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Parlement 2009 - OPINIONS

Richard Cœur de Lion et la reconquête du littoral palestinien

Malheureusement, l’habilité, la modération et la sagesse de Philippe Auguste eussent été très nécessaires aux Croisés. Richard Cœur de Lion, resté seul chef de la Croisade, allait, à côté de qualités militaires incomparables, faire preuve d’une totale absence d’esprit politique. Il allait apporter dans les affaires palestiniennes une brutalité et même, au début, une absence d’humanité et de loyauté envers l’islam qui devaient rappeler les plus mauvais jours de Renaud de Châtillon. L’exécution de l’accord relatif à l’échange des prisonniers, au versement de l’indemnité promise par les musulmans et à la restitution de la Vraie Croix traînait en longueur. Richard crut-il que Saladin cherchait à le jouer ? Au lieu de poursuivre les négociations, il ordonna de conduire hors de la ville, devant la colline d’Ayadya, la majeure partie des captifs musulmans pris à Acre – deux mille sept cents, dit Ambroise, plus de trois mille, affirme le Livre des Deux Jardins – et là, sur le front des troupes, devant l’avant-garde musulmane encore campée près de Tell Keisan, il fit égorger toute cette «chiennaille» (20 août 1191). Cet acte de barbarie inouïe, perpétré de sang-froid, sans l’excuse d’une prise d’assaut, produisit dans tout l’islam un effet désastreux. On a vu qu’en dépit de la guerre presque constante, des rapports de courtoisie, d’estime et même d’amitié s’étaient peu à peu établis entre Francs et musulmans. Saladin surtout avait apporté dans ses relations avec les chrétiens des considérations d’humanité et de générosité chevaleresque qui avaient singulièrement adouci pour les Francs les conséquences du désastre de Hattin. Dans presque toutes les villes prises, il avait épargné les défenseurs et les avait autorisés à regagner les terres chrétiennes – générosité qui, par parenthèse, avait permis contre lui la défense de Tripoli et de Tyr, germe de la reconquête franque. En plein siège d’Acre, il avait fait assaut de courtoisie avec les princes francs ; lorsque Richard était tombé malade, on avait même vu le sultan lui envoyer des sorbets à la neige de l’Hermon ou du Liban. À ces traits de générosité, le roi d’Angleterre répondait par une boucherie jusqu’au massacre de 1099. Jamais les ravages de l’esprit de croisade, venant détruire l’œuvre de l’esprit colonial, ne s’étaient affirmés aussi désastreux. Il faut savoir gré à Saladin de n’avoir pas, comme on l’en pressait, répondu au massacre des prisonniers musulmans par l’exécution des captifs francs, beaucoup plus nombreux, qu’il détenait encore. Mais la barbarie de Richard se retourna contre lui. En massacrant la garnison d’Acre, il s’était privé d’un objet d’échange et d’un moyen de pression singulièrement précieux. Naturellement, Saladin rompit toute négociation. Non seulement il ne fut plus question pour lui de rendre Jérusalem, mais tous les prisonniers francs qu’il avait déjà rassemblés pour les échanger contre la garnison d’Acre eurent la douleur de se voir renvoyés à Damas et replongés en servitude. Quant à l’indemnité de guerre qui était également prête à être livrée, le sultan la distribua à ses propres troupes. Il n’est pas jusqu’à la Vraie Croix qui n’ait été victime des atrocités commises. Le sultan l’avait déjà fait apporter à son camp pour la rendre : il la fit remporter à Damas où il la plaça «par mépris» dans son garde-meubles. Enfin, dans la campagne qui suivit, tout prisonnier franc amené devant Saladin était aussitôt mis à mort. Toute considération d’humanité à part, le geste du roi d’Angleterre massacrant les prisonniers musulmans au lendemain de la reprise d’Acre paraît donc aussi stupide que celui de l’atabeg Tugtekin massacrant les prisonniers francs en 1110 après l’Ager Sanguinis.
Malheureusement, l’habilité, la modération et la sagesse de Philippe Auguste eussent été très nécessaires aux Croisés. Richard Cœur de Lion, resté seul chef de la Croisade, allait, à côté de qualités militaires incomparables, faire preuve d’une totale absence d’esprit politique....