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Actualités - INTERVIEWS

ENTRETIEN - Le leader du PSP critique la politique économique du gouvernement et réclame de l’argent pour les régions Walid Joumblatt : C’est le président qui doit donner des garanties aux chrétiens(photo)

Comme le fut Picasso, dont il a aussi le génie, mais politique, Walid Joumblatt est actuellement dans sa période rose, c’est-à-dire ni le rouge du combat ni le bleu de l’optimisme, une sorte de période blasée, sans toutefois une remise en question des options fondamentales. Avec son flair politique, il avait été le premier à voir les orages s’amonceler au-dessus contre la région et les problèmes internes se multiplier. Il avait donc appelé, après le 11 septembre, à la solidarité totale avec la Syrie, face à l’assaut américain contre la région, et dénoncé depuis longtemps la politique du Fonds monétaire international à l’égard des pays en crise. Aujourd’hui, il pense que les Américains mettront la main sur l’Irak et que le monde entier se dirige vers la privatisation. Mais il espère quand même une politique économique plus équilibrée, au Liban, tout comme il attend du président de la République le lancement d’un véritable dialogue. « Face à l’évêque, il y a la cellule de Hamad. Je n’ai plus rien à faire ». Mais il retrouve son ironie mordante pour évoquer la nouvelle entente entre Lahoud et Hariri. « Les effusions et les larmes de joie après ces retrouvailles nous ont lessivés et essorés », dit-il en riant lui-même de l’image, tout en laissant filtrer la frustration des pôles politiques oubliés par ce nouvel accord. Pénombre agréable, chats persans se déplaçant majestueusement sur les tapis et ordinateur allumé, chez Walid bey, l’atmopshère était hier chaleureuse et pensive. Calé dans son canapé profond, le leader du PSP ne perd pourtant pas le goût des formules lapidaires, qui font mal tout en faisant rire. Il commence par évoquer la situation régionale. « La résolution 1441 de l’Onu est une légalisation de la volonté des États-Unis de mettre la main sur l’Irak. Il y a bien eu une tentative de la part de la France et de la Russie pour modifier les intentions américaines, mais finalement, tous se partagent le pétrole de l’Irak. » Pensez-vous, comme le dit la Syrie, que cette résolution éloignera le spectre de la guerre ? « Je pense que les Américains chercheront le moindre prétexte pour s’en prendre à l’Irak. Cela rappelle un peu la guerre de Corée, lorsque les Soviétiques étaient contre, mais leur émissaire est arrivé en retard. Aujourd’hui, il n’y a plus de guerre froide et les Américains peuvent faire ce qu’ils veulent. Sans oublier leur superpuissance militaire qui doit bien se manifester. » Après l’Irak, le tour du Liban et de la Syrie Selon vous, la guerre est donc inévitable ? « Je crois que d’une façon ou d’une autre, les Américains mettront la main sur l’Irak. Il y a, aujourd’hui, un semblant de légalité internationale, comme lorsque la SDN a établi le Mandat français sur le Liban. D’ailleurs, c’est un nouveau Mandat qui se décide aujourd’hui. » Concrètement, que faut-il craindre pour la région ? « Le monde arabe est exsangue. L’Égypte en est sortie, la Jordanie était neutre bien avant les acords de Wadi Araba, l’Irak est en train d’être utilisé...Il n’y a plus que la Syrie. Mais la conjoncture actuelle, entre l’idéologie chrétienne américaine et celle du Likoud en Israël, annonce les pires rebondissements. Israël peut faire ce qu’il veut et il va le faire. Les résolutions 242 et 338 ne sont plus que de la littérature. On pourrait d’ailleurs évoquer la 194, tant qu’on y est. » Après l’Irak, ce sera donc le tour du Liban ? « Après avoir mis la main sur l’Irak, ce sera sans doute le tour du Liban et de la Syrie. Richard Armitage a d’ailleurs rappelé le sang américain qui a coulé au Liban. Ils trouveront un prétexte, comme le Hezbollah, et ils exécuteront leurs plans. » D’aucuns pensent toutefois que vous amplifiez les risques pour justifer votre volte-face sur le plan interne et dans le dossier libano-syrien. « Il n’y a pas eu de volte-face. J’avais bien dit lorsque le patriarche maronite est venu au Chouf qu’il ne s’agissait pas d’une réconciliation druzo-chrétienne, mais qu’il fallait une réconciliation nationale. Par la suite, lors de la rencontre à Tannourine chez Boutros Harb, j’ai senti une insistance à évoquer le retrait syrien. Alors que moi, je n’ai jamais parlé d’un tel retrait. Il y avait donc un désaccord dès le départ qui est allé en augmentant. Le 11 septembre, la rencontre de Los Angeles, puis celle d’Antélias, sans oublier, pour être conséquent avec moi-même, les bavures de l’État ont encore compliqué la situation. » Un Rassemblement démocratique à moi tout seul D’aucuns disent que vous avez utilisé les chrétiens et Kornet Chehwane pour faire pression sur la Syrie, pour la ramener à vous, quand elle vous avait interdit de vous rendre à Damas... «Je n’ai jamais changé mes convictions sur le rôle de la Syrie au Liban. Après avoir combattu ensemble les isolationnistes et consenti d’énormes sacrifices communs, nous ne pouvons pas changer de camp. À mon avis, on ne peut pas se passer du rôle syrien. Quant à l’utilisation des chrétiens, si vous voulez dire que j’ai voulu leurs voix pour des raisons électorales, vous vous trompez. Le vote chrétien en faveur de ma liste n’a augmenté que de 10%. Non, la question n’est pas là. Certaines options doivent être repensées. » Vous critiquez Kornet Chehwane, mais vos députés y sont encore... « Soyons très clairs, la circonscription Baabda-Aley impose des alliances que nous avons nouées. Mais le bloc du Rassemblement démocratique n’est pas un politburo. Tous les membres ont une marge de manœuvre, même les haririens. » Il reprend, avec un sourire en coin : « C’est un bloc basé sur des affinités culturelles. (Rires). Mais si chacun devait rejoindre son troupeau, je serai le bloc à moi tout seul. » Revenant à Kornet Chehwane, Joumblatt précise qu’il ne demandera jamais aux députés membres de son bloc de s’en retirer : « Mais ils peuvent le faire d’eux-mêmes. D’ailleurs, Carlos Eddé a choisi d’être indépendant. » On dit que c’est vous qui le lui avez conseillé ? « Non, il m’a posé la question, mais c’est lui qui a pris la décision. Il a sa propre représentativité et c’est ce qu’avait fait le amid Raymond Eddé. Il s’était allié à Pierre Gemayel et Camille Chamoun dans le cadre du Helf, pour faire cavalier seul ensuite. » « Lessivés et essorés par les retrouvailles entre les présidents » Avez-vous l’intention de reprendre le dialogue avec Kornet Chehwane ? «Ils doivent d’abord revoir certaines de leurs options. Certains membres ont été trop loin et le patriarche avec eux, puisque c’est lui qui assure leur couverture. Aujourd’hui, face à l’évêque il y a le cheikh. Ce n’est plus mon affaire. » N’êtes-vous pas déçu par la tournure confessionnelle prise par le débat ? « Je suis déçu, mais c’est cela le Liban. Essayons d’harmoniser et d’adoucir le discours confessionnel ». Comptez-vous le faire ? « C’est au président de la République de lancer le dialogue, de donner des garanties au patriarche, de lui dire que les chrétiens ne sont pas menacés et que la présence syrienne les sécurise. Le patriarche n’est pas un jusqu’auboutiste. Il l’a montré à plusieurs reprises, notamment lorsqu’il a dit, à propos de l’élection au Metn, que la guerre des Murr détruira le Liban ». Pensez-vous aussi que cette bataille était une simple guerre entre les frères Murr ? « Un peu, mais c’était aussi une question politique. Gabriel avait poussé les choses trop loin, transformant sa chaîne en porte-parole du général Aoun. À cette période politique, le moment était bien mal choisi ». Que faire pour sortir de cette situation ? « Tout le monde est dans l’impasse, pas seulement Kornet Chehwane. Nous essayons simplement de limiter les dégâts. Si Kornet Chehwane parvenait à comprendre que le facteur syrien est régional et même international, cela irait mieux. De plus, si la Syrie est obligée de partir, et si les Libanais sont divisés, elle aura les moyens de semer des troubles. Enfin, nous ne sommes pas les seuls au Liban. Il faut demander aux autres ce qu’ils en pensent, le Hezbollah par exemple, ou les groupes que l’on dit fondamentalistes au Nord ou ailleurs ». Vous aviez vous-même dénoncé la militarisation du régime libanais et les dérives sécuritaires. Ce n’est plus à l’ordre du jour ou le danger est écarté ? « Il y a eu des bavures. Soit on essaie de modifier le système, soit on mène des batailles perdues. En tout cas, seul je ne peux rien faire et la bataille pour le nouveau code de procédure pénale a été une défaite. Mais on ne va quand même pas dire que Adnane Addoum et Nasri lahoud sont comme John Aschroft ou même Nicolas Sarkozy. Bush vient aussi de créer un ministère spécial pour la Sécurité. » Pourquoi ne lancez-vous pas un dialogue sur ces thèmes ? «Ce n’est pas à moi de le faire. Il faut que quelqu’un puisse dégager la synthèse. C’est au président de la République de le faire. » Comptez-vous le lui dire ? « Oui, bientôt lorsque je vais le voir. Pour l’instant, les effusions et les larmes de joie des retrouvailles nous ont tous lessivés et essorés. » Pensez-vous qu’un changement de gouvernement soit proche ? « Je ne sais pas, on ne me demande pas mon avis. En tout cas, j’ai dit que j’étais favorable à un changement gouvernemental pour réduire l’image de corruption de certains ministres. Mais je ne sais pas si le PSP sera représenté au prochain gouvernement. En tout cas, il n’est pas question que j’en fasse moi-même partie. Nous avons perdu beaucoup de notre crédibilité en participant à ce gouvernement. » On dit pourtant que vos critiques actuelles seraient dues à votre volonté de ne pas être oublié lors de la formation du nouveau gouvernement ? « Je ne suis pas d’accord. Je ne suis en aucun cas ministrable. » On dit aussi que les critiques à l’égard du gouvernement sont motivées par votre volonté d’obtenir de l’argent pour vos régions ? « Bien sûr, les gens de la montagne, de la Békaa et de Bab el-Tebbané veulent manger et il leur faut de l’argent, dans le cadre d’une politique de développement. Maintenant, pourquoi on a trente milliards de dettes, c’est une autre histoire. Pourtant, je trouve que l’idée de Nassib Lahoud de ne pas substituer la dette interne en livres libanaises en une dette externe en dollars est intéressante. » « Je ne suis pas ministrable » Que reprochez-vous à l’actuelle politique économique ? « Il faut de l’argent pour les déplacés, pour l’agriculture. On a interdit aux gens de la Békaa de cultiver le haschisch et le pavot, et on a fait des rapports sur la question. Mais les gens ne se nourrissent pas de rapports. De même, le projet de développement du port de Tripoli aurait pu aider à sortir la capitale du Nord de la crise. Il y a aussi la question du gaz. Après avoir parlé du gaz de Syrie ou de Turquie, aujourd’hui, il semble qu’il n’y en ait plus et nos centrales fonctionnent au diesel, bien plus cher. Savez-vous que notre électricité est la plus chère du monde ? Je suis aussi contre la privatisation de l’eau. J’ai même présenté deux études à Hariri sur le sujet. Je suis contre la privatisation des cellulaires. Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas toucher aux biens-fonds maritimes, car certains ministres et députés y auraient des intérêts. Ce sont les intouchables. Que l’on fasse donc venir Al Capone ou Elliot Ness. Enfin, je suis contre la thèse du Liban paradis fiscal, car elle ne profite qu’aux banques et tant pis pour les pauvres. » Si demain, la Caisse des déplacés est renflouée, mettrez-vous une sourdine à vos critiques et c’en sera fini de ces grandes idées ? « Il faut essayer de résoudre un à un les problèmes. Aujourd’hui, la priorité est au développement. Que peut-on attendre d’un Conseil économique et social, logé à Solidere ? Même chose pour l’UNDP installé dans l’immeuble de l’Escwa, un lieu idéal pour étudier la pauvreté. D’ailleurs, au Liban tout le monde fait des études et c’est le contribuable qui les paie. » Vous réclamez donc une partie des crédits de Paris II pour vos régions ? « Je souhaite rappeler que des régions restent abandonnées. On développe Solidere et c’est tout. Depuis la libération, le Sud s’est vidé. On n’y a fait que le projet du Wazzani... » Que peut attendre le Liban de Paris II ? « Moi, je n’attends rien. On gagnera un peu de temps. Les intérêts vont baisser, mais c’est tout. Pourquoi ne pas créer un fonds pour les micro-crédits et revoir la distribution de l’argent sur les régions et les confessions. Si on perçoit une taxe sur les intérêts des banques, on accumulerait une coquette somme, mais on ne veut pas toucher aux banques, qui ont, pourtant, hypothéqué l’économie libanaise. Je dis tout cela pour rappeler à une certaine classe politique et à certains ministres qu’il ne suffit pas de théoriser dans les bureaux. Il faut aller sur le terrain, à Tripoli, au Akkar. Je le suggérais au président Hariri et il m’a répondu que s’ils y allaient, ils se feraient lapider. Alors je leur conseille de s’ y rendre incognito. » Vous-même, vous n’allez pas beaucoup sur le terrain... « J’écoute les doléances des gens de ma région. Ce n’est pas mal. » Paris II est-il utile ? « Hariri dit que c’est une échéance indispensable. On verra après. Mais, à mon avis, c’est l’hypothèse de départ qu’il fallait corriger. À la fin de la guerre, on s’est tourné vers un économie basée sur les services, les banques et le tourisme. On a oublié les problèmes de développement des régions et on continue à commettre la même erreur. On développe la rue Monot et Solidere, on construit des appartements luxueux pour les émirs, on projette la construction d’autres tours et on finira par créer des cités fermées, pour empêcher la plèbe d’en approcher. » Croyez-vous vraiment que, dans le monde actuel, une « économie sociale » soit possible ? « C’est vrai qu’aujourd’hui, c’est un cycle mondial, après la chute du communisme, le monde se dirige vers une privatisation à outrance. Mais cela ne peut pas durer et cela coûtera très cher. Déjà, les dégâts sont monstueux et je ne suis pas le seul à le dire. De plus en plus de pays se dirigent vers la faillite. » Scarlett HADDAD
Comme le fut Picasso, dont il a aussi le génie, mais politique, Walid Joumblatt est actuellement dans sa période rose, c’est-à-dire ni le rouge du combat ni le bleu de l’optimisme, une sorte de période blasée, sans toutefois une remise en question des options fondamentales. Avec son flair politique, il avait été le premier à voir les orages s’amonceler au-dessus contre...