Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

« Laboratoire, tribune et antichambre de la mondialisation » Salamé définit sa conception de la nouvelle francophonie(photo)

La francophonie ? Ghassan Salamé la voit à la fois comme un laboratoire, une tribune et une antichambre de la modernité. Et il estime que l’avenir de ce mouvement dépend autant de la qualité du diagnostic fait de la réalité que de l’ardeur déployée pour changer celle-ci. C’est autour de ce thème majeur que le ministre libanais de la Culture a axé son intervention d’hier, dont nous reproduisons de larges extraits (les intertitres sont de la rédaction). « Les êtres chers se font désirer et nous avons été patients dans notre attente, persévérants dans notre invitation. Notre satisfaction n’en est aujourd’hui que plus grande de pouvoir vous accueillir à Beyrouth. L’année de retard a peut-être affecté notre calendrier, elle n’a guère altéré la joie de vous recevoir.(...) « Je salue le travail fait par l’ensemble des opérateurs pour valoriser, diffuser et enraciner la langue que nous partageons. Toutefois, certains, parmi nous, souhaiteraient que nous nous préoccupions davantage de la situation de la langue française dans les États et gouvernements faisant partie de notre organisation. De même que nous avons posé des conditions et des critères pour l’adhésion de nouveaux États et gouvernements à notre mouvement, il serait peut-être bon d’élaborer plus avant l’idée de présenter sur une base régulière des “rapports sur l’état du français” dans chacun de nos pays, comme les États présentent en d’autres instances internationales des rapports sur la situation des droits de l’homme dans leurs pays. Ce qui mettrait en évidence les responsabilités des États et des gouvernements, ainsi que des institutions de la francophonie et insufflerait plus de dynamisme stimulant les efforts de promotion et de diffusion de la langue. « Nous devrions appuyer davantage l’Assemblée parlementaire de la francophonie, dont je salue la présence ici, en lui donnant plus de moyens pour accomplir ses missions, son rôle de “vigie de la démocratie”, d’observation des élections et de coopération en vue d’un meilleur exercice de la démocratie parlementaire.(...) « Les chefs d’État et de gouvernement ont choisi comme thème du Sommet de Beyrouth le dialogue des cultures. La francophonie a consacré plus de deux ans à la préparation des débats sur ce thème. Les deux colloques sur la francophonie avec le monde arabe ainsi qu’avec trois autres espaces linguistiques face aux défis de la mondialisation ont précédé la troisième conférence ministérielle sur la culture. Les colloques nous poussent à nous interroger sur l’efficacité des alliances que la francophonie peut nouer avec d’autres communautés linguistiques et culturelles, avec les organisations régionales et notamment avec la Ligue des États arabes et l’ALECSO. Ces alliances devraient aboutir à des actions concrètes et communes pour la défense de la diversité culturelle dans le monde. Cotonou, une étape « Quant à la déclaration et au plan d’action adoptés par la Conférence ministérielle de la Culture à Cotonou en juin 2001, ils sont le couronnement d’un long travail de concertation des gouvernements et des institutions avec tous les acteurs culturels, individus ou organismes, sur tous les domaines où la créativité culturelle, scientifique et technique peut s’exprimer. Nous devons poursuivre cette concertation par la mise en œuvre de politiques d’appui aux cultures, la création éventuelle d’un “Fonds de garantie des industries culturelles” et, en tout cas, un effort commun en vue d’un accès à l’universel de la création au sein des pays les plus démunis. Pour importante qu’elle ait été, Cotonou n’est qu’une étape sur ce chemin. À Beyrouth, on pourrait donner le signe d’un engagement fort de nos États et gouvernements pour l’élaboration d’un instrument juridique international contraignant sur la diversité culturelle. Faut-il que nous le dotions aussi d’un organisme sui generis pour en assurer l’application ou jouer le rôle de pionnier et de source d’inspiration au sein de l’Unesco ? Nos travaux devraient, sur ce point, dégager un nécessaire consensus. « La Conférence des femmes de la francophonie à Luxembourg a déjà donné lieu à des programmes favorisant l’éducation, la formation, la santé et l’implication des femmes dans le développement ; mais tous ces efforts ne me semblent guère suffisants, tant qu’ils n’assurent pas aux femmes un rôle effectif dans les institutions politiques et une participation substantielle à l’exercice du pouvoir dans leurs pays, véritable garantie d’une démocratie moderne. « Sur la question de la démocratie précisément, nous avons mené une longue réflexion et abouti à l’adoption de la déclaration de Bamako, qui est un texte de référence pour la pratique de la démocratie, des droits et des libertés dans l’aube de ce troisième millénaire. Nul ne pourra donc reprocher à notre mouvement d’avoir, en choisissant ce thème pour son IXe Sommet, vu, très tôt, très loin. « Face au risque d’hégémonie dans les domaines de la norme et de la culture, face aux exigences de gouvernance globale induites par les risques collectifs et planétaires, face à la soumission croissante des cultures et des biens culturels aux logiques marchandes, face au fossé économique que la disparité des savoirs va creuser de jour en jour entre le Nord et le Sud comme au sein de chacun de ces deux ensembles voire au sein de chacune de nos sociétés, face à tout cela, il n’est d’autre chemin que le dialogue interculturel pour faire entendre la voix de l’humanisme que la francophonie entend maintenir et transmettre. « Nous le disons avec d’autant plus d’insistance que notre pays est situé dans une région du monde où ce dialogue n’est pas admis par tous. Nous le disons en pensant d’abord à Jérusalem que certains, loin d’accepter d’en faire un lieu de convivialité des adeptes des religions qui vénèrent cette ville, veulent la rattacher de force à une foi particulière aux dépens des autres. Nous le disons en pensant aussi à un processus de paix bloqué par la négation même des droits les plus légitimes de tout un peuple qui souffre, le peuple palestinien. Nous le disons aussi en pensant à notre propre pays qui a réussi à libérer, par le sacrifice de milliers des siens, la plus grande partie de son territoire et qui souhaite, comme tout un chacun d’entre vous, d’assurer sa souveraineté sur ses ressources naturelles. Inclusion et exclusion « La culture peut être un facteur de discrimination quand elle est déclinée sur le mode de l’inclusion et de l’exclusion. Des pratiques d’exclusion d’une évidente clarté ont atteint, à la fin du siècle dernier, une dimension inquiétante. Les menées atroces de purification ethnique, linguistique ou confessionnelle ; les guerres identitaires avec leur velléité d’éradiquer l’autre constituent dorénavant l’écrasante majorité des conflits qui ont éclaté de par le monde depuis la fin de la guerre froide, comme si le facteur culturel pouvait jouer le rôle de cri de ralliement sur les décombres du facteur idéologique aujourd’hui affaibli. Qu’ils ravagent les Balkans, l’Afrique, le Proche-Orient ou d’autres coins du monde, ces conflits répondaient prétendument à un appel à la pureté. Mais douteuse est la pureté qui conduit à l’éradication de l’autre, de son patrimoine, de son artisanat, de sa langue, de son mode de vie, de son habitat et de tout ce qui fait sa singularité. « Mais d’autres projets d’exclusion apparemment moins offensifs suscitent autant de craintes tout en se drapant dans des projets d’inclusion. Le mythe du marché comme seul vecteur d’intégration douce, l’appel au mimétisme uniformisateur induit par la mondialisation, l’adoption de certains mécanismes constitutionnels où les majorités sociales sont complaisamment traduites en majorités politiques, semblent relativement innocents, mais ils n’enlèvent rien à la peur des minorités d’être laminées d’une manière inoffensive et de s’éteindre par une espèce d’inclusion qui serait synonyme d’étouffement. « Si nous ne pouvons pas admettre de pureté forcée, ne succombons pas non plus à l’utopie du métissage salvateur. L’interaction culturelle est certes un préalable de survie mais notre souci d’inclusion ne doit pas aboutir non plus à l’extinction de la culture du plus faible au travers de son absorption par celle du plus fort. L’apologie inconditionnelle du métissage, de l’inclusion, du multiculturalisme aboutit, elle aussi, à renforcer les peurs des parties les plus faibles. « Si le facteur culturel est entré comme par effraction dans la sphère du politique et dans celle de l’économie, nous ne pouvons plus nous contenter de clichés faciles pour le traiter. Le XXe siècle a vu la disparition pure et simple de centaines de langues, le XXIe siècle ne serait être un cimetière de langues et de cultures menacées précisément parce que l’identité est une donnée qui n’est pas intangible, mais qui est friable, précaire et reconstructible à l’extrême. C’est pourquoi elle demande à être protégée, reconstruite, surtout quand l’environnement ambiant est marqué par des velléités hégémoniques. La problématique de la langue « Loin d’être le mal absolu parfois décrié, la mondialisation pourrait rendre universel ce qui est local. Elle peut aiguiser nos vues et nos concepts en nous montrant que les civilisations ne sont pas des monolithes fermés et massifs et ne peuvent être considérées comme de véritables acteurs internationaux mais de simples viviers de goûts et de modes de vie et qui, loin de s’entrechoquer inéluctablement, ne cessent de s’enrichir par des emprunts mutuels. Le patrimoine culturel se caractérise certes par un ancrage spatial, des liens à une communauté définie de personnes, mais en dépit de tous ces paramètres déterminants, il peut devenir accessible à quiconque, grâce au processus d’universalisation.(...) « La problématique de la langue est peut-être l’un des exemples les plus pertinents de ce que cherche à sauvegarder la notion de diversité culturelle telle que nous l’avions, ensemble, élaborée. Depuis un moment déjà, la francophonie institutionnelle n’est plus concernée exclusivement par les seules questions de sauvegarde et de promotion de la langue française. Bien entendu, le français reste le critère premier de notre appartenance commune à l’espace et à l’enceinte francophones. Mais nous sommes tous conscients qu’une langue n’est après tout qu’un vecteur, et que derrière ses intonations sont véhiculés maints signes, symboles et valeurs. S’il est souvent question, lorsque nous parlons des instances de la francophonie, de “français en partage”, c’est qu’il s’agit bien de mettre en exergue un espace somme toute différencié, où le français est inégalement parlé, mais aussi parlé autrement. C’est à partir de ce constat riche de potentialités que la francophonie s’est intéressée à de nouveaux questionnements et qu’elle s’est orientée vers de nouvelles sensibilités qui, chacune avec son accent inédit et unique, enrichissent la francophonie et la régénèrent. La francophonie, pour pouvoir être l’apôtre de la diversité culturelle, a heureusement su en être d’abord le modèle.(...) « Je préfère, pour ma part, voir dans la francophonie un laboratoire où sont testées des relations internationales moins obsédées par la logique marchande ou par les rapports de force militaires et technologiques, un laboratoire où les essais réussis seraient ensuite transmis par les pays francophones aux organisations universelles telles que l’Unesco, l’Onu ou l’OMC. Je préfère y voir ensuite une tribune où s’exprimeraient plus librement les angoisses, les frustrations mais aussi les rêves des pays du Sud qui y sont légion et semblent s’y sentir plus à l’aise que dans les organisations plus larges. Je préfère enfin y voir une antichambre de la modernité, où les pays menacés par l’indifférence des grands s’arrêtent pour mieux s’armer avant leur plongée dans le tourbillon du monde. Car le monde hier clivé par les blocs idéologiques et stratégiques l’est désormais par une mondialisation qui oppose d’abord les branchés du système à ses marginalisés. La francophonie peut, doit, être ce laboratoire, cette tribune et surtout cette antichambre de la mondialisation, où ce nouveau clivage qui s’approfondit entre nos pays et, plus grave encore, au sein de chacun de nos pays, est altéré sinon brisé. J’ai toujours pensé que l’avenir de notre mouvement ne dépendait pas seulement de la qualité du diagnostic qu’il faisait de la réalité mais aussi de l’ardeur qu’il déploie pour la changer. Je suis persuadé que vous partagez avec moi cette double exigence. »
La francophonie ? Ghassan Salamé la voit à la fois comme un laboratoire, une tribune et une antichambre de la modernité. Et il estime que l’avenir de ce mouvement dépend autant de la qualité du diagnostic fait de la réalité que de l’ardeur déployée pour changer celle-ci. C’est autour de ce thème majeur que le ministre libanais de la Culture a axé son intervention...