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Actualités - BOOK REVIEWS

NOTE DE LECTURE - « Dernier inventaire avant liquidation » de Frédéric Beigbeder - Lire et délire

Dernier inventaire avant liquidation* : le titre de ce nouveau livre de Frédéric Beigbeder est-il prophétique ? En tout cas, l’auteur s’y éreinte à défendre la littérature et à faire l’éloge du pouvoir des livres. En 1999, 6 000 Français ont choisi parmi 200 œuvres, présélectionnées par des libraires et des critiques, les 50 meilleures d’entre elles (les bulletins étaient distribués par la FNAC et le journal Le Monde). Comme la chanson, la littérature aurait son top 50. Malgré ce qu’on redoutait, seulement la moitié des livres choisis ne sont pas français. Entre le 50e, Nadja d’André Breton, et le n°1, L’Étranger de Camus, Beigbeder commente cet assortiment de manière très personnelle et, comme toujours, pleine d’esprit. Frédéric Beigbeder avoue dans son introduction qu’il aurait également choisi Houellebecq et Kerouac, et qu’il profite de cette tribune pour refaire sa réputation (de légèreté, d’esbroufe, un beau parleur qui ne connaît rien, comme l’écrivent plusieurs journalistes dans la presse française). «Parler de littérature n’est pas chose aisée. On se retrouve souvent avec quelques messieurs pérorant autour d’une table (...). Ou alors on devient un jeune chroniqueur arrogant comme moi : l’insolent de service, le contestataire de salon. Comment changer cela ?» En prouvant qu’il est aussi un lecteur qui aime vraiment les livres, et les connaît. Mais, en homme de médias qui veut garder l’attention de ses spectateurs, le critique ne dissèque pas l’œuvre ; il la met plutôt en perspective (quelques pages par titre) avec son époque, puis avec la nôtre. «Par la faute de Proust, un paquet d’auteurs français se croient obligés de faire de longues phrases sur leur maman pour sembler intelligents ; à cause de Joyce, n’importe quel imposteur se croit poète quand il est juste illisible». Puis, Faulkner aurait innové dans le style «Sud profond», avec ses meurtres, incestes et fermiers alcooliques. Bien sûr, tout cela est caricatural, mais le livre ne se veut pas un traité de littérature ; plutôt un commentaire critique écrit en humant l’air du temps. On y trouve également des vérités que tout le monde pense sans oser les dire (Sartre est ennuyant, «Autant en emporte» le vent est un navet, la poésie de Prévert est «simplette», «démago», «nunuche», etc.). Beigbeder, confessant qu’il n’avait pas lu tous les livres choisis, a fait ses devoirs et relu les titres qui se trouvent sur ce palmarès. Sur Bernanos : «(...) contrairement à mes préjugés (Bernanos le grand pamphlétaire catholique bla bla bla au secours), j’ai été frappé par une œuvre envoûtante et hallucinée, d’une violence âpre et sacrée. L’Exorciste peut aller se rhabiller !» Si Beigbeder donne souvent dans l’anecdote, on sent également qu’il essaie désespérément de garder toute l’attention de son lecteur : beaucoup d’apostrophes («essayez de suivre, s’il vous plaît»), de divertissement, au cours desquels il nous raconte par exemple ses apéros avec Kundera au Lutétia ; bref, il est bien loin des textes et donne dans ce que les Français appellent avec délice le people. Tout cela est-il vraiment pertinent ? N’en déplaise en tout cas aux puristes, c’est aussi ce que faisait Pivot, en invitant des gens à venir raconter leur vie, et en se montrant à la caméra. Beigbeder essaie, dans Dernier inventaire avant liquidation, de donner vie à des fantômes, de montrer aussi, en racontant (beaucoup) sa vie, comment les livres ont changé le cours de son existence. «Les livres comme Ulysse sont très rares et très précieux. On n’a pas l’impression de lire Ulysse, mais de l’écrire dans sa propre tête autant que l’auteur dans la sienne (...). Ulysse est sans doute un des romans que j’ai le plus détestés et pourtant c’est aussi l’un de ceux auxquels je pense le plus souvent. Quand je l’ai refermé avec soulagement, je savais que je ne serais plus jamais le même.» Didactique, Beigbeder étudie, analyse, attaque. Mais ce qu’il montre surtout, c’est que derrière les livres, il y a des hommes et des femmes (quelques-unes dans ce top 50), des écrivains, des éditeurs, des lecteurs, des stars… et on ne lit jamais une œuvre sans toutes ces références que sont aussi la guerre, la religion, le sexe, la psychanalyse, la politique, l’histoire, notre propre vie ou encore la télévision. D’ailleurs, son livre est télévisuel. On le sait, Beigbeder connaît le langage de la pub, la phrase punchée, la comparaison incongrue mais hilarante. Sa rhétorique n’est pas littéraire, elle est publicitaire. Parfois, on a l’impression qu’il pousse trop loin, qu’il parle trop de lui, qu’il cherche absolument les images drôles. Bref, sa marque de commerce lui colle à la peau. Mais à l’heure où l’on déplore le peu de place fait à la littérature, et à la culture en général (celle que procurent les livres, d’ailleurs), peut-on vraiment se priver d’un si bon vendeur ? * «Dernier inventaire avant liquidation» de Frédéric Beigbeder. Éd. Grasset, 2001, 222 p.
Dernier inventaire avant liquidation* : le titre de ce nouveau livre de Frédéric Beigbeder est-il prophétique ? En tout cas, l’auteur s’y éreinte à défendre la littérature et à faire l’éloge du pouvoir des livres. En 1999, 6 000 Français ont choisi parmi 200 œuvres, présélectionnées par des libraires et des critiques, les 50 meilleures d’entre elles (les bulletins étaient...