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Actualités - OPINION

Charles Hélou, un pionnier de la francophonie

Par Joe KHOURY-HÉLOU Quand on parlait devant Charles Hélou de la tenue du sommet de la francophonie au Liban, ses yeux s’écarquillaient soudain, reflétant un mélange de joie et de tristesse, la joie de voir son pays accueillir le sommet, ce pays qu’il avait tant adulé, et pour lequel il s’était tant démené, notamment pour l’élever au rang des pionniers de la francophonie. Et la tristesse sans doute qu’aucun bonze de la République n’ait jugé utile de demander sa contribution ni même de le consulter. C’est lors d’une visite officielle en France que le président Hélou a échangé avec le général de Gaulle l’idée de la francophonie comme institution. Lors de ce voyage, Charles Hélou devait avoir le privilège de participer, à titre exceptionnel, aux travaux de l’Académie française. Les travaux concernaient les définitions du dictionnaire de l’Académie. Il s’agissait, ce jour-là, de donner des définitions aux mots qui vont de « collecte » à « collège ». À « collège électoral », l’Académie proposait la définition « ensemble des électeurs d’une même circonscription ». Le président Hélou intervint alors pour préciser qu’un collège électoral peut grouper des électeurs autrement déterminés, ceux d’une assemblée par exemple, et proposa pour « collège électoral » : « L’ensemble des électeurs appelés à une même élection. » Le général de Gaulle en était impressionné. Bien plus tard, il constituait un tandem avec le président Edgard Faure pour définir et propager l’idée de francophonie. C’est à eux que revient cette définition : « Elle est une culture ouverte à toutes les cultures, un dialogue des cultures »... Et le président Hélou de citer l’exemple libanais en parlant du « dialogue des cultures arabe et française, depuis des siècles ». À une séance publique, Charles Hélou présentait la francophonie en disant : « Elle est un humanisme parlant français », et aussi : « Ce qui nous unit, ce n’est pas une même langue mais un même langage, celui de l’humain et de l’universel. » Dès lors, il n’était pas étonnant que Charles Hélou soit sollicité pour présider les plus illustres des associations francophones, à commencer par l’Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF). On le voulait membre d’honneur, avec André Malraux. Mais accueilli à Dakar par un non moins grand francophone, le président Léopold Senghor, à une assemblée générale de l’AIPLF, il fut surpris d’être sollicité, puis élu, à l’unanimité, président de l’Assemblée, son mandat ayant été reconduit sept fois consécutives. À cette première Assemblée, par courtoisie empreinte de coquetterie à l’adresse du président Senghor, il commençait son discours en citant ce dernier qui avait dit en débarquant à Beyrouth en 1966, lors d’une visite officielle : « Notre coopération est facilitée par les complémentaires afro-asiatiques, très exactement négro-arabes... Le Liban a joué un très grand rôle dans l’élaboration de la culture méditerranéenne. » Soutenu par le successeur du général de Gaulle, Georges Pompidou, qui se laissait aller devant Charles Hélou à maintes confidences, il a sillonné le monde pour faire valoir les valeurs francophones, sans jamais omettre de défendre la cause du Liban, proie à l’époque de toutes les violences et agressions, de toutes les convoitises des puissants de la région, qui nous faisaient subir les pires atrocités, les blocus n’étant pas des moindres. À l’Assemblée nationale française, il présidait les assemblées de l’AIPLF composées d’illustres personnalités, comme le président Edgard Faure et Alain Peyreffite. Il devait être nommé de surcroît chancelier du nouvel Ordre de le Pléiade, appelé « l’Ordre de la francophonie et du dialogue de cultures ». Il en décorait les grands de ce monde au Palais Bourbon, dont le président de la République française, M. Giscard d’Estaing, et le président du Sénat, M. Alain Poher, dans des ambiances des plus prestigieuses, M. Ghassan Tueini devait écrire dans an-Nahar : « Le président Hélou officiait non seulement comme un président de la francophonie, mais comme si tout l’État libanais était incarné en un seul homme. » À côté de l’AIPLF, il fut nommé président de l’Agence de coopération culturelle et technique, seul organisme franophone de droit public. Même périple, même combat. Sauf que cet organisme a décidé en juillet 1984 l’instauration d’un concours inspiré de celui lancé deux siècles auparavant par l’Académie de Berlin sur l’universalité de la langue française. L’agence adopte aussitôt l’idée de Charles Hélou de réadapter le sujet à l’évolution de la francophonie et du monde, et de lancer un concours sur l’universalité de la culture française. Mais l’agence précise dans l’article 1 de la résolution prise à cet égard qu’elle donne au concours international « le nom d’une éminente personnalité, le président Charles Hélou, ancien président de la République libanaise, ancien président de l’AIPLF et président en exercice de la conférence générale de l’ACCT en hommage à l’œuvre de l’homme de lettres, à l’action du chef d’État et à la foi militante de l’humaniste à travers la francophonie et le dialogue des cultures... » Enfin, en mars 1985, il est choisi parmi de rares personnalités par le président Mitterand pour être membre de la plus haute instance française de francophonie, le Haut Conseil de la francophonie, présidé par le président de la République française en exercice. Même combat pour la francophonie et pour le Liban. La séance de mars 1990 fut clôturée par une résolution pour le Liban, dûment signée par les présidents Mitterrand, Senghor et Hélou. Les écrits du président Hélou sur la francophonie sont innombrables. Des discours entendus à ce IXe Sommet, ici et là, les plagiats abondent. Rien que la formule « dialogue des cultures » suffit pour montrer l’influence de Charles Hélou comme pionnier de la francophonie. Le président Hélou a disparu sans assister au sommet qui s’est tenu à Beyrouth. Sa mémoire n’a été saluée à l’occasion que par la LBCI, dans le cadre d’un journal télévisé. Les organisateurs libanais ont sans doute oublié qu’ils auraient pu s’énorgueillir d’évoquer un grand Libanais comme cofondateur de la francophonie. Dans le même temps, on évoque dans le pays l’instauration d’une circonscription électorale unique ; on réclame la déconfessionnalisation politique, deux traquenards que le président Hélou a souvent combattus dans les colonnes de L’Orient-Le Jour, à l’instar de tout autre manœuvre qui ferait perdre au Liban sa vocation universelle. Que Dieu préserve le Liban.
Par Joe KHOURY-HÉLOU Quand on parlait devant Charles Hélou de la tenue du sommet de la francophonie au Liban, ses yeux s’écarquillaient soudain, reflétant un mélange de joie et de tristesse, la joie de voir son pays accueillir le sommet, ce pays qu’il avait tant adulé, et pour lequel il s’était tant démené, notamment pour l’élever au rang des pionniers de la francophonie. Et la...