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Actualités - CHRONOLOGIES

ENVIRONNEMENT - Des pétitions pour que le site soit classé réserve naturelle - Les agressions se multiplient contre Qammouha

Les agressions se multiplient dans la très belle plaine de Qammouha, sur les hauteurs du Akkar, au Liban-Nord. Quelque neuf bâtiments érigés illégalement, de nombreux cafés et le défrichage de la forêt pour le pâturage des chèvres nuisent à la survie et à la régénération de ce site qui mériterait, selon de nombreux experts et habitants des villages proches, d’être classé réserve naturelle. En l’absence de surveillance et de gestion, cette région, dans un coin reculé de Liban, reste très exposée aux atteintes à la nature. Pourtant, il s’agit d’une des dernières forêts d’une telle importance et d’une telle superficie au Liban. Des experts français qui ont visité le site en 1995 ont estimé l’âge des cèdres de Qammouha à environ 2000 ans. La forêt contient aussi de nombreuses autres espèces d’arbres et de végétation, dont les très beaux sapins de Cilicie, des chênes, etc. En 1991, le ministère de l’Agriculture a proclamé cette région, à la superficie non connue parce que non encore lotie, «forêt protégée». Selon le texte publié le 22 décembre 1991, «les terres restent un bien public, dans le cadre des propriétés des municipalités environnantes». Cette décision n’a été suivie d’aucune action sur le terrain, comme la désignation de gardes-forestiers par exemple. De plus, cette décision a été suivie inexplicablement d’une autre, prise par le ministère du Tourisme le 12 décembre 1993, visant à considérer Qammouha comme une «région touristique», là aussi, sans aucune restriction précise. Il faut ajouter qu’outre sa remarquable biodiversité, Qammouha fait office d’immense réservoir d’eau qui alimente un grand nombre de villages de la région, surtout après la fonte des neiges. D’où le souci supplémentaire de ne pas voir la pollution envahir cette terre d’élection. Quant aux agressions contre le site, elles ont été recensées dans une étude établie par un animateur social et militant pour l’environnement, Mohammed Arabi, originaire du Akkar et suivant de près le dossier de la forêt de Qammouha. Selon lui, ces agressions ne sont pas toutes récentes, certaines remontant à l’époque du mandat français. «Dans un rapport rédigé par le comité de suivi du village de Fneidek (l’une des localités limitrophes) pour le dossier de la Qammouha, envoyé au mohafez du Liban-Nord qui s’informait sur la propriété des terrains, il est précisé que les habitants de ce village ont labouré toutes les terres cultivables de la région depuis 1933, malgré l’interdiction des autorités et l’incarcération de plusieurs de leurs notables», raconte M. Arabi dans son rapport basé sur le document. «Ce même texte précise que le labourage a repris en 1965 puis durant la guerre libanaise, à partir de 1981. Les cultures se sont poursuivies depuis 1993». Une autre agression majeure date du début des années quarante, lors de la Seconde Guerre mondiale, et a été perpétrée par les soldats français et britanniques qui ont coupé un grand nombre de cèdres et de sapins de Cilicie pour la construction de routes militaires. En 1944, toujours selon le rapport de M. Arabi, «des entreprises ont tenté de s’approprier les terres de la Qammouha pour une exploitation touristique, comme l’a relevé Zouheir Osseirane, ancien président de l’Ordre des journalistes, dans ses mémoires». Un bâtiment illégal En 1961 puis en 1978, ce sont des habitants de villages aux frontières du site, plus précisément Ayat et Akkar el-Atika, qui ont tenté d’enregistrer des terrains de Qammouha en leur nom. Par ailleurs, des festivals touristiques apparemment peu contrôlés ont été organisés dans la forêt, «laissant derrière eux déchets et pollution». Toutefois, la contravention la plus grave a été commise en 1995, quand l’un des habitants de Fneidek a décidé de construire un édifice, apparemment conçu dans un but touristique, dans les limites de la Qammouha. «Le caïmacam du Akkar a pourtant ordonné que les fondations du bâtiment soient détruites», explique M. Arabi. «Cette décision a été appuyée par le mohafez lui-même. Mais peine perdue : les travaux ont continué, malgré l’interdiction, et un incident a même été enregistré entre certains habitants et la police. Ces faits ont poussé le mohafez à écrire une lettre au ministre de l’intérieur, le 30 novembre 1995, lui expliquant l’origine du problème dans la région, qui se résume en un conflit territorial, et attirant son attention sur les dangers qui guettent la forêt». Entre-temps, le bâtiment illégal est toujours là. Et le conflit continue, alors que la belle forêt souffre aujourd’hui de négligence et d’ignorance. Pour beaucoup, il est nécessaire de classer ce site exceptionnel comme réserve naturelle, afin de le préserver. Les pétitions et les lettres ouvertes envoyées par de nombreux présidents de municipalité et moukhtars de la région à des hommes politiques, dont le président de la République, se sont succédé. L’un de ces notables est Milad Antoun, président de la municipalité de Basbina. «Nous sommes neuf municipalités, toutes sises dans la région de Joumé, près de la Qammouha, qui nous élevons aujourd’hui contre ces agressions continuelles», dit-il à L’Orient-Le Jour. «Non seulement le site est très beau, mais il pourvoit de l’eau à toute la région. Nous ne pouvons admettre qu’il soit pollué. Voilà pourquoi nous demandons aujourd’hui à l’État d’adopter une loi proclamant Qammouha réserve naturelle». Des plaines fondées Le projet de faire de Qammouha une réserve naturelle est-il envisagé par les autorités ? L’importance du site justifie-t-elle une décision pareille ? Lina Yammout, responsable du projet des réserves naturelles au ministère de l’Environnement, assure que le dossier est actuellement sous étude. «Les plaintes provenant de présidents de municipalités et d’écologistes concernant Qammouha se sont succédé», raconte-t-elle. «J’ai été invitée à visiter le site il y a deux mois. J’ai pu vérifier que les plaintes étaient fondées : la forêt sert de pâturage pour les chèvres, des tentes abritant les bergers qui vivent sur place, des cafés ont été aménagés, sans compter un complexe touristique qui y a été édifié». Le ministère compte-t-il proclamer cette région réserve naturelle et assurer sa protection ? «Beaucoup de difficultés entravent cette entreprise», souligne Mme Yammout. «C’est une région qui n’est même pas lotie. Comment, dans ces conditions, connaître les limites de la forêt de Qammouha ? Pour être à même de rédiger un rapport complet, j’ai demandé aux municipalités des environs des précisions sur le cadastre. Il faut préparer une carte du site qui obtienne l’approbation des municipalités. J’attends toujours leur réponse». La proclamation d’une réserve naturelle passe par une procédure bien spéciale : d’une part, il est nécessaire de collecter toutes les informations d’ordre juridique. D’autre part, une étude scientifique du site est exigée, afin de faire ressortir les particularités qui justifieraient son classement. Pour ce genre d’études, le ministère a mis au point un cahier de charges bien précis. C’est lui également qui envoie un expert sur place. Il est vrai qu’une telle étude n’a pas encore eu lieu à Qammouha. Interrogée néanmoins sur ses premières impressions après sa visite au site, Mme Yammout n’hésite pas : «À mon avis, le site offre un potentiel énorme. Il est d’une grande beauté et pourrait bien être l’un des plus importants du Liban, d’un point de vue écologique. Mais rien ne peut être déterminé avec certitude avant que l’étude ne soit prête. Il se peut que l’écosystème à protéger dépasse les limites de la seule région de Qammouha». Elle déclare cependant ne pouvoir avancer de délai pour l’application de toutes ces mesures. Le site ayant déjà fait l’objet de conflits, croit-elle que la proclamation d’une réserve naturelle attiserait la polémique ? «Dans un projet de réserve naturelle, il faut prendre en compte les communautés locales, leur expliquer les avantages qu’elle peut leur apporter», répond-Mme Yammout. «C’est ce qui a été fait dans d’autres cadres. Les équipes qui ont pris en charge les réserves classées du Liban étaient toutes originaires de la région même». Pour l’instant, Qammouha conserve sa beauté naturelle exceptionnelle, avec son large plateau, ses collines et ses arbres centenaires. Si autant de trésors ne sont pas conservés, qu’en restera-t-il d’ici à quelques années ? Qammouha sortira-t-elle du cercle fermé des intérêts politiques et personnels ?
Les agressions se multiplient dans la très belle plaine de Qammouha, sur les hauteurs du Akkar, au Liban-Nord. Quelque neuf bâtiments érigés illégalement, de nombreux cafés et le défrichage de la forêt pour le pâturage des chèvres nuisent à la survie et à la régénération de ce site qui mériterait, selon de nombreux experts et habitants des villages proches, d’être...