faire plus, regrette cependant Hala Skaff. Car certains de nos bâtiments sont centenaires et nécessitent un entretien, mais nous équipons l’école dans la mesure du possible, et optons pour les priorités. Jusqu’à présent, l’école n’a pas licencié d’enseignants pour des raisons économiques, mais les augmentations des enseignants sont gelées, provisoirement, comme dans de nombreux établissements, pour éviter d’augmenter l’écolage. Mais ce n’est que le début de l’année, dit Mme Skaff, et nous ne savons pas ce que cette année nous réserve… Des réactions qui diffèrent Recevant 3 400 élèves dans ses deux campus, la direction d’une école laïque de grande renommée accuse 64 millions de livres de scolarités impayées, un chiffre qui augmente depuis trois ans et qui a doublé par rapport à l’année passée. Si la scolarité relativement élevée de l’établissement (6 millions 700 mille livres) porte à croire que les élèves de l’institution appartiennent à la classe privilégiée de la société, la direction déclare que ses élèves sont issus de tous les milieux de la population libanaise, et que 20 % des élèves échelonnent leur scolarité sur 8 mois, alors que 400 enfants, figurant parmi les plus brillants, mais aussi parmi les plus démunis, profitent de bourses scolaires partielles ou entières. Car l’école tient à garder ses bons éléments, insiste la directrice et nous ne les laissons en aucun cas aller dans un autre établissement, surtout lorsqu’il est question d’argent. Quant aux parents qui ne parviennent plus à payer les écolages de leurs enfants, ils représentent une classe moyenne qui a disparu, explique la directrice, une classe constituée de commerçants, d’industriels, de propriétaires terriens, mais aussi de médecins et surtout de dentistes. Cependant, la direction de l’école avoue être intraitable avec les parents qui ne paient pas les arriérés, alors qu’ils exhibent cellulaires, bijoux, voitures luxueuses et chauffeurs, sans vergogne, et équipent leurs enfants de cartables signés. Mais le problème des scolarités impayées n’a pas empêché la direction d’augmenter les salaires de ses enseignants, et d’assurer tous les équipements pédagogiques nécessaires, alors que les scolarités ont été augmentées de 3 %. Cependant, l’entretien de l’établissement vient de nos réserves et non des scolarités, avoue la directrice de l’établissement. Car notre but est d’être parfaits, conclut-elle, et c’est la raison pour laquelle nous ne lésinons sur aucun équipement. Chacun de ces cinq établissements scolaires réagit à la crise économique à sa manière, selon les difficultés vécues par ses élèves et leurs parents, mais aussi en fonction du milieu social auquel ils appartiennent. Cependant, tous les chefs d’établissements sont unanimes : les charges imposées par le gouvernement aux écoles sont trop lourdes, principalement celles de la Sécurité sociale et de la caisse d’indemnités. Celles-ci sont souvent payées à fonds perdus car bon nombre d’enseignants n’en profitent pas, principalement les contractuels, et provoquent les hausses des scolarités, alors que chaque année, un nombre plus important de parents ne parvient plus à payer l’écolage de leurs enfants. En attendant que l’État réagisse, au profit de l’enseignement privé et non pas contre lui, les aides s’organisent, au profit des plus démunis. Anne-Marie EL-HAGE
Encore une fois, la crise économique fait des ravages, et cette fois, c’est le secteur de l’éducation qui en fait les frais. L’avenir de l’enseignement privé ne tient plus qu’à un fil, d’autant plus que les écolages impayés se chiffrent par milliards de livres libanaises. Un nombre croissant de parents d’élèves vivent des conditions dramatiques et ne paient plus...