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Actualités - CHRONOLOGIE

SÉCURITÉ - Arrêté, l’homme qui a tiré en plein tribunal invoque les mauvais traitements subis en prison Khalil Sinno blesse grièvement le juge Nachar et sème la terreur au Palais de justice Selon Murr, l’enquête permettra de déterminer s’il y a des liens avec des groupes détenus à Roumié(photo)

Mobile personnel ou terrible complot contre la justice et ce qui reste des institutions de l’État ? En deux minutes, hier matin, Khalil Sinno a semé la terreur au Palais de justice de Beyrouth, en tirant sur le juge des référés Fadi Nachar, le blessant grièvement à la poitrine. Plusieurs heures après son arrestation, l’enquête se poursuit et toutes les interprétations sont permises, même si, du côté de la justice, les magistrats gardent un silence prudent. D’autant plus inquiétant que, depuis quelque temps, ils sont constamment sur la sellette, agressés tantôt verbalement et tantôt physiquement, comme si la fameuse immunité des juges n’était désormais plus qu’un vague souvenir. Ce qui est toutefois sûr, c’est que le tireur a pu entrer au Palais de justice, avec son revolver, sans être inquiété. Que deviennent donc les mesures de sécurité autour des Palais de justice ? Une fébrilité inhabituelle règne ce matin au Palais de justice, avocats et magistrats travaillent doublement en prévision des fêtes toutes proches, alors que les journalistes, anticipant sur le congé, ne sont pas venus tôt, convaincus qu’il n’y a pas d’affaires importantes prévues. À 10h, un jeune homme frêle, à l’aspect maladif, se présente par la porte du commissariat et entre sans être inquiété. Sa maigreur et son air fiévreux n’attirent pas l’attention du policier de faction, qui en voit passer de toutes les couleurs chaque jour, et le jeune homme lui paraît si faible qu’il ne peut être menaçant. Khalil Sinno gravit les escaliers menant vers la salle des pas perdus, mais il ne sait pas vraiment où aller. Sinno attend la fin de l’audience avant de tirer Arrêtant au hasard une avocate, il lui demande où il peut trouver un magistrat en pleine audience. Celle-ci lui indique l’étage supérieur où le juge des référés traite quelques affaires en cours. Sinno suit les indications et se retrouve dans la salle du tribunal où le juge des référés Fadi Nachar siège seul. Comme le magistrat est en train de traiter une affaire, Sinno s’assied sur un des bancs de l’assistance et suit le déroulement de l’audience. Les dossiers du juge étant de nature civile, il n’y a pas d’inculpés, ni de forces de sécurité pour les surveiller. L’atmosphère est plutôt bon enfant et Khalil Sinno attend patiemment la fin. Lorsque le juge lève l’audience, Khalil Sinno se précipite vers lui et lui demande : « Vous êtes le juge ? » Pris de court, Fadi Nachar répond par l’affirmative et Sinno lui braque son revolver dans le dos. Il tire un premier coup, blessant le magistrat à la poitrine, puis se tourne vers le greffier et l’huissier. Les prenant pour les assesseurs, il tire en leur direction, mais au troisième coup de feu, son arme s’enraye et ne fonctionne plus. Sinno commence par nier Sinno quitte alors rapidement la salle et essaie de prendre un air dégagé. Il se fond dans la foule et fait semblant de parler sur son portable, mais les forces de l’ordre l’ont déjà repéré et se précipitent pour l’arrêter. L’homme commence par nier les faits, mais devant l’évidence il finit par reconnaître son crime. Il est aussitôt déféré devant le procureur général de Beyrouth, Joseph Maamari, qui entame immédiatement son interrogatoire. Entre-temps, avocats et magistrats se précipitent au secours du juge blessé qui est transporté d’urgence à l’hôpital où il est aussitôt opéré et son état est désormais stable. Le procureur ayant engagé des poursuites contre l’inculpé, ce dernier est déféré devant le premier juge d’instruction de Beyrouth, Hatem Madi, qui l’interroge immédiatement. L’instruction étant secrète, aucun élément précis n’a été communiqué à la presse, mais selon des informations recueillies çà et là il a été possible de dresser un premier portrait du coupable. Le plus grand dénuement Né en 1973, Khalil Sinno est originaire de Beyrouth et vit à Bourj Brajneh. Le juge a d’ailleurs rapidement ordonné une perquisition dans sa demeure et il est apparu que le jeune homme vit dans des conditions très modestes. Sa mère ayant quitté son père, il vit avec ce dernier et ses frères et sœurs dans une seule pièce, dans le plus grand dénuement. N’ayant pas trouvé de travail, il s’est spécialisé dans le vol et est pratiquement devenu un escroc professionnel, son revolver étant en quelque sorte son outil de travail. Jugé pour quatre affaires de vols divers, dont une avec effraction, et pour la falsification de son passeport, sur lequel il avait posé la photo de son frère, Khaled (arrêté hier lui aussi), et avec lequel il était entré en Suisse, faisant ainsi l’objet d’un mandat d’arrêt d’Interpol, Khalil Sinno a été jugé par la Cour criminelle de Beyrouth, présidée par le magistrat Labib Zouein. Estimant que le prévenu méritait la clémence, le juge l’avait alors condamné à la peine minimale, 5 ans de prison, alors que les crimes commis pouvaient lui valoir la détention à perpétuité. Amer et hargneux, il en veut au monde Malgré cela, Sinno a considéré être victime d’une injustice. Selon les aveux faits devant les juges, il se serait plaint des mauvais traitements qui lui auraient été infligés en prison et qui l’auraient rendu amer et hargneux. Officiellement, Khalil Sinno serait atteint de tuberculose, mais certains pensent qu’il aurait attrapé le sida, d’où sa rancœur tenace pour tout ce qui touche de près ou de loin à la justice et à la prison. D’ailleurs, il aurait aussi affirmé être sorti de prison, après avoir purgé sa peine, il y a trois jours, alors que les registres officiels notent sa remise en liberté le 28 août 2002. Au cours de ses aveux, il aurait raconté s’être rendu au Palais de justice pour rencontrer le juge Zouein et pour voir comment surmonter son épreuve, en regardant comment cela se passe pour les autres inculpés. Mais en voyant le juge devant son prétoire, il ne s’est plus contrôlé, espérant se libérer de toutes les années de détention en tirant sur lui, puisque, à ses yeux, ils sont, lui et ses collègues, responsables de « sa misère ». Son interrogatoire, ainsi que celui de son frère et la perquisition à son domicile n’ont permis de lui attribuer aucune appartenance partisane, ni aucune sympathie pour un courant ou un mouvement islamiste ou autre. Pourtant, une petite phrase qu’il aurait lancée aux journalistes, entre deux insultes, avant d’être mis aux arrêts, dans une cellule individuelle, pour 5 jours, soulève mille et une inquiétantes questions : « Je ne peux rien dire, sinon je serai liquidé », a donc crié Khalil Sinno avant d’être poussé dans les escaliers par les FSI. Et cette phrase laisse tout le monde perplexe : y aurait-il une partie occulte qui l’aurait poussé à accomplir son acte ? Aurait-il été en contact pendant ses cinq années de détention avec le groupe de Denniyé, emprisonné aussi à Roumié, et les membres du groupe l’auraient-ils convaincu de tuer un magistrat pour se venger des autorités qui l’ont mis en prison ? Si tel est le cas, cela prouverait que, même en prison, ce groupe demeure très puissant : il y a quelques mois, il aurait planifié l’explosion de Betchay contre le domicile d’un officier de la prison de Roumié et aujourd’hui il aurait réussi à semer la terreur au Palais de justice. Les forces de l’ordre sont-elles en mesure de contrôler les activités de ce noyau islamiste ? Les propos du ministre de l’Intérieur, Élias Murr, à l’issue de sa réunion avec les magistrats, hier matin, semblent confirmer l’hypothèse de la manipulation islamiste. Tout en affirmant qu’il ne faut pas devancer l’enquête et se lancer dans des pronostics, le ministre Murr a déclaré que ce crime n’est pas une affaire personnelle, puisque Khalil Sinno ne connaît pas le magistrat sur lequel il a tiré et il n’y a aucun contentieux entre eux. « Son arrestation permettra sans doute d’établir s’il a eu des relations douteuses à la prison de Roumié qui l’auraient poussé à agir et on pourrait peut-être avoir des détails sur des crimes déjà commis dans les Palais de justice. » L’allusion au crime impuni de Saïda, lorsque quatre juges ont été tués en plein tribunal, est évidente. Mais, pour l’instant, le procureur général Adnane Addoum, ainsi que le premier juge d’instruction Hatem Madi refusent de sauter aux conclusions. Pour eux, il faut attendre la fin de l’enquête et, à ce stade, aucun élément ne permet d’établir un lien entre Khalil Sinno et le groupe de Denniyé, ou tout autre groupe politique d’ailleurs. Par contre, le problème de la sécurité des Palais de justice et des magistrats en particulier se pose avec beaucoup d’acuité. Le Conseil supérieur de la magistrature l’a rappelé dans un communiqué publié hier, et les juges reconnaissent qu’ils vivent désormais dans la peur. « Nous sommes prêts au sacrifice suprême et nous savons que la justice n’est pas une sinécure, confie le procureur Addoum, mais l’État doit aussi prendre les mesures nécessaires pour la protection des Palais de justice.» Un plan avait été dressé en ce sens par le précédent président du CSM, Nasri Lahoud, mais il avait buté contre plusieurs obstacles, dont le refus de l’Ordre des avocats de certaines mesures de sécurité. Le CSM compte relancer le projet, car il est conscient qu’un juge, qui a peur, ne peut faire réellement son travail et toutes les agressions visent finalement à détruire la confiance des juges. Le crime d’hier, comme celui de Saïda, met une fois de plus en évidence les lacunes sécuritaires autour des Palais de justice du Liban. Le ministre Murr a bien promis l’ouverture d’une enquête, mais il en faut beaucoup plus pour rassurer les magistrats et le Liban tout entier en proie aux doutes. Scarlett HADDAD
Mobile personnel ou terrible complot contre la justice et ce qui reste des institutions de l’État ? En deux minutes, hier matin, Khalil Sinno a semé la terreur au Palais de justice de Beyrouth, en tirant sur le juge des référés Fadi Nachar, le blessant grièvement à la poitrine. Plusieurs heures après son arrestation, l’enquête se poursuit et toutes les interprétations...