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Actualités - OPINION

REGARD - Affiches de tourisme de la collection Badr el-Hajj Origines insoupçonnées

C’est une tradition. À chacun de ses retours saisonniers, le Festival de Beiteddine donne à voir une mémorable exposition photographique. L’année passée, Badr el-Hajj, grand dénicheur de photos anciennes de l’Orient, nous avait longuement promenés à travers la Palestine, le Liban et la Syrie (Bilad el-Cham) dans de superbes clichés tirés de sa collection personnelle, constituée sur le modèle de celle de feu Fouad Debbas. Si proches et si lointaine Cette année, surprise, il nous emmène en de fabuleuses « excursions » autour de la Méditerranée : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Turquie, Syrie, Liban, Irak. Non plus en photos, mais en posters et placards hauts en couleur des années 1890 aux années 1960.Des affiches commanditées, en général, par des compagnies de chemins de fer et de navigation pour inciter les Européens à se rendre dans ces pays si proches et si lointains, à la fois accessibles et exotiques. De Londres, en passant par la France, la Suisse, l’Italie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce, la Turquie, on rallie le Caire en 7 jours par le Simplon-Orient-Express. Pour Bagdad, par le Simplon-Orient-Express-Taurus-Express il ne faut, en 1931, que 8 jours : « Sûreté, rapidité, économie », proclame l’affiche. Paris-Alexandrie s’expédie en 4 jours par Marseille en combinant trains et paquebots (Chemins de fer Paris-Lyon-Marseille et Messageries maritimes). En 1889, le « service rapide » de Paris à Constantinople par l’Orient-Express se faisait « sans changement de voitures et sans passeports » en passant par Munich, Vienne, Pest, Bucarest et Belgrade bien avant que la libre circulation des personnes et des biens ne rencontre les obstacles que l’on sait. Pour le Maroc, les Chemins de fer d’Orléans proposent en 1924 des itinéraires combinant au besoin le train, le bateau, l’avion et l’automobile. Hivernage Les affiches prônent « l’hivernage » au soleil de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et proposent des croisières d’hiver et de printemps en Méditerranée dans de « grands paquebots de luxe » comme le Neptunia de la Sitmar italienne. Parfois les affiches se contentent de très peu : « L’hiver en Égypte, saison 1909-1910. » Foin de slogans : tout est dans l’image, en général magnifiquement enlevée par de bons aquarellistes qui sont, en même temps, de bons publicitaires très au fait de l’impact visuel de ce moyen de communication de masse. Cette affiche montre une femme égyptienne voilée, enfourchant un âne harnaché conduit par un paysan en « gallabiyah » sur fond de pyramides, de palmiers et de felouques du Nil de manière à suggérer subliminalement l’idée d’une « fuite en Égypte» pour éviter le froid, la pluie, la grisaille. Une croisière de 17 jours en mer par le paquebot Providence prévoit entre autres une escale à Beyrouth avec traversée du Liban, visite de Damas et des ruines de Baalbeck. Dans les années 20, la compagnie de chemins de fer PLM se montre souvent très discrète dans ses posters, se contentant d’un sigle-logo pour laisser parler l’image avec un message simple et direct : « La Syrie et le Liban, pays de tourisme et de villégiature : bon air, beaux sites, belles routes, bons hôtels. » Peut-on en dire autant aujourd’hui ? Ou alors « Le tourisme en Syrie » pour une affiche reproduisant les ruines de Baalbeck, avec la mention « S’adresser à l’Office national du tourisme à Beyrouth. » Archétypes PLM a ainsi fait imprimer certaines des plus belles affiches consacrées au Liban et à la Syrie. Mais il y a bien plus : signées Dabo (Geoffroy d’Aboville) ou André Frémond, ces affiches des années vingt me semblent constituer les archétypes de la peinture de paysage au Liban et peut-être en Orient. Omar Ounsi, Moustafa Farroukh, César Gemayel semblent s’être inspirés de leur approche de la nature. Une affiche comme Le mont Sannin au-dessus de Beyrouth de Dabo (1921) avec sa pente garnie de pins et les montagnes au loin surplombées par le Sannine enneigé a été sinon carrément imitée du moins reprise maintes fois, de différentes manières, par nos aquarellistes. De même pour la Route d’Aley au pont du Cadi de Dabo (1927), avec, en plus de la manière d’appréhender, de cadrer et de composer le paysage, des qualités coloristiques modernes auxquelles nos artistes n’accèderont que bien plus tard, qualités rendues nécessaires par la fonction du poster. Stylisation symbolique Idem pour Environs de Damas : Maloula de Dabo (1927). Le placage du village sur la haute falaise et le travail des surfaces illuminées et ombragées seront repris en thèmes et variations par d’innombrables artistes syriens, libanais et arabes. Le temple de Baalsamin à Palmyre a droit à une affiche (Dabo) avec effets de simplification des formes, d’élimination des détails, d’allongement démesuré des ombres et de couleurs fauves ardentes, extrêmement spectaculaires et impressionnants et beaucoup plus modernes dans leur approche du langage du poster touristique que ceux que les affichistes des années cinquante et soixante tenteront d’introduire en recourant à une stylisation symbolique raide et simpliste. Ainsi l’affiche de la LIA (Lebanese International Airways) de 1950 avec les silhouettes des colonnes de Baalbeck, des minarets d’Istanbul, de chameaux et de bédouins. Une affiche d’Air France de 1963 n’est pas plus réussie dans son bric-à-brac symbolique. En revanche, une affiche de l’Office national du tourisme marocain intitulée simplement Maroc représente une sorte d’état de grâce, d’équilibre idéal entre l’ancienne manière et la nouvelle par la simplification intelligente et sensible des formes architecturales et la combinaison inattendue des couleurs. Due à Jean Even, c’est un tournant stylistique. Enchantement Une magnifique vue du port de Beyrouth, avec ses tours, le khan Antoun Bey, le Sannine au loin, est due à Julien Lacaze vers 1925. Encore un moyen pour PLM de promouvoir le « Tourisme en Syrie ». Plus tard, la province syrienne de l’éphémère République arabe unie se dira, dans une affiche vantant la splendeur de ses femmes, de son architecture ancienne et de ses raisins, « Country of Enchantment », reprenant un slogan utilisé par l’Égypte en 1934 dans un poster de Roger Breval campant des ruines typiques : « Land of Enchantment ». Il n’y a pas que les chemins de fer européens qui vantent les avantages et les charmes de l’Orient. Les Chemins de fer de l’État Égyptien publient en 1935 une affiche de F.H.Coventry profilant le dôme surhaussé et les élégants minarets d’un bel ocre doré d’une mosquée du Caire sur fond de ciel bleu. Soleil, sport, gaîté L’Égypte, qui prône ses aménités hivernales, se dit « Supreme for Sunshine, Sport and Gaiety », s’adressant sans doute à des Britanniques sortis tout droit des romans d’Agatha Christie. On les voit en tenue d’équitation sur fond de désert. On les retrouve sur une autre affiche, l’une des plus frappantes de l’exposition, derrière un barbarin vêtu de rouge, un plateau de thé à la main, avec un grand palmier en contre-jour et des pyramides dorées au loin. La composition de Ihad Hulusi, artiste turc d’Istanbul, est d’une virtuosité étonnante. Et les colosses de Memnon au clair de lune de M. Bredall sont mystérieux à souhait pour les « Voyages Cook sur le Nil et en Palestine. » Le cri Presque toutes les affiches ont quelque chose de singulier. Celle du Syndicat d’initiative de Fez avec un crieur public devant la porte de la ville, la bouche grande ouverte, une béance noire, et les mains en porte-voix, de Sorin et Molinard (1926), est inoubliable. Ce Cri mérite de rejoindre maint autre, plus célèbre, même s’il ne s’agit ni de peur ni d’angoisse. La Berbère et le drapeau Sur l’affiche du Comité des fêtes d’Alger, une Berbère en habits d’apparat, largement dénudée, avec ses bracelets, ses fibules, ses colliers, ses boucles d’oreille, fait flotter au vent derrière elle un drapeau français tenu à bout de bras dans une barque du port. Ce tableau plein de vie est d’Etienne Dinet qui anime par ailleurs avec beaucoup de brio une fantasia marocaine imaginaire en une affiche oblongue, la plus spectaculaire de l’exposition, intitulée L’Andalousie au temps des Maures, Exposition de 1900. Pour mémoire, le Comité des fêtes d’Alger organise pour la saison 1907-1908 fêtes mauresques, courses automobiles, chasses au chacal, redoutes de sport, rallyes, cross-country, batailles de fleurs, vegliones, corso carnavalesques, courses de chevaux, courses de taureaux, ferias espagnoles, régates, fêtes nautiques. Quant à la ville de Bône, en Algérie, elle organise en 1902 un grand concours international de musique pour harmonies, orphéons, fanfares, symphonies, quatuors à cordes, estudiantinas et trompes de chasse avec retraites aux flambeaux, défilés, fêtes nautiques vénitiennes, courses vélocipédiques, concours hippique, fêtes indigènes, concerts, excursions, attractions diverses, exposition des beaux-arts, palais de dégustation et exposition de produits algériens ! De quoi sans doute stimuler l’imagination de nos édiles endormis. Il faudrait tout citer : par exemple, les merveilleuses affiches de Derche (1929) des portes de Marrakech et de Fez au style si particulier. L’Irak, lui, « Berceau de l’humanité » se paie parfois le luxe de faire faire ses affiches par ses propres artistes, Yassine Chaker, H. Droubi, etc. Manque de rigueur Pour le coup, les légendes du catalogue du Festival, qui reproduit environ deux tiers de la centaine d’affiches exposées, se mettent à dérailler : une affiche signée de toute évidence H. Droubi est attribuée à « Anonyme », une autre du même artiste est attribuée à M. Zeytouni. Une affiche marocaine signée A. Brenet est dite anonyme tout comme une autre, du même artiste, même si elle n’est pas signée. De deux affiches égyptiennes de la même série, de la même veine et de la même main, l’une est attribuée à André Frémond, 1922, et l’autre est considérée anonyme et sans date. L’affiche Londres-Le Caire en 7 jours, signée J. Zouchac, est anonymisée. Une affiche d’Istanbul signée Gilbert Galland est attribuée à Constant Duval. Les noms des artistes Franconville et Bredall sont estropiés en Tancoville et Bridall. Le même manque de rigueur s’applique aux dates : une affiche portant deux fois la mention 1er juillet 1889 est donnée pour circa 1920, celle de Bône de 1902 est donnée pour 1920, celle d’Istanbul Orient-Express datée de 1920 est sans doute antérieure d’une vingtaine d’années, une affiche égyptienne tamponnée 1934 est donnée sans date. Même dans le texte trop succinct de la préface, il y a confusion. Badr el-Hajj affirme que Dinet a participé à l’exposition de Paris de 1896 dans le pavillon espagnol avec une affiche intitulée L’Espagne au temps des Arabes alors qu’il nous gratifie d’une immense et spectaculaire affiche intitulée L’Andalousie au temps des Maures, Exposition 1900. Est-ce la même, est-ce une autre ? Pourquoi cette légèreté, cette défaillance de l’attention, du sérieux escomptés en pareil cas ? Considère-t-on, en une attitude typiquement « maaléchiste », que les légendes sont de simples formalités que personne ne prend la peine de vérifier ? Restituer les couleurs Bien entendu, les posters doivent aux procédés d’impression chromolithographique et typographique leur éclat exceptionnel. Historiquement, pour la première fois, des couleurs pures, fortes, saturées de soleil et de vie trouvent des moyens de reproduction capables de les restituer avec fidélité et même de les rehausser. Le poster touristique de l’époque considérée est inséparable, en tant qu’œuvre d’art techniquement reproductible, de ces nouveaux procédés qui permettent sa diffusion à grande échelle et à prix relativement réduit. Une exposition qui mérite d’être vue et revue tant pour le pittoresque, la beauté, la richesse de teneur des images qui se prolongent en multiples connotations politiques, sociales, historiques, culturelles, esthétiques que pour ce qu’elles révèlent d’influences insoupçonnées sur la peinture locale, dont on comprend mieux maintenant les origines, les propensions paysagistes et le goût pour l’aquarelle (Palais de Beiteddine, jusqu’à la fin du festival). Joseph TARRAB
C’est une tradition. À chacun de ses retours saisonniers, le Festival de Beiteddine donne à voir une mémorable exposition photographique. L’année passée, Badr el-Hajj, grand dénicheur de photos anciennes de l’Orient, nous avait longuement promenés à travers la Palestine, le Liban et la Syrie (Bilad el-Cham) dans de superbes clichés tirés de sa collection personnelle,...