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Actualités - OPINION

Analyse Sale temps sur la France

Par le Pr Pascal MONIN Responsable à l’USJ du DESS en information et communication «Séisme», «Choc», «Douche froide», «Réveil brutal», «Gueule de bois», «Débâcle», «Mort de la Ve République», «La France blessée», «L’impensable»… Les chroniqueurs et journalistes n’ont pas manqué d’imagination pour qualifier les résultats inédits du premier tour de l’élection présidentielle française. Jean-Marie Le Pen venait de se qualifier pour affronter le 5 mai son ennemi de toujours Jacques Chirac. Pour la première fois depuis 1969, la gauche socialiste ne défendra pas ses couleurs au deuxième tour d’une présidentielle. Il fallait expliquer «l’inexplicable», comprendre et analyser ce que presque personne n’a vu venir. Seuls Bernadette Chirac et Le Pen avaient osé imaginer un tel «scénario catastrophe». Les médias et les sondages allaient être montrés du doigt comme ayant favorisé cette fracture politique. Les boucs émissaires étaient trouvés et on se devait donc de leur régler leur compte. Mais ni les sondages et encore moins les médias ne sont coupables d’avoir favorisé le vote Front national. Ce ne sont ni les médias ni les sondages qui font l’élection, mais les citoyens électeurs, qu’ils aient ou non accompli ce devoir. Les sondages n’ont jamais eu pour vocation de donner des prévisions de résultats d’une consultation. Ils donnent une photographie de l’opinion à un moment donné et présentent des instruments de quantification performants. Un sondage d’intentions de vote ne peut pas avoir comme fonction ultime l’incitation au vote, moins encore au vote en faveur de tel ou tel candidat. «Il n’est en rien une prédiction, précise Pierre Giacometti de l’Institut Ipsos, et s’il devait offrir une garantie absolue, le choix démocratique par le vote en serait singulièrement dévalué. Et que diraient les partisans de la censure si des enquêtes, sérieusement conduites mais non publiées, faisaient apparaître une progression forte du président du Front national en fin de semaine ? Faudrait-il alors changer une nouvelle fois la règle sous prétexte de mobiliser les indécis ? L’obsession de l’effet sondage apparaît en réalité comme une manifestation singulière d’absence de confiance dans les électeurs». Dans les dernières semaines de la campagne, les instituts de sondages avaient relevé la progression de Le Pen, Bayrou ou Besancenot, et le recul de Jospin, Chirac et Chevènement. Certes, pas assez pour prévoir le «séisme» du 21 avril au soir. Choc qui aurait pu s’avérer salutaire pour sortir la vie politique française de sa probable agonie. Mais l’indécision des électeurs en est la principale raison. En effet, 18 % de ces derniers déclarent avoir fait leur choix le jour même du scrutin, et 35 % se disaient la veille du vote encore indécis. Ajoutons à cela la multiplicité des candidatures, plus de 28 % d’abstentionnistes et surtout l’hésitation de l’électeur du FN à dévoiler son choix… Sans accuser donc les instituts de tous les maux dont souffre la France, rien n’empêche, à l’avenir, de réfléchir au rôle des sondages et de leur influence sur les scrutins et la vie démocratique en général. D’ores et déjà, pour Ipsos, la nouvelle tendance d’intentions de vote sera désormais encadrée par des niveaux minimum et maximum calculés à partir du niveau d’hésitation des électeurs en faveur des solutions alternatives : le vote pour l’adversaire, le vote blanc, le vote nul et l’abstention. «Pour qu’il soit bien clair aux yeux de tous, affirment les responsables de l’institut, qu’un sondage ne saurait être autre chose que ce qu’il prétend être : un instrument imparfait, mais irremplaçable, au service d’une démocratie adulte». L’opinion n’est pas aussi malléable que l’on croit ni aussi manipulable qu’on le prétend. Les médias n’assurent pas l’élection d’un candidat. De nombreux exemples prouvent le contraire (Balladur en 1995). Tout le monde ne reçoit pas les médias de la même façon. Les modes de réception par groupes l’emportent sur la réception individuelle. Les médias confortent davantage les positions qu’ils ne les modifient. Pourtant, certains intellectuels et hommes politiques – surtout de gauche – n’ont pas hésité à les accuser d’avoir favorisé le score de Le Pen à la présidentielle. Ce qui est en cause, selon ces «bons pensants», c’est le traitement médiatique, notamment télévisé, de l’insécurité et de la délinquance. En accordant une grande place à ces thèmes, la télévision aurait donc réveillé la peur d’une partie des Français, ce qui les a conduits à choisir l’extrême droite le 21 avril. Les médias en réalité n’inventent pas la violence ou l’insécurité. Ils ne font que rapporter l’actualité, parfois dramatique, de la France et des Français. Les journalistes sont-ils responsables des chiffres de la délinquance en hausse constante depuis 5 ans ? Sont-ils coupables de la mort, sous les coups d’une bande de voyous, de ce père de famille venu défendre son fils agressé par un groupe de délinquants ? Sont-ils derrière la tuerie de Nanterre ou l’agression d’un vieil homme à Orléans ? Attaques à main armée, braquages de voitures, agressions, viols, rackets, vols… Ce n’est pas le traitement de ces faits par les médias qui entraîne le sentiment d’insécurité d’un grand nombre de Français. La société française connaît une vague de violence sans précédent que les chiffres du ministère de l’Intérieur attestent. C’est donc la réalité que les journalistes rapportent et ne censurent pas comme le voudraient certains. L’actualité détermine dans une large part l’information que l’on regarde dans les journaux télévisés. Voudrait-on transformer le Français moyen en un personnage de fiction comme celui de Jim Carey dans Truman Show ? Les médias ne votent pas ! Ce sont les Français, que rien n’oblige d’ailleurs à regarder le journal de 20h, qui élisent leur président ! Par contre, une grande réflexion devrait être menée sur les conséquences désastreuses de la diabolisation par les médias de Jean-Marie Le Pen. Cette stratégie vient de connaître un cuisant échec. L’ostracisme que subit le Front national dans les médias n’a fait que le renforcer. Jean-Marie Le Pen a su tirer profit de cette situation en se présentant comme la victime du système. La campagne officielle, du premier et du deuxième tour, lui a permis d’ailleurs de distiller, avec l’argent des contribuables, ses messages populistes tout en jouant le rôle de victime. Le refus de Chirac de participer au fameux débat de l’entre-deux tours contre le leader de l’extrême droite obéit à cette logique. Il est impossible de discuter avec le représentant de l’ultranationalisme et de la démagogie. Il ne faut absolument pas, selon les tenants de cette théorie, lui accorder la puissance de diffusion des médias de masse. Il est donc anormal de faire porter aux médias les conséquences des mauvaises politiques suivies par les gouvernements successifs. Qui pourrait affirmer que les manifestations anti-Le Pen et les slogans qui y circulent ne mécontenteront pas une partie des électeurs ? Fallait-il alors les relayer à la télévision, la radio et la presse ? Ce sont les pays totalitaires qui font des journalistes des boucs émissaires plutôt que les nations dites démocratiques. C’est la conception même du rôle des médias qui est remise en cause. Les journalistes doivent-ils se taire et esquiver la réalité ? Les médias sont-ils le reflet de la société ? Sont-ils un contre-pouvoir ? Font-ils l’opinion et par conséquent les élections ?
Par le Pr Pascal MONIN Responsable à l’USJ du DESS en information et communication «Séisme», «Choc», «Douche froide», «Réveil brutal», «Gueule de bois», «Débâcle», «Mort de la Ve République», «La France blessée», «L’impensable»… Les chroniqueurs et journalistes n’ont pas manqué d’imagination pour qualifier les résultats inédits du premier tour de...