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Actualités - INTERVIEWS

JUSTICE - Le procès du responsable FL s’ouvrira le 26 décembre - Claude Hindi : Si les juges ont une conscience, - ils ne peuvent condamner mon mari

Claude Toufic Hindi n’a plus une minute à elle. Depuis ce triste 7 août, où son destin et celui de son mari ont basculé, toute sa vie a changé. Il lui a fallu s’adapter à une routine rythmée par les trois visites quotidiennes à la prison, où, malgré les gardes, les barreaux et les cris des autres détenus, elle parvient à arracher quelques minutes d’intimité. Sans oublier la visite bimensuelle à Roumié avec les enfants et les questions qui s’ensuivent, son travail repris après un mois d’interruption parce qu’il faut gagner sa vie et surtout les multiples contacts pour que les gens n’oublient pas son mari. Le 26 décembre, le procès de Toufic s’ouvrira devant le tribunal militaire et depuis la parution de l’acte d’accusation, elle craint plus que jamais «un cadeau empoisonné». Devant la grande baie vitrée, le sapin brille de lumières multicolores. Claude Hindi ne voulait pas le faire cette année, mais c’est son fils Nicolas (13 ans) qui a insisté, «pour papa». C’est une tradition dans la famille : le 3 décembre, date de naissance de Toufic, le sapin est installé et l’adolescent a voulu ne rien changer aux habitudes, pour refuser de laisser détruire sa famille. Avec sa sœur Sarah (11 ans), il a écrit les premiers chapitres d’un livre qui raconte comment ils ont tous les deux vécu l’arrestation de leur père. Plus de quatre mois après le drame, les enfants sont encore traumatisés. Ils ne comprennent pas comment ce père affectueux et attentif est devenu brusquement passible de la peine de mort, une sorte de traître pour les autorités et un héros pour tous ceux qui leur envoient des messages de solidarité. Et ce n’est pas leur mère, journaliste de carrière qui a longtemps côtoyé la classe politique dont elle connaît pratiquement tous les travers, qui pourrait le leur expliquer. Tout en elle n’est que révolte contre l’injustice qui frappe son mari. Et, lorsqu’on salue son courage, elle s’écrie : «Moi ? Je dors dans mon lit, je vis chez moi, je vais à mon travail et je suis bien entourée. Mais c’est lui qui souffre et je ne peux le supporter». L’arrestation vécue par les enfants Car, plus douloureux que la séparation et le malaise physique, c’est le sentiment d’être victime d’une intolérable injustice. Et ce sentiment ne laisse aucun répit à Claude Hindi. Elle revient sans cesse sur les événements de ce mardi 7 août, lorsque l’interphone a sonné au moment où, avec Sarah et Toufic, elle regardait le bulletin télévisé. Le commandant G.S. et trois soldats ont ensuite fait irruption dans l’appartement, demandant à Toufic Hindi de les suivre, l’empêchant même d’utiliser son portable. Les détails sont désormais connus, mais nul ne pourra mesurer la détresse de l’enfant qui voit son père emmené de la sorte et de l’épouse qui a très vite compris la gravité de la situation. Sa quête des 15 jours qui ont suivi l’arrestation, alors qu’elle était affolée par les nouvelles sur la détérioration de son état de santé, ses demandes répétées pour le voir ne serait-ce que quelques minutes et son interrogatoire à l’hôpital militaire où elle était venue pour le voir, apportant son dossier médical, tout cela est encore vivace dans sa mémoire. Finalement, au 15e jour, le juge d’instruction militaire Abdallah Hajj l’autorise à voir Toufic dans son bureau, bondé de gardes. Elle ne voit que lui, se précipite à ses pieds et se met à l’embrasser en lui répétant «C’est injuste». Le juge demande alors qu’on la fasse sortir. Mais dès le lendemain, Toufic est emmené à Roumié et là, heureusement pour elle, s’instaure une nouvelle routine. Claude ne tarit pas d’éloges sur l’humanité du responsable de la prison, le colonel Elias Moghabghab, dont la porte est toujours ouverte et qui fait de son mieux pour améliorer les conditions de détention de tous les prisonniers. Un nouveau choc, l’acte d’accusation Les avocats, Me Boutros Harb et son équipe principalement, mais aussi une quinzaine de volontaires, lui obtiennent un permis trois fois par semaine et les rencontres se déroulent à travers les barreaux, parfois avec les enfants. Un jour, toutefois, la petite Sarah crie à son père : «Je veux te toucher». Il lui tend un doigt à travers les barreaux et la petite s’empresse de l’embrasser. Le garde intervient, la scène est poignante, la petite éclate en sanglots et Toufic pique une crise. C’est alors que Claude fait appel au procureur Addoum qui finit par autoriser une visite bimensuelle avec les enfants dans le bureau d’un lieutenant. Là, les choses se passent un peu mieux. Nicolas et sa sœur essaient de raconter à leur père, leur vie de tous les jours, leurs notes, leurs amis, mais ils le sentent absent, obsédé par son affaire et par les démarches à entreprendre pour trouver un dénouement. «La dernière fois, après la parution de l’acte d’accusation, il semblait effondré», confie Nicolas. D’ailleurs, cet acte d’accusation, qui requiert contre lui la peine capitale, a été un choc pour tout le monde. Les amis ont essayé d’annoncer doucement la nouvelle à Claude, mais les informations nouvelles circulent vite et il a bien fallu affronter la réalité. «En fait, lorsque j’ai lu l’acte d’accusation j’ai été soulagée, précise Mme Hindi. Il contient si peu d’éléments que l’accusation en paraît risible : les articles de loi auxquels le juge se réfère ne sont pas compatibles avec les faits». Et curieusement, cette injustice augmente encore sa détermination à lutter. «Je ne peux pas abdiquer au moins pour Toufic». Pourtant, Claude Abounader qui a longtemps été une journaliste politique a depuis quelques années abandonné ce domaine, justement parce qu’elle ne croyait plus beaucoup en l’avenir de ce pays, alors que son mari, lui, était optimiste. «Le Liban demeure un espace de liberté et il faut lutter pour le préserver, me répétait-il souvent, dit-elle. Il était sûr que la bataille valait la peine d’être menée, bien qu’il était contre les slogans injurieux. D’ailleurs à la messe fameuse de Deir el-Kamar, il a crié aux jeunes qui huaient le chef de l’Éat que c’était un comportement inadmissible, s’attirant d’ailleurs leurs foudres. Toufic n’a d’ailleurs jamais été un homme de terrain, il est un politicien, un analyste, mais il est certainement incapable de préparer les complots qu’on lui attribue». D’après ce qu’on a raconté à Claude, même le Dr Samir Geagea a été choqué en apprenant la nouvelle de son arrestation «Toufic accusé de complot ? C’est insensé !», aurait-il dit. Le même sort que Samir Geagea ? Mme Hindi a d’abord cherché à cacher le contenu de l’acte d’accusation à ses enfants, mais son fils est venu lui dire : «Arrête de me cacher des choses. Chaque soir je rentre sur Internet et je lis tout ce qui concerne mon père». L’adolescent qui accumulait les bons résultats scolaires s’intéresse aujourd’hui à la politique, à la justice, aux droits de l’homme. Pour lui, son père est un héros et il ne veut pas se laisser aller au dégoût, comme sa mère, même s’il a de plus en plus peur de l’issue finale. «Au début j’étais sûr que cela finirait bien. J’avais vu beaucoup de films américains avec des arrestations arbitraires, mais la justice finissait par l’emporter. Maintenant, je commence à découvrir que le Liban ce n’est pas comme dans les films». Sarah, elle, est surtout choquée de voir son père dans sa cellule. «Je n’arrive pas à l’imaginer là-bas, dans ce milieu qui lui est totalement étranger, et puis j’ai besoin de lui». Claude écoute ses enfants et s’énerve. Comment inculquer à ses enfants les valeurs qu’elle a apprises alors qu’ils ont devant les yeux la pire des injustices ? La vie n’a pourtant pas épargné cette jeune femme. Son frère a été porté disparu en 1989 et sa mère en est tombée malade. Elle est morte en 1996, sans avoir connu le sort qui lui a été réservé. Quelques mois plus tard, les auteurs du crime ont raconté leur forfait à Toufic et Claude n’a pas pu leur intenter un procès parce qu’on lui avait dit qu’ils étaient protégés. Aujourd’hui, c’est un nouveau coup du sort et elle veut comprendre pourquoi on s’en est pris à Toufic, qui n’a aucun contact avec la base et qui apparaît tellement inoffensif. Les rumeurs sont d’ailleurs légion. Certains lui disent avoir entendu que Toufic Hindi connaîtra le même sort que Samir Geagea. D’autres que les autorités veulent lui régler son compte. Mais elle ne veut plus rien entendre. Malgré tout, elle veut garder un peu d’espoir : «Si les juges ont une conscience, des enfants, une famille, ils ne peuvent pas condamner mon mari». Certes, l’ouverture prochaine du procès, le 26 décembre lui donne des sueurs froides. Mais elle assistera aux audiences, car il lui faut avoir du courage pour son mari et ses enfants et elle a confiance en Boutros Harb qui lui a dit : «Cette affaire est désormais la mienne». Elle est aussi celle de nombreux Libanais.
Claude Toufic Hindi n’a plus une minute à elle. Depuis ce triste 7 août, où son destin et celui de son mari ont basculé, toute sa vie a changé. Il lui a fallu s’adapter à une routine rythmée par les trois visites quotidiennes à la prison, où, malgré les gardes, les barreaux et les cris des autres détenus, elle parvient à arracher quelques minutes d’intimité. Sans...