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Actualités - CHRONOLOGIE

JUSTICE - La Cour de cassation militaire confirme la culpabilité des inculpés, mais allège leurs peines Toufic Hindi et Habib Younès restent en prison pour quatre mois et Antoine Bassil en a encore pour vingt(photo)

Les voies de la justice sont décidément impénétrables. Au moins autant que celles du seigneur. Après un procès mené rondement en deux audiences étalées sur deux mois, la Cour de cassation militaire a confirmé les accusations de contact avec l’ennemi israélien, portées contre Toufic Hindi, Habib Younès et Antoine Bassil, se contentant de réduire les peines. Quinze mois pour les deux premiers (au lieu de trois ans) et deux ans et demi pour le troisième (au lieu de quatre ans). Pourquoi quinze mois et non douze ou dix-huit ? Impossible de le savoir, la Cour – dont les jugements sont irrévocables – ayant un pouvoir discrétionnaire en la matière. Pour les accusés et leurs proches, la déception est immense, le sentiment de révolte aussi. Si Hindi et Younès n’ont plus que quatre mois de détention à purger, il leur faudra sans doute bien plus de temps pour surmonter le choc du verdict. On avait annoncé le verdict pour 20h, mais c’est à 19h15 que la Cour s’est réunie pour lire le jugement, comme si elle préférait le faire sans trop de témoins. De fait, le banc réservé aux journalistes était quasiment vide. Peu de gens ont donc vu la réaction des accusés au moment de l’annonce des condamnations. Mais à voir la colère et la déception de leurs proches, on imagine aisément ce qu’a été la leur. Ce n’est pas tant la durée (quatre mois encore pour Toufic Hindi et Habib Younès) qui les choque, mais surtout le fait d’être considérés comme des criminels, déchus de leurs droits civiques, alors que, depuis l’ouverture du procès devant le tribunal militaire permanent, les trois inculpés n’ont cessé de clamer leur innocence. Déjà, le matin même, à l’ouverture de l’audience, leurs avocats ont demandé sur tous les tons leur acquittement. Deux frères, un malentendu À dix heures, la Cour de cassation militaire, présidée par le magistrat Tarabay Rahmé, commence par convoquer les témoins. En principe, trois doivent défiler, le cardiologue Paul Karam, le président du syndicat des rédacteurs Melhem Karam et l’enquêteur militaire Karim el-Fahl. En fait, seul le Dr Karam est là et il répète ce qu’il a déjà dit devant le tribunal militaire permanent sur les faiblesses cardiaques du Dr Hindi et sa petite attaque due aux conditions dans lesquelles se sont déroulés les interrogatoires préliminaires. L’adjudant-chef Karim el-Fahl, que la défense comptait interroger sur les traitements infligés aux inculpés pendant la première période de leur arrestation et les lacunes de leurs dépositions, présente une lettre d’excuses, selon laquelle il ne peut se présenter devant le tribunal parce qu’il est de service. Quant à Melhem Karam, et là l’histoire est savoureuse, c’est son frère, l’ancien bâtonnier Issam Karam qui se présente à sa place pour transmettre ses excuses à la Cour. Me Karam est l’un des avocats de la défense et son frère Melhem est un témoin à charge. Il a déjà été entendu par le tribunal militaire permanent, affirmant qu’Antoine Bassil lui avait assuré avoir fait des aveux en toute sérénité et sans la moindre pression... La Cour accepte les excuses et passe à l’étape suivante, le réquisitoire du procureur Amine Bou Nassar et les plaidoiries des avocats. Mais deux heures plus tard, après la brillante plaidoirie de Boutros Harb, le président du syndicat des rédacteurs se présente. Le président Rahmé lui demande ce qu’il vient faire et Melhem Karam répond qu’il vient témoigner et faire son devoir de citoyen. Moment de flottement dans la salle. « Votre frère nous a transmis vos excuses », poursuit le président, et c’est au tour de Melhem Karam d’être étonné. Il insiste pour témoigner, mais le président estime que c’est trop tard maintenant. La parenthèse est refermée et l’audience se poursuit devant une assistance écrasée de chaleur. Malgré les deux portes ouvertes, magistrats, avocats et assistance baignent dans une moiteur étouffante, et, à plusieurs reprises, le président s’essuie le visage avec son mouchoir. Malgré son sourire bienveillant, le représentant du parquet charge, en deux mots, les accusés et considère que leur culpabilité est réelle. Par conséquent, il réclame la confirmation des peines du tribunal militaire. Boutros Harb, un excellent dosage C’est ensuite le tour de Boutros Harb qui, bien que malade, réussit à maintenir l’assistance en haleine. En une heure de temps, il fait le tour du dossier, mettant l’accent sur les irrégularités de procédure, les lacunes de l’instruction et les erreurs dans l’exposé des faits. Alternant les points de droit, les thèmes politiques et les aspects humains, c’est une œuvre d’art qu’il livre à la Cour. Et le président Rahmé, si prompt à réagir, parfois dédaigneusement avec les avocats et sévèrement avec tout le monde, ne trouve rien à redire. Toufic Hindi, qui veut apparaître détendu même si l’anxiété le ronge, opine souvent de la tête, alors que Habib Younès ne peut s’empêcher de pleurer lorsque Me Harb évoque la mort de son père et l’impossibilité pour lui d’assister à son enterrement. Le député demande à la Cour de ne pas permettre que la justice soit utilisée pour régler des comptes politiques. Avocat chevronné, il sait que, devant la Cour de cassation, il ne faut relever que les points de droit et les faits se rapportant strictement à l’accusation, en l’occurrence, les contacts présumés de ses clients, Hindi et Younès, avec l’ennemi israélien. Toute sa plaidoirie tourne donc autour de ces thèmes pour montrer, dans les faits et dans la loi, que les éléments du crime n’existent pas. Le principal point litigieux réside dans les aveux des inculpés pendant leurs interrogatoires préliminaires à Yarzé. Et Me Harb, mais aussi Me Joseph Nehmé et tous les autres avocats, veulent montrer, chacun à sa manière, que ces aveux ayant été extorqués sous la contrainte, pour ne pas parler de torture, ils doivent être annulés. Ce qui fera dire à un procureur excédé : « Cela suffit d’évoquer ce thème. La jurisprudence veut que l’acte d’accusation, établi par un juge, efface les lacunes de l’enquête préliminaire (effectuée par la police judiciaire, en l’occurrence, les membres des SR de l’armée). Autrement dit, à partir du moment où l’acte d’accusation est publié, on ne peut plus invalider les interrogatoires préliminaires. » Des faits frisant l’absurde Plus tard, la Cour basera son jugement sur ce point et condamnera les inculpés sur base de leurs aveux lors des interrogatoires préliminaires. Mais à ce stade de l’audience, les avocats et l’assistance ne le sait pas encore. Tout le monde écoute donc Boutros Harb, qui se demande notamment où est passée la fameuse vidéocassette « des aveux filmés » du Dr Hindi, tout en s’étonnant du refus de l’adjudant-chef Karim el-Fahl de se présenter devant la Cour. Il relève aussi le fait que, dans l’acte d’accusation, Hindi se serait rendu en France en 1995, alors que son passeport ne comporte aucun visa pour la France, cette année-là, ni un tampon de sortie du territoire libanais. « On pourra dire qu’il a utilisé un autre passeport, mais, dans ce cas, que fait la Sûreté générale ? De toute façon, depuis longtemps, cette procédure est devenue impossible. » Avec un ton sarcastique, il ridiculise les faits rapportés dans l’acte d’accusation selon lesquels le député Farès Boueiz, alors ministre des Affaires étrangères, aurait donné 500 dollars au Dr Hindi, pour lui demander d’intervenir auprès des Israéliens afin qu’ils fassent pression sur les Américains pour son élection à la présidence de la République. «À supposer que ce scénario ridicule soit vrai, est-ce un crime d’œuvrer pour l’élection de Farès Boueiz ? Si c’est un traître, qu’on le juge, sinon, pourquoi serait-il interdit de vouloir qu’il soit président ? » Les plaidoiries se poursuivent sur ce même ton, et les faits ont été tellement ressassés, qu’il est pratiquement inutile d’y revenir. D’ailleurs, le président Rahmé ne se prive pas de le faire remarquer aux avocats, leur rappelant constamment d’aller droit au but et de ne pas redire les mêmes choses. Le cri du cœur de Me Joseph Nehmé, ami de longue date du Dr Hindi et qui tient, avec le peu de moyens dont il dispose, à exprimer son affection et sa confiance dans son innocence, est vivement réprimé par le président, qui estime que la Cour de cassation n’est pas le lieu idéal pour ce genre de déclaration. « Écrivez-lui une lettre, dans ce sens », dit-il sèchement à l’avocat, qui ravale son émotion et poursuit sa plaidoirie. Les autres suivent son exemple et l’audience n’est levée que vers 16h. La Cour se réunit ensuite à huis clos, alors que proches, avocats et journalistes attendent. Nul n’ose avancer de pronostics, mais, pour se consoler, tout le monde se dit que le jugement ne peut être pire que celui du tribunal militaire permanent. Ceux qui ont vu Toufic Hindi récemment à la prison de Roumié racontent que ses conditions de détention sont acceptables, que son compagon de cellule, un divorcé qui ne paie pas sa pension à sa femme, est en admiration devant lui, mais que le conseiller politique de Samir Geagea préfère passer son temps à lire et à réfléchir. Fin gourmet et homme d’une grande culture, il essaie malgré tout de s’adapter à sa vie en détention, même s’il espère sortir le plus tôt possible. D’ailleurs, avant le verdict, tous ceux qui attendent sont convaincus qu’il sortira d’ici à la fin de la semaine, sans oser l’exprimer tout haut. La chaleur étant accablante, le groupe se disperse, rendez-vous étant pris pour 20h. Mais à 19h, Claude, l’épouse du Dr Hindi, reçoit un coup de fil lui annonçant la réunion imminente de la Cour. Le jugement est prononcé à 19h15 et c’est comme une douche froide pour tout le monde. Claude laisse éclater sa colère, alors que les trois condamnés sont emmenés à Roumié, dans un convoi bien plus discret qu’à leur arrivée. Hindi, Younès et Bassil ont donc bel et bien eu des contacts avec l’ennemi, selon la Cour de cassation qui s’est basée sur leurs propres aveux, mais elle a considéré que ces contacts étaient motivés par des raisons de nature à en atténuer l’impact. La pilule a beau être enrobée de sucre, elle reste dure à avaler, surtout pour le Dr Hindi, qui, en étant condamné pour un crime, perd ses droits civiques et son job d’enseignant à l’Université libanaise. Pour les journalistes Habib Younès et Antoine Bassil, l’impact de la condamnation est aussi terrible. L’épreuve est dure, mais la décision de la Cour est définitive. Le rideau est ainsi tombé sur un feuilleton commencé avec la grande réconciliation du Chouf, à la suite de la visite du patriarche Sfeir à Moukhtara et qui se termine dans ce que Me Harb a qualifié d’oppression. L’entente a parfois un goût bien amer. Scarlett HADDAD
Les voies de la justice sont décidément impénétrables. Au moins autant que celles du seigneur. Après un procès mené rondement en deux audiences étalées sur deux mois, la Cour de cassation militaire a confirmé les accusations de contact avec l’ennemi israélien, portées contre Toufic Hindi, Habib Younès et Antoine Bassil, se contentant de réduire les peines. Quinze mois...