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Actualités - ANALYSE

« Le train » est encore à quai et il pourrait n’être qu’un ballon d’essai

Préparer la loi électorale trois ans avant l’échéance, du jamais-vu au Liban depuis l’accord de Taëf, tant les autorités ont pris la mauvaise habitude d’en parachuter le texte peu avant le scrutin, pour couper court à leurs débats. Ce qui devait donc être considéré comme une démarche louable s’est pourtant vite transformé en sujet de polémique, et les idées lancées par le ministre de l’Intérieur Élias Murr il y a une dizaine de jours ressemblent plus à de nouvelles pressions sur l’opposition qu’à un véritable projet de loi électorale… C’est dans une atmosphère alourdie par les crises à répétition entre le pouvoir et l’opposition chrétienne, que le ministre de l’Intérieur a lancé son idée d’une loi électorale qui ferait du Liban une circonscription unique. Aussitôt, et comme oubliant les autres sujets de conflit, les ténors de l’opposition, coiffés par les évêques maronites, ont poussé les hauts cris, considérant un tel projet comme totalement antidémocratique. Le ministre Murr a aussitôt riposté en se demandant pourquoi l’opposition critique aussi violemment ce qui n’est encore qu’un projet. Et l’opposition a très vite rétorqué qu’il valait mieux ne pas attendre que le projet devienne loi pour le critiquer, si on veut réellement y changer quelque chose… Bien que l’hostilité au projet ait désormais gagné des milieux relativement loyalistes, les proches du président de la République laissent entendre qu’il s’agit d’une idée sérieuse et que le brouillon du projet de loi instituant un sénat est déjà entre ses mains. Mais il ne l’enverra au Conseil des ministres pour examen qu’avec celui de la loi électorale, qui est loin d’être encore prêt. Un seul droit, celui du panachage En quoi consistent les idées avancées par le ministre Murr ? Dans le paysage politique traditionnel, elles représentent un véritable séisme. Transformer le Liban en une seule circonscription électorale, c’est gommer tous les petits groupes qui n’auront pas les moyens d’intégrer une liste de 128 noms. Au départ, les mobiles pourraient être justifiés : obliger chaque électeur à choisir les 128 membres du Parlement c’est l’impliquer dans le choix de tous les députés du Parlement, et l’aider ainsi à sortir des considérations régionales et personnelles qui dictent en général son vote. C’est aussi faire de chaque élu le représentant de tout le peuple libanais, et non celui de sa région ou même de sa confession. De même, pousser chaque électeur à choisir tous les membres du Parlement, quelles que soient leur région ou leur confession, permet d’écarter les extrémistes d’un côté comme de l’autre, qui n’obtiendront jamais les suffrages des électeurs du camp opposé. La démarche serait donc la suivante : les chrétiens n’accepteraient de n’élire que des musulmans modérés et les musulmans ne choisiraient que des figures chrétiennes modérées. Pour un pays qui n’en finit plus de vivre des secousses politiques ou confessionnelles et qui est sans cesse la proie des divisions internes, plus ou moins alimentées par l’étranger, l’idée pourrait paraître idéale. Même si elle n’est pas encore cohérente. En effet, dans tous les pays à régime démocratique dans le monde, lorsque la circonscription électorale est grande, le système du scrutin proportionnel est adopté, et lorsque le mode de vote est majoritaire, la circonscription est petite. Or, selon les idées lancées par le ministre de l’Intérieur, il s’agirait d’un vote majoritaire (donc sans système proportionnel), dans une circonscription unique, une première en somme dans le monde. En tout cas, pour l’opposition, elle est totalement irréaliste, ou, en tout cas, contraire à la démocratie. D’abord, parce qu’en raison de l’absence d’une politique officielle d’ouverture et d’information, les électeurs se retrouveront face à une liste composée pour la plupart d’inconnus. Et pousser l’électeur du Sud à s’intéresser aux problèmes du Akkar et à ses candidats nécessite un programme d’éducation civique de longue haleine, dont même les premiers balbutiements n’ont pas encore été établis. Face à une liste de 128 noms, pour la plupart inconnus de lui, l’électeur, soit la glissera en entier dans l’urne pour faire plaisir à telle ou telle autre force politique, soit biffera la plupart des noms, pour ne laisser que ceux qu’il connaît. Des moyens énormes et des alliances puissantes Sans parler de l’imbroglio dans le dépouillement des votes : avec quatre ou cinq noms choisis parmi les 128, on sera loin du schéma d’un vote réellement représentattif, puisque le choix des électeurs se limitera à ceux qu’ils connaissent et ceux qu’ils ne connaissent pas. Pour élargir toutefois l’éventail du choix, le ministre de l’Intérieur – qui a bien précisé qu’il ne s’agissait pas encore d’un projet complet – a laissé entendre que les listes pourraient être panachées, à condition que chaque nom biffé soit remplacé par un autre de la même confession et de la même région, pour ne pas se retrouver, au moment du dépouillement, avec des bulletins déséquilibrés. Mais l’idée reste insuffisante pour assurer un véritable choix chez les électeurs. Car le principal obstacle auquel se heurteront les candidats consistera essentiellement à se faire connaître de tous les électeurs du Liban. Il faut, pour cela, soit des moyens énormes, soit des alliances avec des groupes puissants, en mesure d’influer sur l’ensemble de l’électorat. Ce sont d’ailleurs ces considérations qui ont poussé les évêques maronites, dans leur communiqué de mercredi dernier, à utiliser l’expression « au lieu du bus habituel, les candidats devront désormais prendre le train », dans une allusion très claire aux listes préfabriquées qui ressemblent à un train en marche. En effet, qui pourrait former une liste de 128 noms, cueillis aux quatre coins du Liban, si ce n’est le pouvoir, ou son allié syrien ? D’où l’impression générale que, en dépit d’éventuelles bonnes intentions initiales, l’idée d’une circonscription unique donnerait naissance à un Parlement préfabriqué, totalement contrôlé par ceux qui ont formé la liste des 128 et en tout cas peu représentatif, puisque les petits groupes, les mouvements qui n’ont pas de prolongement sur l’ensemble du territoire n’y seront pas représentés. Le Parlement issu d’une telle loi électorale serait donc encore mieux contrôlé par les Syriens que les Chambres qui se sont succédé depuis Taëf. Au point que certains observateurs politiques estiment que l’idée lancée par le ministre Murr proviendrait directement de Syrie. Il s’agirait ainsi d’exercer de nouvelles pressions sur l’opposition, à l’heure où le pays frère, qui craint les développements régionaux, souhaiterait verrouiller le système libanais et éviter de laisser la moindre brèche par laquelle pourraient s’engouffrer ses ennemis régionaux ou internationaux. Mais les élections législatives libanaises ne devant avoir lieu qu’en 2005, la Syrie aura largement eu le temps de faire face aux bouleversements régionaux d’ici là. En somme, il ne s’agirait que d’une manœuvre politique, une sorte de ballon d’essai, destiné à effrayer l’opposition, à la veille de la guerre américaine contre l’Irak. Quant à l’idée de la création d’un Sénat, qui regrouperait toutes les confessions et qui serait présidé par un druze, elle était certes prévue dans l’accord de Taëf, mais en tant que premier pas vers l’abolition du confessionnalisme, qui serait éliminé de la loi électorale. Dans le contexte actuel, et alors que dans les idées du ministre, les 128 députés continueront à être élus sur base confessionnelle, il ne s’agirait donc que d’une sorte de lot de consolation destiné à faire avaler la pilule de la circonscription unique.Tel est donc le contexte général, et le sort de l’idée lancée par le ministre de l’Intérieur reste tributaire de la situation régionale. Coincés, les Syriens serrent les vis et leurs alliés libanais cherchent à en profiter, mais l’idée ne semble pas devoir se concrétiser. Scarlett HADDAD
Préparer la loi électorale trois ans avant l’échéance, du jamais-vu au Liban depuis l’accord de Taëf, tant les autorités ont pris la mauvaise habitude d’en parachuter le texte peu avant le scrutin, pour couper court à leurs débats. Ce qui devait donc être considéré comme une démarche louable s’est pourtant vite transformé en sujet de polémique, et les idées...