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Actualités - REPORTAGE

Sabra et Chatila revus par les jeunes réfugiés Le regard que portent les adolescents des camps sur leur propre misère(PHOTOS)

Des photos de camps palestiniens, on en a déjà vu, dont certaines ont même fait le tour du monde. Et là, une nouvelle fois, c’est Sabra et Chatila qui a été saisi par les objectifs, à la différence près qu’il ne s’agit ici ni de photographes professionnels ni de touristes venus découvrir la réalité de cet îlot de misère. Pour la première fois, ce sont les enfants du camp qui ont décidé de figer la cruauté de leur vie quotidienne dans des clichés autrement captivants. Sur une initiative de Allan Gignoux, un photographe anglais professionnel, dix enfants réfugiés à Chatila ont appris ensemble à utiliser un appareil photo et à laisser libre cours à leur créativité. En immortalisant toutes les couleurs de tristesse et de désolation qui s’étalent dans les dédales de leur camp, Ahmed, Ranim, Samar, Mohammed et les autres ont réussi à fixer sur pellicule tout un patchwork de sentiments qu’ils n’avaient probablement jamais eu l’occasion d’exprimer. L’originalité de ces œuvres ne réside pas tant dans les thèmes choisis, déjà connus en ce qui concerne les camps, que dans les regards bouillonnants et souvent drôles que portent ces enfants sur leur espace clos et dénudé. « L’enfance au travail », « L’abandon », « Les graffitis », « Vie d’adolescents », « Scènes de la vie familiale », etc., autant de sujets qui ont inspiré ces photographes en herbe, lancés à la redécouverte de leur environnement. Le poids de la vie politique – incarnée par les portraits d’Arafat et de Sharon en toile de fond – se fait lourdement sentir à travers ces petits chef d’œuvres. Le résultat est étonnant et les scènes, poignantes. Face aux monticules d’ordures, un marchand ambulant, s’obstinant à vendre ses légumes, esquisse un sourire. Au côté d’un immeuble délabré, des portraits d’enfants qui se débattent contre leur destin. Et puis, cette poupée désarticulée au milieu de gravats couleur désespoir. « Cette scène me rappelle la guerre et la mort qui s’ensuit », explique Samar, l’auteur de cette magnifique photo. Faisait-elle allusion aux terribles massacres dont elle a entendu le récit de la bouche de ses aînés ? Ahmed ne saura pas, lui non plus, répondre à cette question lorsqu’il commentera la photo de son jeune ami « orphelin ». « J’ai voulu montrer aux gens le drame que vit mon copain, qui a récemment perdu ses parents. Il vient chez nous de temps en temps, à la recherche d’un peu de compagnie », dit-il en brandissant la photo d’un garçon de douze ans, qui astique de toutes ses forces une BMW. Lina, 16 ans, a voulu dire son histoire différemment, avec toutefois une note d’espoir. « Mes photos reflètent la continuité dans la vie du camp. J’ai voulu surtout montrer le courage des réfugiés, malgré les difficultés économiques.» Le thème qu’elle a choisi est celui d’une adolescence qui tente de mener une vie ordinaire, au rythme de l’Internet, de la mode et du maquillage. « Même si la situation est pénible pour la plupart d’entre nous, les jeunes essayent de vivre normalement, un peu à la manière de ceux qui sont dehors », dit-elle. Samar se dépêche de commenter, comme si elle craignait que le message ne passe pas : « C’est vrai qu’ils ont l’air heureux dans la photo, mais au fond, ils sont désespérés d’être si éloignés de leur pays.» Le droit des enfants revient sur toutes les lèvres et, comme un leitmotiv, se retrouve dans presque toutes les photos. Ahmed ne s’y trompe pas : « L’enfance est belle et bien malheureuse dans ce coin. Ce terrain de football nous était réservé », dit-il en exhibant une de ses œuvres. » Depuis quelques mois, un agent immobilier a mis la main dessus. Mais nous ne lâcherons pas prise », poursuit-il, en signifiant sur un ton sérieux que les habitants du quartier compte porter plainte. « En l’absence de terrain de jeux, les enfants du quartier sont acculés à jouer dans les rares espaces qui n’ont pas été envahis par les maisons, les commerces ou les détritus », poursuit l’enfant. Mohammad, lui, a été jusqu’au bout de l’expérience, fignolant l’expression artistique dans ses œuvres. « Regardez ces tomates. On dirait des diamants », répète inlassablement le jeune garçon en commentant son cliché. Réalisé en collaboration avec la société Fuji et le ministère de l’Éducation nationale, le projet en est à sa seconde édition, après l’Afrique du Sud. Le choix des enfants a été fait sur la base de leurs « affinités artistiques ». « L’idée était de leur permettre de porter un regard autre sur leur quotidien et de l’exprimer à travers l’art », explique M. Gignoux, qui espère éveiller chez certains un don caché. L’exposition, qui se tiendra aujourd’hui à l’Unesco, présentera les meilleures 25 photos. « Sur 120 clichés, nous avons au moins 60 qui sont excellents », affirme le photographe avec un brin de fierté. Jeanine JALKH
Des photos de camps palestiniens, on en a déjà vu, dont certaines ont même fait le tour du monde. Et là, une nouvelle fois, c’est Sabra et Chatila qui a été saisi par les objectifs, à la différence près qu’il ne s’agit ici ni de photographes professionnels ni de touristes venus découvrir la réalité de cet îlot de misère. Pour la première fois, ce sont les enfants...