La mécanique des fluides

Il n’y a pas de hasard ? Aujourd’hui, au même moment, dans deux bâtiments adjacents, se tiendront deux événements qui, nécessairement, en se partageant quasiment le même espace sacré – le tribunal de justice –, vont se faire écho, donner le la de la semaine infernale. Par-là même, sans aucun doute, ces deux événements réserveront aux invités francophones du Liban un véritable petit état des lieux de quelques-unes de ces valeurs-mères, ces « bons » clichés, que la francophonie trimbale avec elle, où qu’elle aille, et que le Liban a urgemment et nécessairement besoin de réapprendre : la démocratie, les libertés publiques, l’égalité de la justice pour tous, la bonne gouvernance, et tutti quanti. L’Institut des droits de l’homme du barreau de Beyrouth et l’Organisation internationale de la francophonie organisent une assemblée internationale des Instituts et des réseaux francophones des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix. En présence notamment de Raymond Chédid, de Boutros Boutros-Ghali et de Samir Jisr. Force est de parier que les cinquante spécialistes et dirigeants d’Instituts des droits de l’homme de plus de vingt pays francophones arriveront à Beyrouth riches de tout ce qu’ils savent, de tout ce qu’on leur a dit, sur la désolante gestion made in Lebanon des principes immarcescibles de tous ces droits-là et de leurs corollaires. Force est de parier, aussi, que les dirigeants libanais qui, depuis des jours et des lunes, foulent à tous les pieds les valeurs dont on débattra aujourd’hui, ne manqueront pas d’écouter, d’entendre, ce qui se dira au Palais de justice. Force est de parier, enfin, qu’au lieu de s’en inspirer, ces mêmes dirigeants continueront d’ignorer, ostentatoirement, ces valeurs. Parallèlement à ce colloque, où tout le monde a été convié, à commencer par les journalistes, se déroulera, enfin, le procès de la MTV. Prohibée depuis le 4 septembre. Chose inouïe dans une démocratie parlementaire : ce procès se fera à huis clos. Les directeurs des Instituts des droits de l’homme, réunis juste à côté, auront certainement les bras qui leur en tomberont. Et pendant que là-bas ces derniers tenteront de voir comment l’on pourrait faire pour bonifier la démocratie ou les libertés publiques aux quatre coins de la planète francophone, ici, on fera le procès d’une chaîne de télévision. Qui, sous prétexte d’avoir violé la loi en se lançant dans de la publicité électorale illicite (il faudra expliquer aux francophones d’à-côté pourquoi Télé-Liban, coupable en 2000 des mêmes fautes, n’a pas écopé de la même sanction), a été réduite au silence, et ses 450 employés au chômage, pour servir de bien scandaleuses vengeances, ainsi qu’une bien mesquine volonté de museler encore davantage une opposition démocratique dans son ensemble. D’un côté, la transparence, la clarté, et ce louable besoin de jeter aux yeux de tous, de partager avec eux, tout ce qui se dira aujourd’hui. De l’autre, l’urgence de cacher, d’obscurcir, de verrouiller portes et fenêtres. Dans quels desseins ? Il n’empêche, les juges du tribunal des imprimés, qui devraient statuer demain sur le sort de la MTV, sont certainement de fort honnêtes gens. Encore faut-il que leurs décisions puissent être libres. Ce n’est donc pas à eux, mais à ceux qui les « conseillent », que l’on devrait demander de tendre l’oreille, samedi, de s’inspirer, de s’imprégner, de ce qui se dira de l’autre côté du mur. Pour que le IXe Sommet de la francophonie, qui porte en lui de très belles espérances et de sacrés enjeux, commence sous les meilleurs augures ; pour que le Liban, en quête haletante de crédibilité et de dollars, réussisse à réellement redorer son blason ; et pour que justice soit faite. Ziyad MAKHOUL