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Actualités - OPINION

Métastase

Pervertir, c’est «transformer, changer en mal, corrompre». Pervertir, c’est aussi «dénaturer, altérer». Au Liban, c’est ingérable, définitivement mortifère : tout – chaque institution, chaque maillon de chaîne, chaque classe sociale, chaque composante de l’État – est soumis à ce même processus : le travail de sape et la perversion. Repenser Walid Joumblatt lorsqu’il parle de «la bourgeoisie libanaise», de la loi d’abolition de la protection des agences exclusives. Un autre parlerait de «la classe ouvrière», d’une CGTL noyautée, fantôme. L’Exécutif est sapé. Perverti. Déjà, le départ était faux, le gouvernement, un fourre-tout. Au sein duquel il n’y a plus aucune cohésion, aucune solidarité. Le n° 1 de l’État critique ouvertement la praxis de l’équipe en place. Il est lui-même la cible d’invectives publiques et cinglantes de la part de certains des ministres. La personne du Premier ministre – ou, du moins, l’image que l’on est en droit de s’en faire – est sapée. Pervertie. La personne de Rafic Hariri occulte la fonction de n° 3 de l’État, l’écrase de son propre mythe, et son carnet d’adresses. Donnant ainsi aux Libanais l’espoir en l’homme-providence, lui, alors que la seule chose dont le Liban n’a pas besoin, c’est bien d’un homme-providence. Quant à la quasi-majorité des ministres... Le Législatif est sapé. Perverti. Depuis le 13 août dernier, à l’occasion du vote de réamendement du code de procédure pénal, le Parlement s’était dédit. Plantant par là même (malgré lui ?) un nouveau clou dans le cercueil de la démocratie. Et puis, il y a quelques jours, au cours du débat budgétaire 2002, les députés s’étaient déchaînés contre la proposition du gouvernement (ce n’était certes pas la première fois, loin de là, mais cette année, quelle violence...), ils s’étaient déchaînés contre celui-ci, contre le pouvoir, ils s’en étaient donné à cœur joie. Pour voter ensuite la confiance – à quelques exceptions notables près. Aujourd’hui, le Parlement essaie de se refaire une virginité : en réduisant le temps de parole de chaque intervenant au cours des séances de débats pour pouvoir multiplier celles-ci. C’est dire... Quant au président de la Chambre – ou du moins, encore une fois, son image de... – elle est sapée, pervertie. Nabih Berry n’est plus que le leader d’une communauté qu’il essaie d’empêcher, comme il le peut, de lui échapper : c’est une agence nationale pour l’emploi (fictif) à lui tout seul que le n° 2 de l’État est devenu. Le judiciaire est sapé. Perverti. Tellement d’hommes et de femmes politiques dénoncent la grosse dépendance de la justice, les malversations des uns et des autres, les simulacres de procès – dont le dernier, archétypique et rocambolesque celui-là, de Toufic Hindi. L’institution militaire est sapée. Pervertie. Cette (si) grande muette dont tous les Libanais avaient applaudi la réunion, le remembrement, est aujourd’hui au chômage technique. Remplacée par une milice. Un parti qui a fortement contribué, lui aussi, au retrait israélien du Liban-Sud, mais qui devrait urgemment être débarrassé de sa branche militaire. Il est grand temps que quelqu’un fasse du Hezbollah un Sinn Féin proche-oriental. L’argent public est sapé. Perverti. À cause d’une administration sclérosée, dans des caisses noires volatiles, il est dilapidé, gaspillé, mal utilisé (on pourra dire ce que l’on veut), il est spolié. La politique économique est sapée. Pervertie. Elle n’obéit qu’à des mises en scène spectaculaires, qu’à l’outrance, aux mensonges, elle est régie par des mesures qu’aujourd’hui l’on adopte alors qu’hier on les vouait aux gémonies. La démocratie enfin, les libertés, l’État de droit : sapés, pervertis. Par le biais de ce quatrième pouvoir qui, parfois, fait passer la Stasi est-allemande pour un Club-Med : les «Services». L’État-flic. À tant de perversions, de travaux de sape, une raison, une seule. Péremptoire. La tutelle syrienne sur le Liban. Celle qui empêche toute réforme politique de fond, condition sine qua non pour tout règlement économique. Qu’on se le dise, que l’on s’en souvienne. Ce n’est pas le moment de parler de présence, de satellisation syriennes ? Si. C’est le moment ou jamais. Parce que, justement, tout va (trop) mal. À tant de perversions, de travaux de sape, aucune solution ? Quoi ? Qui ? Il y a Baabda. Le président de la République – le symbole, la fonction. Seule la personne du président de la République est capable de donner ne serait-ce qu’un espoir ténu de possibilité éventuelle de renversement de situation. D’avenir moins noir... Le symbole, la personne, peut. Mais l’homme ? Émile Lahoud – détracteurs et zélotes sont d’accord – est le seul, aujourd’hui, à pouvoir. Le veut-il ? Le peut-il ? Personne n’en saura rien. À moins qu’il s’y mette. Cet homme a eu tous les honneurs, les grands trônes. Qu’attend-il pour, aujourd’hui, les mettre en jeu ? Qu’il ose. Il lui reste une (presque) deuxième moitié de mandat pour le faire. La place est à prendre. Ziyad MAKHOUL
Pervertir, c’est «transformer, changer en mal, corrompre». Pervertir, c’est aussi «dénaturer, altérer». Au Liban, c’est ingérable, définitivement mortifère : tout – chaque institution, chaque maillon de chaîne, chaque classe sociale, chaque composante de l’État – est soumis à ce même processus : le travail de sape et la perversion. Repenser Walid Joumblatt...