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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Éthique des sciences et de l’information - Jour II du colloque de l’Unesco - Marwan Hamadé : « Le colonialisme de la pensée a remplacé celui des pays »

Au second jour du colloque organisé par la commission nationale de l’Unesco sur le thème général de l’«Éthique des sciences et des technologies», une attention particulière a été accordée à l’«Infoéthique», ou l’éthique des moyens de communication, en particulier le «cyberespace», l’espace délimité par les moyens informatiques mis en réseau. La séance de travail prévoyait trois présentations et un débat. Ont successivement pris la parole l’ancien ministre de la Culture Michel Eddé, un professeur en communication internationale de l’Université d’Amsterdam Cees Hamelink et l’écrivain et avocat Alexandre Najjar. Présenté par M. Mohammed Baalbacki, président de l’Ordre de la presse, le débat a été animé par Mohammed Sammak, président de la commission nationale pour le dialogue islamo-chrétien, Gebran Tuéni, directeur du quotidien An-Nahar, et notre collaborateur Fady Noun. Dans son intervention, M. Michel Eddé a brossé un tableau plutôt sombre de l’état de la communication, sous le règne de l’argent ou du pouvoir politique. Il a affirmé qu’on ne peut parler véritablement de communication, quand le paysage médiatique est placé sous le signe de l’uniformité (voir ci-dessous). Résumant la pensée de l’ancien ministre, le présentateur de la séance, M. Marwan Hamadé, ministre des Déplacés, président du comité consultatif national d’éthique et membre du comité international de bioéthique de l’Unesco, a affirmé que «la liberté doit demeurer le véritable rédacteur en chef» de toute publication, et a rendu hommage à la «révolte contre l’uniformité» du conférencier. «Les grands perdants de cette uniformisation de la pensée est l’homme, et parmi les hommes, ceux qui sont les plus démunis», a ajouté le ministre. M. Hamadé a dénoncé «cette nouvelle forme de colonialisme», qui a remplacé l’ancienne et une globalisation grâce à laquelle «une subjectivité domine les autres subjectivités… et l’objectivité» (voir ci-dessous). Hamelink et le « mythe » Internet Au ministre devait succéder le Pr Cees Hamelink, qui surprend son auditoire en prenant la parole debout, «à la manière d’Aristote», ce qui ne manque pas d’animer la séance. En universitaire chevronné, Hamelink émaille le mot qu’il prononce d’anecdotes. Sujet : «Cyberespace et accès à l’information». L’intervention est caustique. Le cyberespace existe-t-il ? Est-il souhaitable ? Hamelink déboulonne le mythe Internet. «La société de l’information ressemble à la démocratie athénienne. La plupart des hommes en sont exclus», affirme-t-il ironiquement. Et d’enchaîner en soulignant que plus de la moitié des êtres humains n’ont jamais fait d’appel téléphonique dans leur vie. Seuls 6 % des habitants du monde ont un ordinateur chez eux et sont branchés sur la toile, et 80 % d’entre eux vivent en Occident, enchaîne Hamelink, qui souligne le problème de la pauvreté dans ce «meilleur des mondes» dont l’existence n’est même pas sûre. Mais quel capital serait nécessaire pour que le téléphone soit installé dans chaque maison, et un ordinateur dans chaque école ? s’interroge, mi-figue, mi-raisin Hamelink. Réponse : «88 milliards de dollars». Après un temps de pause qui doit permettre à l’auditoire de mesurer combien un tel objectif est impossible à atteindre, Hamelink ajoute : «C’est exactement le montant que dépensent les Européens et les nord-américains en… nourriture pour chats et pour chiens». Hamelink parle ensuite du spectre électromagnétique (EMS) et du droit de propriété intellectuelle. Ce champ de communication qui est propriété de l’humanité tombe progressivement sous le contrôle des cinq grandes compagnies de téléphone au monde, qui en deviendront pour ainsi dire les «portiers» et pourront contrôler ainsi le cyberespace, explique-t-il. Le droit de propriété intellectuelle est tel que même certaines œuvres qui sont aujourd’hui du domaine public, comme le théâtre de Shakespeare ou la musique de Mozart, pourraient être confisquées au profit des compagnies qui en contrôleraient des versions spécifiques. Le conférencier va ensuite soulever les dangers pour l’environnement de la généralisation d’Internet, en évoquant l’énorme dépense d’énergie qu’il exige, les émanations de gaz carbonique des imprimantes et le déluge de micro-ondes dans lequel on serait appelé à baigner. «La généralisation de l’accès à Internet fera-t-elle un meilleur monde ? L’hypothèse est douteuse. Voulons-nous que nos enfants apprennent à fabriquer des bombes ? Voulons-nous qu’il soient noyés dans la pornographie ? La violence ? Voulons-nous que l’univers entier se transforme en panneau commercial, et lise sur la lune, écrite avec des rayons laser, des publicités pour des préservatifs ? L’information est loin d’être le pouvoir. Il y faut la médiation de la technologie et de l’argent. Nous sommes tous atteints du syndrome du Titanic. Nous croyons de façon absolue au cyberespace, comme les passagers du Titanic croyaient le navire insubmersible. N’aspirons pas au “cyberespace”, a conclu Hamelink. Car il pourrait sonner l’heure de la société de surveillance policière totale, et marquer l’apparition d’une civilisation très vulnérable, facilement déstabilisée. Relisons Alice au pays des merveilles, et les paroles de la reine Blanche, qui affirme : “Je peux me souvenir du futur”. Préparons-nous au pire, afin de ne pas être pris par surprise. Ayons le courage de tirer les leçons de nos erreurs». Les jeunes réconciliés avec la lecture Après cet appel à la sobriété, M. Alexandre Najjar, écrivain et avocat, devait exposer les problèmes soulevés par le «cyberespace» sous l’angle juridique (voir par ailleurs). Le débat devait être marqué par des interventions de M. Gebran Tuéni qui, avec son énergie habituelle, a fait l’éloge d’«Internet» qui, pour lui, «a réconcilié toute une génération de jeunes avec la lecture et l’écriture», tout en dénonçant les États arabes qui tentent d’entraver le progrès de la démocratie et de maintenir leurs peuples dans le Moyen Âge de la pensée unique, avec 0,03 % de leurs budgets consacrés à la recherche scientifique. «Depuis cent ans, les pays arabes ne sont même pas parvenus à inventer une salière», a-t-il dit, s’attirant les foudres de certains membres de l’assemblée, qui ont fait valoir que des Arabes d’une grande valeur intellectuelle ont prospéré dans certains pays. «Justement pas chez eux», a répondu M. Tuéni. Pour sa part, M. Sammak devait insister sur le fossé culturel, technologique et économique entre le Sud et le Nord, sans vraiment tenter d’en expliquer l’origine. Il l’a fait au moyen d’une histoire. «En 1690, raconte-t-il, le roi du Maroc envoie son ambassadeur en Espagne, pour négocier avec le roi d’Espagne la libération d’un certain nombre de Marocains prisonniers. Dans ses Mémoires, l’ambassadeur raconte : J’ai vu à Madrid une machine à écrire. Le propriétaire de cette machine rassemble des nouvelles de différentes parties du pays, et les publie sur une feuille de papier, qu’il propose à la vente à un bas prix. Mais ces papiers sont pleins d’exagération et de mensonges. Les gens appellent ces papiers “gazettes”, un nom aussi étranger que l’idée elle-même». Pour Fady Noun, enfin, Internet est «un outil parmi d’autres, à la disposition de l’homme. Internet ou pas, nous sommes dans le monde de la communication humaine, ajoute-t-il, avec tout ce que cela suppose comme limitations». Pour arracher cet outil de la domination du pouvoir et de l’argent, il existe des moyens, que certains ont tenté avant nous, ajoute Noun. Ainsi, le gouvernement français a donné l’exemple en subventionnant la presse écrite, dans le but de préserver la diversité des opinions, explique-t-il avant de souligner qu’«il est donc nécessaire de substituer, dans certains secteurs au moins, l’économie de partage à l’économie de marché, et investir dans ce qui n’est pas rentable, du point de vue des chiffres, mais qui l’est du point de vue culturel ou national». Ainsi, Fady Noun prend vigoureusement la défense de l’existence d’une télévision nationale qui mettra en valeur ce que des télévisions commerciales ne songent même pas à montrer.
Au second jour du colloque organisé par la commission nationale de l’Unesco sur le thème général de l’«Éthique des sciences et des technologies», une attention particulière a été accordée à l’«Infoéthique», ou l’éthique des moyens de communication, en particulier le «cyberespace», l’espace délimité par les moyens informatiques mis en réseau. La séance...