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Actualités - OPINIONS

La guerre à crédit ?

La détermination américaine à lever une expédition internationale contre le terrorisme ne manque pas d’embarrasser en ce moment, sinon d’inquiéter jusqu’à l’insomnie, nombre de pays arabes. C’est le cas bien sûr des «États voyous» qui, à des degrés divers, ont condamné l’hécatombe de New York et de Washington mais qui n’en redoutent pas moins d’être pris dans la vengeresse tempête. Il en va de même pourtant des États dits modérés – ou encore pro-occidentaux, même s’ils ne brillent guère par leurs vocations démocratiques – lesquels, tout en proclamant leur solidarité avec les États-Unis, craignent, eux, d’avoir à affronter les lames de fond populaires que provoquerait fatalement toute frappe militaire contre un pays arabo-musulman. Les affres que connaît le régime pakistanais, tiraillé entre les injonctions américaines et les pressions des islamistes, sont édifiantes à cet égard. C’est un fait que l’odieuse et épouvantable agression dont ils viennent d’être victimes n’a guère rendu les Américains plus sympathiques aux yeux des masses arabes. Car pour elles, il ne s’agit pas seulement de globalisation, synonyme d’hégémonie économique US, d’égoïsme yankee en matière d’environnement ou bien d’indifférence face aux innombrables atteintes aux droits de l’homme répertoriées aux quatre coins de notre bonne vieille terre. Avec l’Amérique et crise après crise, le contentieux n’est plus affaire de dollars ou de trou d’ozone. Déjà perçu de longue date comme le protecteur inconditionnel d’Israël, Washington s’est évertué en effet ces dernières années à détruire de ses propres mains, comme à plaisir, le regain de crédibilité que lui valait son statut autoproclamé ( et volontiers reconnu, bien que sans trop d’illusion) d’honnête courtier entre les Arabes et l’État hébreu. De sommet en sommet, de Wye Plantation en Charm el-Cheikh et retour, l’administration Clinton a cautionné une perpétuelle renégociation de l’accord historique d’Oslo, une incessante remise en question par Israël de points cruciaux précédemment réglés. Cédant à la tentation isolationniste, George Bush a joué, lui, les Ponce Pilate, tandis que Sharon mettait à feu et à sang les territoires autonomes et érigeait en doctrine, le plus impunément du monde, sa politique de liquidation systématique des chefs palestiniens. Entre «barbares» et «civilisés», la frontière américaine – et demain peut-être universelle – méritait tout de même d’être ébauchée à temps, avec plus de discernement et d’honnêteté, par la superpuissance garante du processus de paix. À temps en effet, car tout au long de cette année d’intifada, l’administration US a coupablement ignoré les conseils angoissés de ses amis arabes comme les coups de semonce d’un terrorisme déclinant clairement ses prétentions panislamiques. Ce n’est qu’au lendemain de la catastrophe, pour se rallier les hésitants en leur montrant que l’Amérique reste engagée dans la crise du Proche-Orient, qu’elle ne permettra pas à Sharon d’exploiter sur le terrain le malheur qui la frappe, que George W. Bush a jeté tout son poids pour imposer un cessez-le-feu et le retour au statu quo ante en Palestine. Dans l’état d’épuisement et de désespérance extrême où elle se trouve, et au risque d’un conflit avec les extrémistes du Hamas, l’Autorité autonome a décidé de faire l’impasse sur douze mois d’une coûteuse intifada, sans autre contrepartie qu’une vague promesse de relance des pourparlers de paix. Mais c’est surtout en se joignant à la coalition internationale en gestation que Arafat, une décennie après son malheureux pari sur Saddam Hussein, mise tout sur le mustang américain cette fois. Les «capacités» d’Abou Ammar, martialement placées à la disposition de Washington, ne pèseront pas bien lourd il est vrai dans la balance militaire; mais l’audacieuse démarche du dépositaire légal de la cause sacrée des Arabes incitera sans doute l’Egyptien Moubarak, le Jordanien Abdallah et le Séoudien Fahd à surmonter leurs réticences et à rempiler sans trop de délai à l’ombre de la bannière étoilée. Plus complexe et délicat est le cas de la Syrie, pays qui a promptement condamné les attentats antiaméricains, mais qui continue de figurer sur la liste des pays soutenant le terrorisme en raison de son soutien au Hezbollah et de l’hospitalité qu’il accorde aux radicaux palestiniens. Les Syriens sont-ils en position de se démarquer sans risques d’une démarche internationale visant le fléau du terrorisme ? Voudraient-ils un jour (et pourraient-ils, sans l’assentiment exprès de l’Iran ) neutraliser le Hezbollah dont ils font valoir, tout comme les dirigeants libanais, qu’il est une organisation de résistance et en aucun cas un groupe terroriste ? Pour Damas, le dilemme est encore plus difficile qu’en 1990, lorsqu’il ne s’était agi que de rejoindre la coalition internationale contre l’Irak. En échange, la Syrie avait obtenu à l’époque l’enclenchement du processus de paix parrainé par les États-Unis avec, en juteuse prime, un véritable blanc-seing pour étendre son autorité à tout le territoire libanais. Dans quelle mesure, et à quel prix pour les maillons faibles cette fois, l’Histoire peut-elle se répéter quand elle pousse l’ironie jusqu’à mettre en présence, dans les coulisses de l’action, deux générations nouvelles de présidents Bush et Assad ? En rappelant haut et clair aux Libanais qu’ils étaient en infraction aux yeux de Washington, en leur présentant une liste substantielle de revendications, l’ambassadeur des États-Unis Vincent Battle a traduit mardi la volonté de son pays d’ouvrir en temps opportun tous les dossiers, même les plus empoussiérés. L’agitation locale, les déplacements fiévreux de Rafic Hariri montrent que le message a été bien reçu. Reste à espérer que les Libanais, traités en partenaires à part entière, en adultes, à l’heure des remontrances, sauront aussi faire entendre leur voix, leur sienne propre, lors de la distribution des prix.
La détermination américaine à lever une expédition internationale contre le terrorisme ne manque pas d’embarrasser en ce moment, sinon d’inquiéter jusqu’à l’insomnie, nombre de pays arabes. C’est le cas bien sûr des «États voyous» qui, à des degrés divers, ont condamné l’hécatombe de New York et de Washington mais qui n’en redoutent pas moins d’être pris...