Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Massacre - Ahmed Mansour ayant avoué son crime, l’enquête est sur le point d’être bouclée Le Liban en deuil enterre les victimes du planton tueur(photos)

Le plus terrible dans la tuerie de mercredi, c’est que le meurtrier est un homme ordinaire, au parcours d’une banalité affligeante. Depuis que la tragédie s’est produite, enquêteurs et experts passent au crible le passé d’Ahmed Mansour, pour tenter de trouver une explication à son acte. Une crise de folie, un moment d’égarement, des troubles d’enfance, des séquelles de la guerre... mais non, il n’y a rien qui justifie un tel massacre. Et, hier, alors que les familles des victimes, accablées de douleur, enterraient leurs morts, une seule question était sur toutes les lèvres : pourquoi ? Le Liban tout entier baignait hier dans la tristesse. Le massacre de la veille ne pouvait laisser personne indifférent. Et, après le premier choc, chacun commençait à réaliser l’ampleur du drame et surtout, son injustice. Comme s’il n’y avait pas suffisamment de raisons de mourir, il fallait encore y ajouter la vengeance d’un planton qui vivait au-dessus de ses moyens, trompant son village en prétendant être chef de département et jouant au notable, fier d’avoir épousé la fille du moukhtar et de s’être affilié au mouvement Amal, dont le drapeau trône fièrement dans son salon. L’acte d’Ahmed Mansour ne peut avoir aucune justification, aucune excuse, même si, quelque part, c’est l’absence de l’État qui n’a jamais voulu assumer ses responsabilités dans plusieurs régions du Liban, dont le Sud, qui a permis à des personnes sans éducation citoyenne, de croire qu’ils peuvent régler leurs propres comptes, en toute impunité. Au royaume du non-droit À 46 ans, ayant toujours vécu dans son village de Loubié, Ahmed Mansour n’a jamais connu l’État libanais, ses institutions, son pouvoir. Au Sud, les Palestiniens d’abord faisaient d’abord la loi, puis les Israéliens et enfin les deux grandes formations chiites, Amal et le Hezbollah. Pour régler les litiges, obtenir des facilités, construire une maison, trouver un emploi ou même se faire soigner, les habitants de cette région avaient essentiellement recours à ces formations plutôt qu’aux institutions de l’État, qui avait d’ailleurs cédé de bon gré ses attributs au pouvoir du fait accompli. Comment s’étonner, dans ce cas, si Ahmed Mansour, qui joue au nanti dans son village, habitué à un pouvoir illégal, n’ait pas pensé qu’un emprunt, cela se rembourse. Selon ceux qui le connaissent, l’homme n’avait pas songé un seul instant qu’il devait quelque chose à la mutuelle des enseignants où il travaille depuis 25 ans. Et lorsque la directrice, la jeune avocate Rachel Rahmé Saadé, mère d’un bébé de huit mois, lui a réclamé le remboursement de l’emprunt, il l’a très mal pris, considérant qu’elle le persécutait personnellement. Il aurait même consulté, à ce sujet, un avocat qui réside dans l’immeuble de la mutuelle, lui demandant ce qu’il devait faire. Et lorsque l’avocat lui aurait répondu qu’il devait absolument rembourser sa dette et qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement, Mansour se serait mis à proférer des menaces à l’égard de ses collègues et plus particulièrement de la directrice. L’avocat aurait d’ailleurs alerté Mme Saadé et ses collègues, mais nul n’a vraiment pris au sérieux la colère du planton. Pourtant, Ahmed aurait lancé les mêmes menaces dans les locaux de la mutuelle, lorsque le responsable de la caisse de la mutuelle lui avait rappelé, vendredi, qu’il devait absolument rembourser le prêt à la fin du mois. Le plan commençait donc à prendre forme dans la tête d’Ahmed Mansour qui pensait pouvoir accomplir son crime – fier de montrer sa puissance à ceux qui, à ses yeux, le traitaient avec tant de mépris, tout en se débarrassant du prêt – et rentrer ensuite dans son village « de non-État », où il raconterait son forfait et susciterait l’admiration de ses proches. « Désespérément sain d’esprit » Ce n’est qu’après l’interrogatoire préliminaire devant les policiers, puis le juge, lorsqu’il a compris qu’il était prisonnier et qu’il risquait la peine capitale, qu’il a réalisé qu’il y avait un État et des lois et que le criminel devait être châtié. On pourrait essayer de trouver d’autres explications mais, de l’avis de ceux qui l’ont interrogé, Ahmed Mansour est tout à fait lucide. Il serait « désespérement sain d’esprit », au point que nul n’a réclamé pour lui un examen psychiatrique. Son seul drame aurait donc été de vivre dans un monde à part, où l’État a démissionné de ses fonctions, préférant concentrer son autorité sur certaines régions du pays. Puisse cette horrible tragédie faire prendre conscience aux autorités de la nécessité d’assumer leurs responsabilités sur l’ensemble du territoire. Hier, en tout cas, le drame de Mazraa a été longuement commenté au sein du Conseil des ministres, et les ministres de l’Intérieur et de la Défense ont évoqué le problème des armes illégales, encore entre les mains des civils. De Kobeyate à Nabatiyé, une même tristesse Malgré toutes ces mesures, le traumatisme de ce mercredi tragique marquera longtemps les esprits. De Kobeyate (au Nord) à Nabatiyé (au Sud), le Liban portait, hier, le deuil et le président de la République a envoyé des représentants aux obsèques des huit victimes. Les ministres Georges Frem et Abdel Rahim Mrad se sont rendus au domicile de Rachel Saadé à Haret Sakhr et ils ont eu les larmes aux yeux en accueillant la dépouille mortelle de la jeune victime. Le ministre Mrad s’est aussi rendu à Kobeyate pour les obsèques de Maroun Moussa, 27 ans, frère unique de quatre filles. Aucun mot ne peut décrire la douleur de ses parents, ainsi que celle des proches des autres victimes. Sin el-Fil a pleuré Carlos Salamé, dont le cercueil entouré du drapeau des FL a provoqué les cris de ses compagnons. Hadeth a rendu un hommage émouvant à Huguette Féghali et Hazmieh a enterré Sleimane Jamous dans une grande tristesse. Quant à Sakiné Harkous, elle est revenue à sa terre natale à Nabatiyé, alors que la jeune Maria Tabet, qui donnait souvent ses sandwichs, par compassion, à l’assassin, était inhumée à Beyrouth. Beyrouth, où tous les enseignants étaient hier en deuil et où le siège de la mutuelle est resté fermé. Huit morts, huit tragédies et une enquête sur le point d’être bouclée, car le meurtrier a reconnu son crime et dévoilé son mobile, révélant qu’il a soigneusement prémédité son acte. Déférer le dossier devant la cour de justice, la plus haute instance judiciaire du pays – comme l’a décidé le Conseil des ministres – servira-t-il à empêcher la réédition d’une telle tragédie ? Le Liban tout entier n’avait, hier, qu’une prière : pourvu que cela n’arrive plus. Mais il faudrait pour cela que l’État assume ses responsabilités et commence d’abord par croire en lui-même. Scarlett HADDAD
Le plus terrible dans la tuerie de mercredi, c’est que le meurtrier est un homme ordinaire, au parcours d’une banalité affligeante. Depuis que la tragédie s’est produite, enquêteurs et experts passent au crible le passé d’Ahmed Mansour, pour tenter de trouver une explication à son acte. Une crise de folie, un moment d’égarement, des troubles d’enfance, des séquelles...