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Actualités - INTERVIEWS

Interview express - Le député du Metn qualifie la séance parlementaire de lundi de « tragédie nationale » - Pierre Gemayel : Pour Hariri, « le début de la fin »

Pierre Gemayel n’aime pas les mascarades. Son départ remarqué lundi du Parlement avant le vote sur le code de procédure pénale, «car ma dignité ne me permet pas de rester et parce qu’il y va aussi de la dignité de la Chambre», en dit long sur le personnage et sur ses convictions. Après cette séance houleuse à l’Assemblée et les arrestations brutales, peut-on encore parler de dialogue, M. Pierre Gemayel ? «Le dialogue est une conviction. Nous sommes convaincus qu’à travers un dialogue sain et sérieux, se basant sur les faits réels de la politique actuelle, du social et de l’économique, nous pouvons, en tant que Libanais, établir une politique conjointe pour sortir de la crise», affirme-t-il d’un ton posé. «Malheureusement, il y a toujours au Liban un climat de vainqueur et de vaincu. Or une politique qui se base sur une majorité et des minorités est inacceptable dans un pays démocratique. C’est pour cela que nous sommes en train de créer une dynamique politique, que ce soit à travers le patriarche Nasrallah Sfeir et la réconciliation au Chouf avec Joumblatt, ou via le groupe de Kornet Chehwane et les députés», poursuit-il. Dressant une chronologie des derniers événements, le député originaire de Bickfaya qualifie les arrestations de «barbares». «Elles ont mis tout le monde face à une situation incompréhensible et illogique, et cela s’est terminé devant le Palais de justice où ils ont brutalisé des étudiants. Cela ne peut être interprété que comme une limite à la liberté d’expression et comme un coup porté à la Constitution libanaise et aux droits de l’homme sur lesquels se fonde la société libanaise», selon lui. Évoquant son départ du Parlement, lundi, avant le vote sur le code de procédure, il explique : «L’amendement du code est inacceptable, et c’est pour cela que j’ai quitté». Et de souligner : «Quel dialogue pouvons-nous encore entreprendre dans un pays où il y a des gens qui se promènent avec des armes, qui frappent des étudiants, qui ne se soumettent pas aux lois, qui sont extralégaux et que personne n’ose interroger ?». Quelle est, selon lui, l’ampleur de ce qui s’est déroulé lundi au Parlement ? «C’est une tragédie nationale. À partir d’aujourd’hui, s’exprimer librement nécessite un permis, se trouver dans un lieu public est devenu un danger, réfléchir à haute voix est désormais impossible sous peine de trahison pour atteinte à l’unité nationale. Quel est donc l’avenir qu’on réserve aux jeunes Libanais ? Il convient de reprendre le dialogue sur des bases équitables, ce qui est de la responsabilité du gouvernement et du président de la République, lequel ne s’est toujours pas expliqué sur l’envergure de l’action dans laquelle l’armée et les forces de l’ordre étaient impliquées». Un gouvernement « disloqué » Le parlementaire met l’accent sur le fait que «c’est un gouvernement disloqué que l’on a vu au Parlement. Un cabinet divisé sur le projet de loi amendant le code de procédure pénale et sur les arrestations. Qui, à l’ombre de ce gouvernement, est en train de prendre les décisions ?». Que pense-t-il de la réaction du bloc Hariri au Parlement ? «Le chef du gouvernement a été mis devant le fait accompli. Il a été écartelé entre sa responsabilité au plan économique et des situations qu’il ne voulait pas accepter. Il a fort malheureusement été contraint de donner des explications dont il n’était même pas convaincu. «Comment Hariri va-t-il pouvoir gouverner ? Comment le sommet de la francophonie va-t-il se tenir dans un pays qui, dans les faits, est une dictature enrobée d’une démocratie ? On est en train de pousser Hariri à claquer la porte. Ce serait peut-être le chaos économiquement et politiquement s’il s’en va». Mais n’est-ce pas un compromis au vrai sens du terme que Hariri a dû négocier au Parlement en votant l’amendement ? «Il a dit lui-même qu’il ne votait pas logiquement. On ne peut pas en l’espace de dix jours être convaincu d’une chose puis de son contraire. C’est une attitude politique». Était-il plus sage d’en arriver à ce compromis ? «Je n’ai pas les données qu’il a. Toute cette affaire visait de prime abord à obtenir sa démission. En faisant ce compromis, je ne sais pas s’il arrive à sauver la situation, une situation dont il est quand même responsable. Sa position était peut-être sage, mais je pense qu’il s’agit du début de la fin. Ceux qui ont choisi la voie du compromis le feront encore à chaque fois. Ils seront toujours mis devant le fait accompli et exécuteront toujours la politique des autres. Mais je ne sais pas si cela sert ses intérêts, parce que c’est lui, et lui seul, qui va payer la facture à l’arrivée». Que pense-t-il de la position de Walid Joumblatt, à qui le président Amine Gemayel avait été l’un des premiers à tendre la main ? «Elle était claire, nette et précise. C’est un partisan du dialogue et de la réconciliation. Le président Gemayel avait raison de tendre la main à Walid Joumblatt puisque cette réconciliation a été bénéfique. Le patriarche Sfeir a suivi le même chemin. Cela a redonné confiance aux Libanais et aux étrangers dans le pays. Nous avons montré à tout le monde que les Libanais savent se réconcilier. «Le gouvernement avait commencé à engager ce dialogue, mais beaucoup n’en veulent pas parce qu’ils profitent de l’absence de ce dialogue pour affirmer que c’est nous qui ne voulons pas d’un Liban libre, uni, indépendant et démocratique et qu’il y a toujours des complots perpétrés contre le Liban avec l’aide des Israéliens. C’est absurde, puisque personne ne veut comploter contre l’État. Au contraire, nous cherchons à en édifier un». Et l’affaire Toufic Hindi ? «Une retransmission vidéo comme celle qui a été montrée à la télévision, c’est du jamais-vu dans le système juridique. C’est louche. Il s’agit d’une affaire purement politique. Si jamais ils arrivent à prouver que Hindi avait des relations avec des Israéliens, c’est lui qui en assumera la responsabilité. On ne peut, à partir de cette affaire, intimider tous les chrétiens et les qualifier tous de traîtres. Nous ne sommes pas des traîtres. Je pose beaucoup de points d’interrogation autour de cet interrogatoire. Cela nous rappelle les méthodes employées par le régime nazi sous Hitler». Et de qualifier de «honteuse» l’arrestation des jeunes, condamnés à la prison «rien que pour sauver la face». «Au lieu de dialoguer avec ces jeunes, l’État les a écrasés comme lors de l’entrée des troupes soviétiques à Prague», insiste-il. « Une militarisation non déclarée » Face aux déconvenues que connaît actuellement le dialogue, quelle sera la réponse de Kornet Chehwane ? «Nous allons poursuivre le dialogue pour combler les fissures qui sont apparues, pour mettre le gouvernement face à ses responsabilités. Nos positions sont claires et nous n’allons pas baisser les bras face à cette politique policière. Nous ne sommes pas intimidés par l’affaire Toufic Hindi, sur laquelle nous nous posons bien des questions. Il s’agit d’une bataille de longue haleine». Ne craint-il pas des poursuites contre le groupe de Kornet Chehwane ? «Non. Les intimidations ne nous feront pas baisser les bras. Nous menons actuellement une bataille pour les libertés, les droits de l’homme, la démocratie et le Liban tout entier. Une bataille qui concerne tous les Libanais». Une militarisation du régime est-elle à craindre ? «Il s’agit déjà, fort malheureusement, d’une militarisation non déclarée encore». Y a-t-il eu un coup de frein au rééquilibrage des relations libano-syriennes ? «Les Syriens ne sont peut-être qu’indirectement concernés dans cette affaire. Je ne cherche pas à les ménager, mais nous ne pouvons pas toujours les accuser de tout. Il y a quand même des responsables libanais qui doivent assumer leurs responsabilités». M. Gemayel met l’accent, en rejetant le recours à l’escalade, sur le fait que les événements de ces derniers jours sont aussi «une campagne d’intimidation, et une mauvaise campagne de réhabilitation du chef de l’État pour impressionner les chrétiens en premier lieu». Et l’avenir, est-il tout sombre ? «Non. L’avenir, c’est nous-mêmes qui le forgeons». N’est-ce pas une réponse idéaliste ? «Non, c’est une position réaliste», répond-il fermement, sans cesser de sourire. En pensant peut-être aux futures estocades, durant les séances parlementaires, que l’avenir lui réserve...
Pierre Gemayel n’aime pas les mascarades. Son départ remarqué lundi du Parlement avant le vote sur le code de procédure pénale, «car ma dignité ne me permet pas de rester et parce qu’il y va aussi de la dignité de la Chambre», en dit long sur le personnage et sur ses convictions. Après cette séance houleuse à l’Assemblée et les arrestations brutales, peut-on encore...