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Actualités - REPORTAGE

ENVIRONNEMENT - Polémique autour d’un texte qui tarde à voir le jour Quelle loi pour réglementer une chasse devenue chaotique ?(photos)

Huit ans déjà que la chasse a été interdite par une simple décision et que la nouvelle loi censée organiser cette activité n’a pas vu le jour. Le bilan ? Pas si positif quand on sait que le chaos règne sur ce secteur et que la chasse reste aujourd’hui, de l’avis général, plus incontrôlée que jamais. Même si les écologistes et les chasseurs ne sont pas d’accord sur bien des points, tous reconnaissent la nécessité d’appliquer une loi moderne. Mais quelle loi est appliquée, selon quelles normes ? Un texte a déjà été soumis au Conseil des ministres sans avoir encore été discuté. Récemment, les membres de la Commission parlementaire de l’Environnement s’étonnaient du retard dans l’envoi de ce projet de loi à la Chambre. Parmi les principales caractéristiques de ce projet, la création du Haut comité de la chasse qui avait pour mission de régler tout ce qui a trait au secteur. Il devrait comporter des représentants des ministères de l’Agriculture (traditionnellement le ministère de tutelle), de l’Environnement, de l’Intérieur, de la Justice et des Finances, ainsi que le directeur du développement rural du ministère de l’Agriculture, des représentants du Conseil national de recherche scientifique (CNRS) et du Conseil national de la chasse, un expert sur la biodiversité, un expert en gibier… Le texte détermine également les périodes d’ouverture de la chasse, les espèces pouvant servir de gibier, la quantité permise, les régions réservées à cet effet, etc. Il prévoit l’introduction ou la réintroduction d’espèces et maintient l’interdiction des instruments illicites comme les machines qui imitent les voix d’oiseaux par exemple. La future loi régit également l’obtention de permis (délivrés par le Haut conseil) et préconise l’ouverture de centres de formation pour chasseurs. Le texte a été débattu dans le cadre d’un comité interministériel avant d’être finalisé. Mais satisfait-il tout le monde ? Lamia Chamas, chef du service de la protection de la nature au ministère de l’Environnement, aurait préféré que la saison d’ouverture de la chasse soit plus courte, et qu’elle s’étende de septembre à fin janvier, non à février comme il est prévu dans le texte. «Cela est souhaitable pour augmenter les chances de survie des oisillons à cette période, qui dépendent étroitement de leur mère, dit-elle. Mais la Convention internationale sur les oiseaux migrateurs a été respectée». Elle précise que «le ministère de l’Agriculture reste l’organisme de tutelle, bien que les décisions doivent être prises en concertation avec le ministère de l’Environnement». Quant au Haut comité de la chasse, «il a un rôle consultatif». Cela signifie qu’il n’a aucun pouvoir exécutif sur le terrain ? «Ses suggestions doivent être prises en considération dans les décisions du ministère de l’Agriculture», souligne Mme Chamas. Quant aux espèces pouvant servir de gibier, elles seront déterminées par des décisions ministérielles. Les montants des procès-verbaux ont également été révisés à la hausse, n’ayant pas été modifiés depuis très longtemps. Quant à Akram Chehayeb, président de la Commission parlementaire de l’Environnement, il assure n’avoir pris connaissance du texte que par les médias, ce qui lui a paru insuffisant pour se former une opinion. Il rappelle qu’«une première loi avait été élaborée en 1998 par l’expert ornithologue Ghassan Jaradi, sur une demande du ministère de l’Environnement, mais le conflit sur le ministère de tutelle et la décision politique de maintenir l’interdiction l’ont empêchée d’arriver en Conseil des ministres». Il considère cependant, tout comme Mme Chamas, qu’«une réglementation est préférable à une interdiction qui a résulté en un chaos total». Ouverture de la chasse : objet de débat La loi n’a pas encore été adoptée, mais le débat se poursuit sur la date d’ouverture de la chasse. Fouad Nassif, responsable des relations avec la presse au Conseil national de la chasse (organisme privé régissant ce secteur en fonction d’une loi), déclare d’emblée que «l’interdiction est illégale à la base parce qu’une décision n’abolit pas l’effet d’une loi. Dans tous les cas, poursuit-il, nous avons demandé que la chasse soit ouverte cette année afin de collecter des fonds pour pouvoir appliquer la loi une fois adoptée. Mais la levée de l’interdiction a provoqué un tollé et a été immédiatement réfutée. Or si, à la première saison d’ouverture, nous échouons, faute de moyens, à appliquer les articles de la loi, les écologistes seront les premiers à se plaindre». M. Nassif fait remarquer que l’application de la législation passe obligatoirement par la formation d’un corps de gardes-chasse. «Dans le monde entier, ces gens-là sont financés par les chasseurs, ainsi que les lâchers, la gestion de la chasse, la création de points d’eau, le dédommagement aux chasseurs, etc., dit-il. Or on nous demande de faire tout cela sans argent». Toujours selon lui, «l’interdiction de la chasse aurait déjà coûté au pays près d’un milliard de dollars de perte. Il y a 300 000 chasseurs au Liban, poursuit-il. Si chacun d’eux paye cent dollars pour l’obtention d’un permis (qui, selon la nouvelle loi, sera décerné par le Haut comité de la chasse), on obtient trente millions de dollars. Quand on pense que chaque chasseur dépense en moyenne 300 dollars sur son hobby par an, les bénéfices se chiffreront à 150 millions de dollars de roulement interne. De plus, le potentiel pour un tourisme de chasse est considérable». Mais qu’en pensent les écologistes ? Hala Achour et Kevork Atamian, de Green Line, tout en préconisant une organisation du secteur, pensent que «la chasse ne devrait être réouverte que quand tout le système sera mis en place». Selon eux, «une législation devrait reposer sur trois piliers : un organisme scientifique pour la gestion, des instituts de formation et de sensibilisation pour les chasseurs et la population, et un organisme de contrôle». Ils considèrent que certains des éléments essentiels se retrouvent dans le texte de loi : le Haut conseil de la chasse qui fait figure d’organisme scientifique, la formation d’un corps de gardes-chasse avec des prérogatives, la création d’instituts de formation… mais relèvent ce qu’ils pensent être des lacunes. «Nous remarquons que dans le Haut conseil de la chasse, la société civile n’est pas représentée, poursuit Mme Achour. D’un autre côté, les membres de cet organisme auraient dû être des professionnels, dédiés à plein temps à la gérance de la chasse, et non des volontaires comme c’est prévu dans la loi. Par ailleurs, aucun détail n’est donné sur la procédure d’obtention des permis et sur la formation». Elle s’est déclarée inquiète de la politisation excessive du dossier avec l’implication d’un grand nombre de ministères dans le Haut conseil. En réponse à l’idée d’une ouverture précoce de la chasse pour une collecte de fonds destinée à financer l’application de la loi, M. Atamian souligne : «Pourquoi prennent-ils comme prétexte la réouverture de la chasse alors que celle-ci n’a jamais cessé d’être pratiquée ? D’ailleurs, est-ce le Conseil national de la chasse qui devra financer le Haut conseil ?». Selon M. Nassif, ce sont les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement qui sont chargés d’alimenter en fonds cet organisme. Quelle implantation pour quel texte ? Pour sa part, Ghassan Jaradi, expert ornithologue et chercheur contractuel au CNRS, bien qu’opposé à l’interdiction qui a résulté en un chaos selon lui, pense que le projet de loi présente néanmoins des lacunes. «La saison de chasse doit être clôturée avant février parce que les oiseaux migrateurs retournent vers le Nord pour se reproduire, explique-t-il. De plus, ce serait en harmonie avec la Convention sur la biodiversité signée par le Liban en 1992 et ratifiée en 1994. Dans le cas contraire, des pressions internationales seront exercées sur nous, comme ce fut le cas en France. Ce pays a été obligé de modifier sa loi datant de 1989 dans le sens d’un écourtement de la saison de chasse. Malte et la Grèce subissent de telles pressions aujourd’hui». Par ailleurs, M. Jaradi fait remarquer que «les espèces à chasser ne sont pas fixées dans la loi, mais devraient l’être chaque année par le ministère de l’Agriculture avant l’ouverture de la saison. Or en qui pouvons-nous avoir confiance ?, se demande-t-il. Je préfère que les espèces soient délimitées dans le texte de loi». Quoi qu’il en soit, le projet de loi suit son chemin et devrait encore être discuté en commission parlementaire. Mais comment garantir son application, quelle qu’en soit la forme finale, alors que l’ancienne loi elle-même était outrepassée ? Selon M. Nassif, le contrôle est aisé par l’intermédiaire de barrages sur la route. «Nous devrions débuter notre gestion de la chasse par un corps de 300 gardes-chasse, précise-t-il. Toutes les mesures seront accompagnées d’une campagne d’information sur les espèces à chasser». M. Chehayeb, lui, a sa propre théorie sur l’application de la loi : «Une unité spéciale de l’armée, pouvant être formée de conscrits et d’officiers de réserve ayant fait preuve de sensibilité écologique, serait chargée de tenir ce rôle. Une unité d’observation des oiseaux est désormais nécessaire, maintenant que le Liban est en train de ratifier des conventions internationales». Pour sa part, M. Atamian fait remarquer que «si une interdiction a été si difficile à faire respecter, que fera-t-on quand la chasse sera ouverte, même avec une loi moderne ?». Impact de la chasse sur les oiseaux : des points de vue divergents L’avifaune du Liban ne se porte pas bien. Ce constat a été fait par toutes les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête mais, curieusement, les raisons invoquées étaient diamétralement opposées. Pour les chasseurs, c’est l’interdiction de la chasse qui a provoqué un déséquilibre dans la nature. Pour les écologistes et les experts, c’est la chasse incontrôlée qui constitue une des causes majeures de l’extinction d’espèces ou de la diminution du nombre d’oiseaux. «Depuis que la chasse est interdite sans succès, seules les réserves naturelles ont connu une recrudescence des populations d’oiseaux», constate amèrement Georges Tohmé, président du CNRS. «La prolifération des machines imitant les voix d’oiseaux font des ravages dans toutes les régions. Mais nous avons quand même constaté le retour de certaines espèces, notamment trois de rapaces». Ghassan Jaradi, ornithologue, a constaté que 17 espèces d’oiseaux, principalement aquatiques et rapaces, sont menacées au Liban, soit près de 5 % du total. Il avoue qu’il existe un déséquilibre causé par les activités de l’homme qui peut être compensé par la chasse, si toutefois les critères adoptés sont scientifiques. Mais il ne peut que constater que l’interdiction est restée sans application. «Nous ne nions pas que les forces de l’ordre ont quelquefois arrêté des contrevenants, mais la chasse est pratiquement restée ouverte toute l’année, d’où le fait que le nombre d’oiseaux a quand même baissé, notamment les races communes, dit-il. Ces races-là ne forment plus que 18 % de l’avifaune libanaise, alors que 28 espèces qui nichaient dans notre pays ont disparu». Selon M. Jaradi, la grande majorité des chasseurs n’est ni expérimentée ni respectueuse de la nature, une proportion considérée comme une minorité par Fouad Nassif, du Conseil national de la chasse. Ils ne sont pas non plus d’accord sur le nombre des chasseurs actifs actuellement. Selon l’ornithologue, ils seraient «200 000 à avoir un permis, selon des chiffres donnés par le Conseil de la chasse, et 400 000 sans permis, comme l’a précisé un rapport de l’Onu, soit 17 % de la population». Des chiffres démentis par M. Nassif qui ne situe le nombre de permis décernés par son organisme qu’à 17 000, et le nombre de chasseurs actifs malgré l’interdiction à «10 ou 15 000 seulement». Il dément l’impact négatif de la chasse sur les populations d’oiseaux. «En agriculture, le cyanure utilisé pour tuer les rats et les pesticides employés malgré leur toxicité élevée font beaucoup plus de dégâts sur les oiseaux !, s’indigne-t-il. D’autre part, tous les chasseurs savent qu’il ne faut tirer que sur les espèces qui migrent, pas celles qui nichent au Liban». Cet argument est réfuté par M. Jaradi. «Parmi les espèces considérées comme migrantes, certaines, comme nous l’avons observé, s’installent durant une partie de l’année dans notre pays», dit-il. Les écologistes et les chasseurs ne sont pas non plus d’accord sur le nombre d’oiseaux qui tombent du fait de la chasse. Dans une conférence récente à l’AUB, M. Jaradi avait avancé le chiffre de 743 000 oiseaux morts en moyenne chaque week-end, toutes espèces confondues. Il explique à L’Orient-Le Jour qu’il a obtenu ces résultats en effectuant des statistiques sur le terrain. Or ce chiffre a suscité un tollé dans les milieux des commerçants notamment. «Si autant d’oiseaux étaient abattus chaque semaine, il faudrait pour cela des millions de cartouches, or nous savons, de par nos ventes, que de telles quantités astronomiques ne sont pas écoulées sur le marché», nous apprend-on au syndicat des commerçants et importateurs d’armes et munitions de chasse au Liban. Les points de vue sont divergents. Mais pour organiser le secteur de la chasse, seule une loi basée sur des critères scientifiques et une application ferme trancheront le débat. Si de telles conditions favorables sont jamais réunies. Les commerçants d’armes dénoncent l’incohérence de la politique de l’État Interdiction réelle de la chasse ou chasse incontrôlée ? Quelle que soit la réponse à cette question, les commerçants d’armes s’estiment lésés par cette décision. Joe Debs, vice-président du syndicat des commerçants et importateurs d’armes et de munitions de chasse, relève une incohérence flagrante, selon lui, de l’État. «On a interdit la chasse sans faire de même pour l’importation d’armes et de munitions, raconte-t-il. De ce fait, nous n’avions aucune excuse vis-à-vis de nos fournisseurs puisque la décision n’était pas claire en ce sens. Pour conserver nos agences, nous avons dû continuer à importer et à supporter les pertes. On nous fait payer des douanes exorbitantes alors qu’on accorde des permis de port d’armes pour particuliers. D’un autre côté, on poursuit les chasseurs qui se retrouvent arrêtés et humiliés dès qu’ils exercent leur sport favori». M. Debs poursuit : «L’État a le droit de réglementer la chasse, mais pas de l’interdire. C’est une atteinte aux libertés individuelles. La réglementation est une de nos revendications car elle facilite notre travail». Il trouve par ailleurs inacceptable que «la loi de réglementation de la chasse nécessite huit ans d’étude alors qu’un projet compliqué comme la TVA a été élaboré, adopté et appliqué en trois mois !». À quoi impute-t-il ce retard ? «Au début, les autorités ont évoqué des aides d’ONG écologiques internationales atteignant les deux millions de dollars, accordées sous condition que la chasse soit interdite, répond-il. Mais avec l’ouverture de la chasse, cette même somme peut être collectée grâce à l’octroi de permis de chasse». M. Debs parle des contacts infructueux effectués par son syndicat avec les responsables. «Aujourd’hui, seuls 40 à 50 % des chasseurs bravent l’interdit, les autres ayant peur de l’humiliation, estime-t-il. Si la chasse est réouverte, nous ferons 50 % de bénéfices en plus». Mais d’aucuns se plaignent, bien au contraire, d’une chasse abondante et incontrôlée… «Je ne nie pas qu’il y a du mouvement, mais c’est lent», dit-il. Il conclut : «L’interdiction n’a eu aucun effet écologique positif et a résulté en une humiliation pour l’État. Une loi ferme, avec des limites bien définies et des amendes élevées, aurait beaucoup plus d’effet». Suzanne BAAKLINI
Huit ans déjà que la chasse a été interdite par une simple décision et que la nouvelle loi censée organiser cette activité n’a pas vu le jour. Le bilan ? Pas si positif quand on sait que le chaos règne sur ce secteur et que la chasse reste aujourd’hui, de l’avis général, plus incontrôlée que jamais. Même si les écologistes et les chasseurs ne sont pas d’accord sur...