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Actualités - ANALYSES

JUSTICE - Les témoignages de solidarité avec le magistrat se multiplient - La démission de Riachi attend un règlement juridique

Le choc passé, la démission du magistrat Ralph Riachi retrouve son contexte initial : une affaire purement judiciaire interne, sur fond de conflit de compétences entre la justice militaire et les juridictions civiles. Riachi attend toujours la réunion du CSM qui, selon lui, connaît le problème dans ses moindres détails. Mais celui-ci se fait désirer, préférant que la tempête se calme avant de réagir. Reste que la démission coup d’éclat a ébranlé l’ensemble du corps judiciaire qui n’en finit plus d’essayer de cacher son malaise. Le cri du magistrat qui s’est senti trop humilié pour continuer à assumer ses fonctions sera-t-il entendu ? Dans sa maison d’été du Haut-Metn où il a passé la journée d’hier, Ralph Riachi n’en revient pas. Il croyait en toute bonne foi que l’annonce de sa démission occuperait trois lignes dans la rubrique des faits divers judiciaires, mais voilà qu’elle fait la une de toute la presse et l’ampleur donnée à la nouvelle semble le dépasser. Entouré de quelques amis, juges comme lui, ce magistrat à la longue et brillante carrière, qui a toujours respecté le devoir de réserve imposé à sa profession, n’a qu’un souci : éviter les journalistes et autres amateurs de fortes déclarations. Il a agi selon sa conscience, protestant contre les procédés utilisés par certains de ses confrères au sein de la justice militaire et considérant que face à toutes ces violations, il ne peut plus assumer ses fonctions. Si la lutte entre les juridictions civiles et militaires a toujours existé, elle n’a cessé de prendre de l’ampleur ces derniers temps, surtout depuis que les projets d’amendements du système judiciaire prévoient une réduction des prérogatives du tribunal militaire. La goutte d’eau... Mais les tensions auraient pu rester latentes si le commissaire adjoint du gouvernement près le tribunal militaire Maroun Zakhour n’avait présenté un recours contre la décision de la Cour de cassation, présidée par Riachi et ayant pour assesseurs Khodr Zanhour et Bourkan Saad, de déclarer le tribunal militaire incompétent dans l’affaire des 75 aounistes et membres des FL. Dans son recours, le juge Zakhour a précisé que la cour devait rejeter le recours présenté par les avocats des inculpés, un tel recours n’étant, selon lui, recevable que lorsque les dossiers sont entre les mains du juge d’instruction militaire. Une fois l’affaire déférée devant le tribunal militaire, le recours devient irrecevable. Pour la Cour de cassation, ses décisions sont sans appel et de toute façon, il est inconcevable de publier un recours dans la presse avant de l’enregistrer auprès du greffe de la cour. Ce que semble avoir fait le juge Zakhour et qui, selon Riachi, doit être considéré comme une faute professionnelle. D’ailleurs, le procédé était si gros que le CSM s’est réuni de toute urgence samedi dernier et a publié un communiqué dans lequel il demande aux magistrats de ne pas publier les recours dans la presse sans attendre les jugements. Mais pour Riachi, ce communiqué est insuffisant. Selon lui, il faut mettre de l’ordre dans le fonctionnement de la justice et recommencer à appliquer la loi. Il a donc présenté sa démission, dans l’espoir de provoquer une réaction au sein du CSM, une sorte de prise de conscience pour faire cesser les violations. Scénarios et hypothèses Normalement, le Conseil supérieur de la magistrature, dont Riachi est d’ailleurs membre, devait se réunir hier pour étudier la démission, mais il n’a pu le faire faute de quorum, trois de ses membres s’étant absentés : Addoum (en voyage), Maamari et Riachi. Le CSM se réunira à nouveau au cours des prochains jours, probablement jeudi. S’il accepte la démission – hypothèse que tout le monde rejette –, le dossier sera clos et la magistrature devra se passer des services de Riachi. Si la démission est refusée, le CSM devra expliquer sa position et probablement prendre les mesures qui permettraient à Riachi de revenir sur sa décision, autrement dit dénoncer clairement les violations du droit et déférer éventuellement les responsables devant le Conseil disciplinaire. Si le CSM se contente de refuser la démission sans une autre mesure concrète, le juge pourrait alors la maintenir et c’est le Conseil des ministres qui devra trancher, Riachi étant membre de la cour de justice et donc nommé par décret. En attendant, le Palais de justice a été hier le théâtre d’une activité inhabituelle. De nombreux magistrats ont défilé chez le président du CSM, Mounir Honein, pour exprimer leur solidarité avec Riachi. Certains ont même suggéré de rédiger une pétition et de la présenter au CSM afin de le pousser à refuser la démission du juge. Solidarité en chaîne De son côté, le conseil de l’Ordre des avocats de Beyrouth a tenu hier une réunion extraordinaire sous la présidence du bâtonnier Michel Lyan et en présence des anciens bâtonniers Cortbawi et Klimos. Le conseil a rendu hommage à Riachi, «un magistrat intègre et courageux», en demandant au CSM de rejeter sa démission, tout en traitant comme il le faut les failles que cette démission dénonce. Selon son communiqué, l’Ordre des avocats pressentait la crise et continue à exprimer son attachement à l’indépendance de la justice. Les témoignages de solidarité se sont multipliés, certains sincères, d’autres visant à marquer des points politiques. Le PSP a été le premier à publier un communiqué, dans lequel il salue le courage de Riachi et précise qu’en démissionnant pour défendre ses convictions, il a montré qu’il y avait encore au Liban des magistrats qui se respectent et respectent leur mission. Le communiqué du PSP dénonce les tentatives persistantes de mettre la justice au pas en étendant les compétences des tribunaux militaires au détriment des juridictions civiles. Toujours selon le PSP, la bataille pour l’indépendance de la justice fait partie de la grande bataille pour les libertés. L’ancien président de la Chambre Hussein Husseini a aussi commenté la démission en insistant sur la nécessité d’assurer l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs. Le ministre de l’Information Ghazi Aridi a appelé Riachi au téléphone, pressant les autorités concernées à prendre les mesures qui s’imposent. Les députés Albert Moukheiber, Georges Kassarji et Abdellatif Zein, ainsi que le Dr Edmond Naïm et bien d’autres personnalités ont aussi exprimé leur solidarité avec le magistrat démissionnaire, alors que certaines informations font état d’une médiation entreprise par l’ancien ministre Michel Murr. Mais Ralph Riachi n’en demande pas tant. Le magistrat discret ne souhaitait pas faire tant de vagues. Il voulait juste pouvoir exercer son métier en paix, selon sa conscience.
Le choc passé, la démission du magistrat Ralph Riachi retrouve son contexte initial : une affaire purement judiciaire interne, sur fond de conflit de compétences entre la justice militaire et les juridictions civiles. Riachi attend toujours la réunion du CSM qui, selon lui, connaît le problème dans ses moindres détails. Mais celui-ci se fait désirer, préférant que la tempête...