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Actualités - CHRONOLOGIE

AUDIOVISUEL - Une source ministérielle se confie à « L’Orient-Le Jour » Les dessous de l’affaire des poursuites contre la LBC(PHOTO)

Ghazi Aridi n’a pas adressé une information judiciaire à Adnane Addoum contre la LBC, après que la chaîne de télévision eut commenté et analysé, à sa manière, la tuerie de Mazraa, mercredi dernier. Il a envoyé « un courrier » au procureur général, où il explicitait ce qui s’est passé. Dans le but de mettre un terme à la confusion, aux commentaires et aux débats qui font rage depuis près d’une semaine. Et c’est sur la base de ce courrier que le juge Joseph Maamari a porté plainte contre la LBC pour dissensions confessionnelles et troubles à l’ordre public. Sauf que depuis deux jours, la rue chahute, les Libanais s’interrogent. Comment un ministre de l’Information de la trempe de Ghazi Aridi, connu pour ses prises de position implacables et sans concession aucune en faveur de la liberté des médias et de la presse, peut-il virer ainsi de cap, faire comme tous ceux qu’il a constamment et publiquement condamnés, et s’en prendre à une chaîne de télévision ? «Vous voulez comprendre ? Remontez de vingt mois environ. Tout est lié à la MTV. On l’a accusée d’être la voix du conseil de guerre des Kataëb. Qu’elle détruit le pays, et que c’est Ghazi Aridi qui la protège et qui empêche sa fermeture, qui est responsable de tout cela. » La source ministérielle interrogée par L’Orient-Le Jour ne s’embarrasse plus de chichis. « Les plaintes sont arrivées jusqu’à Damas. » Les plaintes de qui ? « De tous ces flagorneurs, ces flatteurs, qui gravitent autour de Baabda. Et qui en veulent à la MTV comme jamais – avant, c’était contre la LBC qu’ils en avaient. Qui n’attendent pas que Damas leur demande quoi que ce soit. Qui anticipent. Parce que la Syrie n’est intervenue en rien dans tout cela. Le ministre de l’Information a été voir Bachar el-Assad à Damas, après qu’il a été reçu à Bagdad par Saddam Hussein. Il a beaucoup parlé de la situation régionale, puis, en ce qui concerne l’information, a écouté les compliments du n° 1 syrien. Qui a loué sa sagesse, réitéré sa confiance en lui, affirmé qu’il ne voulait aucune fermeture, et que son pays n’entendait pas se mêler de tout cela. » Refuser le principe de sélectivité Ghazi Aridi, selon la source précitée, a toujours refusé ce principe de sélectivité, selon lequel « on musèle tout, celles et ceux qui ne font pas et ne disent pas ce qu’on leur demande de faire ou de dire, et on protège celles et ceux qui nous cirent les chaussures ». Le ministre de l’Information veut que la loi sur l’audiovisuel soit appliquée à tous. « Les contempteurs de la MTV ont senti que même les accusations envoyées à Damas n’ont pas fait plier Ghazi Aridi. Avant, il y a eu cette histoire où ils ont essayé de convaincre sept ou huit ministres, avant la séance du Conseil des ministres, de voter pour la fermeture de la MTV. On a même voulu convaincre Rafic Hariri, en lui promettant de fermer la NewTV, dont le patron, Tahssin Khayat, est à couteaux tirés et avec le Premier ministre et avec le directeur général de la Sûreté générale. Rafic Hariri avait même fait comprendre à Ghazi Aridi que l’idée de la fermeture de la MTV et de la NewTV ne lui déplaisait pas. Ghazi Aridi, avant même que le président du Conseil ne lui expose les motifs, lui a dit non. » La source ministérielle poursuit. Évoque la MTV période post-2 juin, après l’élection partielle du Metn. De même que la campagne de la LBC contre les agences exclusives et contre le Premier ministre. « Ghazi Aridi s’est entretenu avec Pierre Daher et avec les Murr. Il leur a demandé de coopérer. De comprendre que la loi va être appliquée sérieusement, qu’ils fassent attention, et qu’ils ne provoquent pas un accident de parcours avec lui. Parce que c’est à lui d’assumer si la loi est bafouée, il leur a demandé de respecter cette loi. De même qu’il a demandé au chef de l’État, toujours pour continuer à faire son travail, de contrôler ses hommes et de les empêcher de se mêler de la ligne politique de telle ou telle télévision. Il a dit à Daher et aux Murr que si quelqu’un leur martèle que telle ou telle chose est interdite d’antenne, de répondre : “Allez voir le ministre de l’Information”. Ghazi Aridi leur a dit qu’ils pouvaient qualifier la situation économique de catastrophique, qu’il était de leur devoir d’évoquer les relations libano-syriennes. Mais qu’ils le fassent intelligemment, en créant le débat, en mettant les deux camps en présence, sans faire de campagne outrancière », ajoute la source ministérielle. « Il y a eu ensuite une petite période de calme, que les flagorneurs en tout genre n’ont pas supportée. Comme ils n’ont pas pu supporter l’idée que Ghazi Aridi ait été capable de réguler tout cela. Ils sont impatients. Ils veulent la peau de la MTV », persiste la source en question. Alors qu’une seconde source ministérielle va jusqu’à affirmer qu’il « y a une combine entre Baabda et la LBC contre la MTV. Pensez aux intérêts, financiers comme politiques, de la LBC si la MTV venait à disparaître ». Et la première source revient à la charge. Parle des « tentatives d’un haut responsable des Services de sécurité de convaincre Ghazi Aridi de fermer la MTV. Il a même été voir Walid Joumblatt pour cela. Sans succès. Sauf qu’une tierce personne a pu convaincre Aridi de dîner en présence du haut responsable. Ghazi Aridi s’est déchaîné contre l’homme des Services. Lui a hurlé que chacun devait faire son boulot. Que cela suffit avec les voyous et les terroristes. » Entre reportages et éditorial Le jour de la tuerie de Mazraa. Ghazi Aridi est à Koraytem, en compagnie de Rafic Hariri, Jean-Louis Cardahi, Élias Murr, Ali el-Khalil. On parlait de cellulaire, bien évidemment : c’était la veille du 1er août. Ghazi Aridi, raconte la source ministérielle, a eu les noms des victimes. À majorité chrétiennes. « Il a dit au Premier ministre qu’il fallait tout de suite faire quelque chose, que les médias allaient focaliser sur ce point. À Élias Murr, qu’il fallait coopérer. Pierre Daher l’appelle, lui dit que les accusations confessionnelles sur le lieu du massacre ont été filmées. Ghazi Aridi n’a pas compris qu’il voulait les utiliser. Il lui a juste demanté de se souvenir de leur conversation : qu’il fallait faire attention. Il a ensuite essayé de joindre à trois reprises le chef de l’État. Vainement. Puis il a vu le journal de la LBC, après avoir répondu aux questions d’une journaliste de la chaîne. Ce qui l’a horrifié, ce qui l’a blessé – après toutes les conversations qu’il a eues avec Daher – ce ne sont pas les reportages. C’est l’éditorial du journal. Ce n’était pas la peine d’être aussi outrancier. Il aurait pu inviter des intervenants. Les gens comprennent d’eux-mêmes. » Le Conseil des ministres Et puis il y a eu le Conseil des ministres du 1er août. Pour comprendre que Ghazi Aridi « n’a rien à voir avec tout cela ». Et que la LBC n’est qu’un paravent, « que c’est la MTV qui est surtout visée ». Le président Lahoud rappelle que Rafic Hariri a transmis le dossier à la Cour de justice, pour accélérer au maximum la procédure. Une minute de silence a ensuite été observée – façon de marquer le coup. « Fouad el-Saad a pris la parole. Il a raconté qu’il venait d’assister à cinq enterrements, entre Furn el-Chebback, Wadi Chahrour, etc. Que le crime était innommable. Que l’état de la sécurité est lamentable. Qu’il fallait réagir à cela, comme à ce qui s’est passé à Saïda. Le chef de l’État a répondu qu’il ne faut pas généraliser, que même aux États-Unis, cela arrive. Bahige Tabbarah et Samir Jisr débattent de condamnation à mort. Chose qu’Émile Lahoud ne voit pas d’un bon œil : il appréhende la réaction des partenaires européens du Liban. Ali Abdallah intervient alors, assure que tout le monde réprouve, mais que les médias n’ont pas à créer des dissensions confessionnelles. Le président répond que les médias en question sont de mauvaise foi. Abdallah reprend, déclarant que cela pouvait paver la voie à de nouveaux crimes, et que les médias n’ont pas à faire comme ils veulent. Georges Frem rappelle l’assassinat de Ramzi Irani, demande si l’on veut empêcher les chrétiens de vivre à l’ouest de Beyrouth. Marwan Hamadé applaudit l’intervention de Ghazi Aridi à la LBC, en insistant sur le caractère incitateur de l’éditorial. Ghazi Aridi, qui ne voulait pas rajouter une nouvelle crise à celle du cellulaire, propose d’attendre la décision du CNA, et dit qu’il va s’en occuper », raconte la source précitée. Elle poursuit. « Rafic Hariri intervient un peu plus tard, demande les pires sanctions, réfute le caractère confessionnel du crime, dénonce l’incitation des médias, et reproche à Ghazi Aridi le fait que l’on dise, à chaque reprise : “La prochaine fois, on leur montre”, on les sanctionne. Élias Murr intervient alors, dénonce le journal de la LBC, dénonce le climat sectaire et confessionnel, et accuse les médias d’en abuser pour booster l’audience. Et rappelle tout l’historique des médias, manière de mettre le doigt sur le passé long de vingt mois de la MTV. Ils les accusent de noircir à volonté le tableau sécuritaire et économique, et exige les sanctions les plus dures, les décisions les plus radicales, à l’encontre de “toutes” les entreprises. Nazih Beydoun demande même la condamnation à mort des journalistes qui incitent aux dissensions confessionnelles. Mahmoud Hammoud appuie à son tour Élias Murr. Ghazi Aridi reprend la parole, demande qu’on le laisse traiter calmement le dossier, qu’il assume tout. Issam Farès va chuchoter quelque chose à l’oreille du président. Qui dit que tout cela est très délicat, qu’on ne peut pas laisser les gens faire ce genre d’incitations comme ils le veulent. Demande à Aridi de préparer un mécanisme de sanction au cas où. Lequel Aridi ne comprend plus du tout ce que l’on attend de lui. Rafic Hariri approuve le président. Khalil Hraoui demande à ce qu’on laisse Ghazi Aridi faire. Pierre Hélou rappelle que les libertés, c’est tout aussi important que la nécessité d’éviter les dissensions. Il rappelle que l’anniversaire du 7 août, c’est dans quelques jours. Recommande au Conseil des ministres de prendre son temps. Farès propose la création d’une commission ministérielle que présidera Rafic Hariri. Qui refuse tout net. Le président Lahoud dit alors que c’est un mauvais timing. Qu’il ne faut pas fermer maintenant une quelconque chaîne de télévision. Les ministres se dirigent vers un consensus sur le “laissons faire Ghazi”. Sauf que quelques minutes plus tard, le président change d’avis. C’était une séance folle », commente la source. Pour un mécanisme de sanctions « Le président reprend la phrase de Rafic Hariri. Confirme ce qu’a dit le Premier ministre. Qu’on ne peut pas continuer comme ça. Qu’il faut que Ghazi Aridi mette sur pied un mécanisme de sanctions. Il dit qu’il faut trouver une solution, que tout cela ne peut pas durer éternellement. Ghazi Aridi manque s’étrangler. Ils lui ont dit de s’occuper à appliquer la loi. Il leur a dit qu’il se moquait et de la LBC et de la MTV et que tout cela relève des petits comptes d’épiciers. Manière de comprendre que ceux qui vous protègent aujourd’hui vous tomberont dessus demain. Aridi poursuit : “Et si le CNA me demande trois jours de fermeture pour la LBC ? Qu’est-ce que je fais ? Vous dites que ce n’est pas le bon timing, dites-moi ce que je fais alors...” Aridi a eu sa réponse : “Tu vois toi ce que tu as à faire”... Alors Ghazi Aridi reçoit Pierre Daher. Qui lui reproche un peu de violence dans ses propos publics. Aridi lui répond qu’il est blessé, à tous les niveaux. “C’est à vous, les politiques, de régler la crise économique, les conflits inter-troïka, etc. Au lieu de faire l’autruche”. Aridi lui rappelle qu’il a dit tout cela plusieurs fois, sur son antenne même. Qu’il avait soutenu que le problème était politique, et non pas lié à l’information. Les deux hommes discutent, Aridi reprend les mêmes arguments, Daher répète que le but de la LBC n’était pas du tout de créer des problèmes confessionnels, reconnaît que la chaîne a fait une erreur, et souligne qu’il accepte tout ce que la loi stipule, ainsi que tout jugement. Ghazi Aridi, qui n’en dormait plus, a décidé qu’il était inutile d’être plus royaliste que le roi, et a adressé un courrier extrêmement soft à Adnane Addoum, dans lequel ne figure pas une fois le mot “poursuites”. D’ailleurs, il a tellement à cœur les médias que finalement, grâce à lui, ce n’est plus le CNA qui statuera (la LBC aurait risqué dans ce cas de trois jours à un mois de fermeture), mais le tribunal des imprimés (la peine maximum sera des amendes). Ghazi Aridi refuse définitivement le principe de la sélection, et combattra les combines, toutes les combines... Mais il veut, aussi, appliquer la loi. » Sauf qu’à vouloir rester toujours aussi intransigeant, intègre et jusqu’au-boutiste, à vouloir jouer les go-between à la Fouad Boutros (qu’il vénère et auquel il tend à ressembler, du moins dans le fond), à vouloir se disperser et dispendre son énergie sur tous les fronts, à vouloir être à la fois la figure fraternelle, amicale, tutellaire, et le justicier hypersoucieux de l’application de la loi, Ghazi Aridi risque la schizophrénie. Ou l’écartèlement. Ce qui serait dommage et dommageable pour la vie politique libanaise. Ziyad MAKHOUL
Ghazi Aridi n’a pas adressé une information judiciaire à Adnane Addoum contre la LBC, après que la chaîne de télévision eut commenté et analysé, à sa manière, la tuerie de Mazraa, mercredi dernier. Il a envoyé « un courrier » au procureur général, où il explicitait ce qui s’est passé. Dans le but de mettre un terme à la confusion, aux commentaires et aux débats...