Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

PRISONS - Ajem, l’association qui a forcé Roumieh à s’humaniser - Justice et miséricorde derrière les barreaux

«Aucun de vos actes ne peut vous enlever votre dignité d’enfants de Dieu». C’est sur ces paroles de Jean-Paul II adressées à tous les prisonniers du monde que l’Association Justice et Miséricorde (Ajem) a décidé de fonder son action. Une des rares associations autorisées à intégrer l’univers mélancolique des prisons, Ajem a choisi depuis trois ans d’aider la population carcérale, celle que l’ensemble de la société a fini par abandonner. Après avoir travaillé plusieurs années dans l’ombre, Ajem a commencé aujourd’hui à faire parler d’elle, plus précisément après l’arrestation de dizaines de jeunes Libanais qui avaient organisé une manifestation devant le Palais de justice. Pour la première fois, les responsables d’Ajem ont accepté de témoigner et de nous conduire dans les coulisses de cet univers ténébreux de tout temps interdit aux journalistes. «L’angoisse commence bien avant d’arriver en prison. Elle est déjà très intense avant même que le condamné franchisse les portes de son lieu de détention. Car il ignore autant que ses parents ce qui l’attend», nous confie Hana Nassif, assistante sociale et responsable administrative à Ajem. D’où une première mission de cette association, celle d’informer, de guider et d’orienter, pour préparer la famille à s’organiser afin d’affronter la nouvelle vie à laquelle elle devra désormais s’habituer. Le monde carcéral est en effet redoutable non seulement pour celui qui est à l’intérieur des murs, mais aussi pour ses proches, dont le quotidien sera désormais bouleversé. Par conséquent, la seconde mission de l’association consistera à écouter les doléances des parents pour les soulager et les soutenir dans leurs angoisses, tout en leur apportant le soutien social et psychologique nécessaire. Des conseils pratiques leur seront également prodigués sur le type de relations à entretenir avec le détenu, la nourriture, les biens matériels qu’ils ont le droit d’introduire, la signification et le rythme des visites, etc. «Nous devons toujours expliquer aux parents par exemple que les visites doivent toujours être espacées, mais régulières, au début comme à la fin. Sinon, ils commencent par un rythme effréné, à savoir plusieurs visites par semaine. Puis, ils finissent par se fatiguer et ne viennent plus qu’une fois l’an», explique Hana Nassif. «Dès les premières heures d’incarcération, aux derniers moments avant la libération, jusqu’à la sortie des portails de fer, mais aussi lors des premiers pas, juste après…», telle se résume l’action de cette ONG qui accompagne le prisonnier tout au long de son calvaire en l’aidant à surmonter son temps d’incarcération. Cependant, son objectif lointain consiste à le préparer pour la période de réhabilitation, c’est-à-dire à sa sortie de prison. Ajem lui offre en outre tous les outils nécessaires à sa réinsertion au sein de la société. Manque de moyens Avec des moyens de bord relativement réduits, cette association déploie paradoxalement des efforts énormes, en assurant des services humanitaires dignes d’une nation civilisée. Le problème, explique le directeur de l’association, père Hadi Aya, se situe au niveau des capacités d’absorption de la prison et de son potentiel de gestion pour une population de plus de 6 000 prisonniers. Outre des lacunes énormes en matière de culture carcérale, la prison de Roumieh a encore très peu d’ordinateurs et manque de moyens financiers nécessaires pour gérer efficacement son administration. Pourtant, Ajem a réussi à instaurer à Roumieh, contre vents et marées, des services dont on ne pouvait même pas rêver il y a cinq ans : un service social pour élaborer notamment un projet de réinsertion sociale avec le détenu, soutenir sa famille et consolider les relations humaines au sein de la prison ; un service médical, qui assure, outre des services de santé générale, un support psychologique et psychiatrique (évaluation et suivi) ; un service juridique qui, à travers un département de consultation et d’orientation juridique assure un suivi de dossiers, veille à l’application des lois et collabore à la promotion d’une nouvelle législation ; enfin un centre de sport qui a été édifié en plein lieu de détention où les prisonniers sont formés à devenir eux-mêmes moniteurs ou arbitres après avoir suivi des sessions d’entraînement. Ainsi, des équipes de basket-ball, de mini-football, et de volley-ball ont été formées sur place. Ces équipes réunissent près de 400 détenus qui organisent régulièrement des matchs. Divertir pour éduquer et apprendre le sens de la solidarité, voilà à quoi vise le sport en prison. «À travers ces activités, Ajem cherche à renforcer l’esprit de groupe et l’estime de soi, indique père Hadi. Par-delà le bien-être physique, le prisonnier apprend la loi et le respect du jeu, c’est-à-dire des règles qui ont un impact sur le programme de réhabilitation. Grâce au jeu, le détenu connaîtra ses capacités et ses limites. Il apprendra à discuter avec l’autre sans conflit. En outre, souligne le père antonin, le sport-jeu est un espace-temps où les prisonniers vont se mêler les uns aux autres sans considérations de classe ni de religion. «C’est là où toutes les barrières sociales tombent». Autre moment de vérité : lorsque le prisonnier se retrouve face à lui-même, lors des entretiens individuels que l’assistante sociale effectue avec lui. Ces entretiens sont établis à sa demande pour discuter de problèmes personnels, familiaux ou juridiques. «Le but de ces entretiens, c’est d’aider ces personnes à dépasser leur sentiment de culpabilité et à acquérir une meilleure image d’elles-mêmes, à l’aide de la parole», souligne Édith Karam, assistante sociale qui anime depuis près de 4 ans ce type d’ateliers. Cependant, dit-elle, le cheminement intérieur de chaque prisonnier reste différent et le changement observé dépend du temps de réflexion nécessaire et de l’histoire personnelle de chacun. «Certains prisonniers ont été complètement rejetés par leur famille à cause du scandale qu’ils ont provoqué au sien des leurs. Par conséquent, le temps nécessaire à leur réhabilitation est bien plus long que pour les autres», conclut l’assistante sociale. Ces entretiens se déroulent parfois en groupe, sur des sujets d’ordre plus général, tel que l’éducation des enfants, la justice, la vie de partenaire, «ou toute autre discussion qui peut les préparer à une future réinsertion», explique Édith Karam. D’autres sujets traités portent sur la notion de citoyenneté, sur la gestion d’un métier, la confiance en soi, bref des sujets de développement personnel qui peuvent servir le détenu à l’avenir. Soutien social mais aussi psychologique, psychanalytique et même psychiatrique. Un psychologue, 4 psychiatres, dont un spécialiste en matière de toxicomanie, et un psychanalyste suivent de près les prisonniers à problèmes, et tous ceux qui nécessitent des soins particuliers. Le cas des malades mentaux Hana Nassif nous explique que près de 14 cas de malades mentaux croupissent dans la prison de Roumieh depuis au moins14 ans. «Le plus aberrant dans toute cette affaire, explique Hana Nassif, est que, d’après la loi libanaise, le malade mental qui est incarcéré ne peut sortir de prison qu’une fois guéri. Or quand il s’agit de maladie mentale, la guérison est lente, et il est très difficile dans certains cas de diagnostiquer la guérison. Par conséquent, certaines personnes croupissent dans leur cellules le restant de leur vie». Mme Nassif raconte le cas de ce sexagénaire qui a été emprisonné pour mendicité, un délit sanctionné par la loi libanaise. Par la suite, cet homme a développé une maladie mentale et, depuis quarante ans, il se fait traiter pour sa maladie. Il a aujourd’hui 63 ans. D’autres cas semblables ont été oubliés dans les cellules sombres de la prison de Roumieh. Parfois, même leurs parents ont désespéré de les voir sortir et ne se sont plus enquis d’eux. Ajem se charge aujourd’hui de retrouver leurs traces. «Finalement, la prison n’est rien d’autre que la société en miniature. Tous les acteurs de cette dernière y sont représentés, à la différence près qu’ils s’y trouvent en réclusion», affirme père Aya. Il y a ceux qui bénéficient de privilèges de tout genre (financiers, contacts politiques, etc.). Il y a les riches, les pauvres, les forts, les faibles, les cultivés. En prison, les deux monnaies les plus courantes sont l’argent et les cigarettes. Ceux qui sont en bonne santé sont également favorisés dans la mesure où ils ont comme arme redoutable leurs muscles pour se protéger et protéger les autres. Bref, dit-il, cela ressemble étrangement à une scène habituelle de la vie courante». La présence d’Ajem est par conséquent d’autant plus appréciée que la loi de la jungle qui aurait tendance à prévaloir dans les lieux de détention s’en trouve plus adoucie par la présence d’une équipe qui a foi en la justice et la miséricorde. Mais aussi une équipe qui a pour souci premier de transmettre au public une image autre du prisonnier. Celui qu’elle aura aidé à renouer avec son humanité.
«Aucun de vos actes ne peut vous enlever votre dignité d’enfants de Dieu». C’est sur ces paroles de Jean-Paul II adressées à tous les prisonniers du monde que l’Association Justice et Miséricorde (Ajem) a décidé de fonder son action. Une des rares associations autorisées à intégrer l’univers mélancolique des prisons, Ajem a choisi depuis trois ans d’aider la...