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Actualités - CHRONOLOGIES

THÉATRE - « Sindbad de père en fils », de Paul Mattar, au Monnot jusqu’au 2 décembre - Le voyageur à la recherche de lui-même

En réécoutant la légende du célèbre voyageur arabe, mi-aventurier, mi-rêveur et racontée dans la pièce écrite, interprétée et mise en musique par Paul Mattar, l’évidence saute aux yeux et à la conscience : mais Sindbad, c’est moi, c’est nous, ce sont ces générations entières de Libanais en déplacement pour affaires ou en exil forcé et intermittent à longueur d’années, à longueur de siècles ! Dans le préambule de la pièce, les 14 comédiens lancent un premier indice, en s’éparpillant dans la salle et en murmurant : «Je suis en toi». Paul Mattar a opté pour un Sindbad multiple, jouissant du don d’ubiquité : le Sindbad conteur rencontre son père, qui croise lui-même son fils sur le port, l’un de retour, l’autre sur le départ. Le grand-père, secondé par son ombre, raconte à son petit-fils ses années passées en mer. Bref, toutes ces voix s’interpellent, se croisent, se superposent pour souligner la grande question : en écoutant le récit du vieux Sindbad, le jeune Sindbad va-t-il céder à la tentation et suivre son exemple ? Un texte aux phrases amples et classiques Sindbad de père en fils est un projet ambitieux, tant dans le texte que dans sa mise en scène et dans sa direction d’acteurs. Paul Mattar s’est attelé à la tâche avec beaucoup de conviction, triant et collectant les différentes versions des aventures du voyageur pour les intégrer à un texte de son cru. Patrick Mohr, le metteur en scène suisse, a eu pour mission d’unifier cette fresque ébouriffée, ce conte arabe aux entrées multiples, friand de la technique des poupées russes. Quant aux comédiens, ils occupent les planches pendant près de deux heures, sans entracte, certains changeant de costumes et de personnages. Le récit, en français, est découpé en sept chapitres, depuis Les vents de l’aventure jusqu’à la Conquête du temps en passant par La source de la connaissance et la Vallée de l’amour. Beaucoup de symboles et de métaphores dans cette fresque déployée devant le public. L’humour cependant n’en est pas exclu grâce, principalement, aux incursions parlées et chantées – dont certaines sont de l’auteur – en libanais et qui rapprochent un peu plus Sindbad de son parent inventeur de la pourpre et de l’alphabet. Paul Mattar a opté pour un texte aux phrases amples sans créativité particulière mais qui n’engonce pas le conte à tiroirs et aux rebondissements fréquents. Partout et nulle part, peut-être La mise en scène de Patrick Mohr, quant à elle, aurait gagné à être plus originale. Certains symboles y sont parfois un peu patauds (les vagues, la mer, les individus représentant le Sphinx ou la source de la connaissance par exemple) et les idées pour les exprimer mal abouties. Cependant, quelques autres sont très bien vus, comme l’olivier, frère de Sindbad le jeune et dont une grosse branche est tenue à bout de bras par Paul Mattar le comédien ou encore la «barque humaine» sur laquelle monte l’aventurier pour son premier voyage. La scène du théâtre est exploitée dans tout son ensemble, là aussi pour épouser le texte aux péripéties sans fin. Le spectateur observe donc à loisir tantôt la partie centrale, tantôt les parties latérales occupées par le voyageur-conteur et son petit-fils lui servant de secrétaire, mais aussi par les musiciens. Les comédiens, enfin, sont de qualité inégale : parfois inspirés, souvent peu aptes à habiter des rôles fortement symboliques. Ceux-ci exigent une expérience et un pouvoir d’évocation aiguisée assez peu présents dans l’ensemble. La présence d’un comédien indonésien comme Mas Soegeng, qui a introduit dans l’interprétation le masque dramatique de Bali et la danse des drapeaux et des bougies, est assez rafraîchissante et constitue, avec celle de Paul Mattar et de Nicolas Daniel, le trio dominant de Sindbad de père en fils. Alors, Sindbad va-t-il prendre la route de ses rêves et chercher son île de lumière, l’île Daou ? La réponse est en forme de parabole, puisque le voyage ressemble bien plus à un pur produit de l’imaginaire d’un conteur qu’à une aventure maritime. Dans ce coup d’essai théâtral timide, Paul Mattar a eu néanmoins un grand mérite : celui de mettre sur scène non seulement Sindbad, mais aussi un petit morceau de chaque Libanais, qui rêve peu et qui, revenant au pays, a été «partout et nulle part, peut-être». * Renseignements et réservations au 01/202422.
En réécoutant la légende du célèbre voyageur arabe, mi-aventurier, mi-rêveur et racontée dans la pièce écrite, interprétée et mise en musique par Paul Mattar, l’évidence saute aux yeux et à la conscience : mais Sindbad, c’est moi, c’est nous, ce sont ces générations entières de Libanais en déplacement pour affaires ou en exil forcé et intermittent à longueur...