Avocat en droit international et ancien professeur de droit à Harvard, Chibli Mallat, candidat à la présidence de la République en 2006 et aujourd’hui mis en avant par le leader druze Walid Joumblatt comme « le meilleur candidat de compromis possible », vient de soumettre deux amendements majeurs à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pour un cessez-le-feu à Gaza.
M. Mallat, connu pour la plainte déposée auprès de la justice belge en 2003 pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide visant l’ancien Premier ministre d’Israël Ariel Sharon, et ses multiples contacts avec les décideurs palestiniens, a suggéré d’inclure au texte onusien deux propositions susceptibles de mieux garantir, selon lui, le succès d’un éventuel cessez-le-feu qui doit comprendre de manière concomitante un cessez-le-feu au Liban-Sud. Le juriste propose également une réduction progressive des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem, un objectif plus difficile à atteindre.
Chibli Mallat a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour.
Quelle est la valeur ajoutée des deux amendements que vous apportez à la résolution du Conseil de sécurité pour un cessez-le- feu à Gaza ?
La décision du Conseil de sécurité numéro 2735 (2024) est une excellente résolution, mais il lui manque une mention expresse du Liban-Sud et de la Cisjordanie pour que le cessez-le-feu soit exhaustif. En particulier au Liban-Sud, M. Netanyahu continuera à augmenter la tension malgré l’engagement du Hezbollah à arrêter les hostilités sitôt le cessez-le-feu établi à Gaza.
Pourquoi considérez-vous que ces amendements ont plus de chances d’aboutir que l’ensemble des efforts internationaux entrepris à ce jour en vue d’un cessez-le-feu (la médiation d’Amos Hochstein, les efforts français, ceux du Qatar et de l’Égypte, etc.) et qui n’ont toujours pas abouti ?
En ce qui concerne le Liban-Sud, la clause que je propose est bonne pour tous les protagonistes libanais et c’est ce qui m’importe le plus. Ce sera la première fois que le Hezbollah autant que les parties chrétiennes seront susceptibles d’adhérer à une position unifiée, qui se base sur l’interdiction faite à Israël de continuer à mettre le Sud à feu et à sang. Les médiations diverses ont un autre rythme, qui peut attendre. Dans l’immédiat, il faut mettre terme au spectre de la guerre sur le sol libanais.
Je ne pense pas que la position occidentale, surtout américaine, ainsi que la position arabe ou iranienne soient intrinsèquement différentes. Tout le monde sait que le cessez-le-feu à Gaza ne tiendra pas si la violence reste déchaînée par Israël au Liban ou en Cisjordanie.
Vous proposez entre autres la réduction progressive des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem. Pourquoi Israël-il accepterait de revenir en arrière et d’abandonner les territoires qu’il grappille depuis des années ?
Ce dossier est plus difficile. Il faut cependant regarder le texte de la résolution de plus près. Il stipule deux États démocratiques, aux frontières internationales intangibles sur la base de la 242 et de toutes les résolutions qui l’ont réaffirmée depuis 1967, ainsi – grande innovation – qu’une continuité géographique entre Gaza et la Cisjordanie.
C’est un texte américain, donc tout à fait surprenant. En plus, Washington a déjà forcé Israël à l’accepter, c’est écrit noir sur blanc dans le texte. Et le Hamas l’a chaleureusement accueilli. Il reste le plus important, le terrain. Biden a intérêt à ce que le cessez-le-feu s’établisse avant la convention démocrate en août. L’établissement de l’État dépendra des élections en novembre.
Avez vous déjà soumis ces amendements aux Nations unies ? Au Liban ?
Vous savez, je ne suis pas un État, encore moins un gouvernement, et encore moins le porte-parole du gouvernement libanais. Mais l’absence de président porteur d’une voix libanaise permet paradoxalement que dans le désert diplomatique dominant, le pays bénéficie d’une position d’avenir unie et réalisable. J’ai envoyé ce texte à divers collègues influents, libanais, arabes et occidentaux. Et aux parties libanaises bien sûr, y compris les Forces libanaises et le Hezbollah, et à des amis au sein du gouvernement. Il faudra demander à Boutros Assaker, un grand diplomate et conseiller du Premier ministre Nagib Mikati, comment le pays va se positionner face à l’initiative (malheureusement il n’avait pas assez de temps hier pour agir à New York). C’est partie remise, en urgence j’espère. Le texte est publié. S’il tient la route, une discussion s’engagera au sein des instances qui concernées .
Vous avez rencontré Walid Boukhari il y a quelques jours. Dans quel but ? Quelle a été la teneur de l’entretien ?
L’ambassadeur saoudien m’a invité, avec un groupe d’amis qui me soutiennent en tant que candidat pour la présidence de la République, le mardi 4 juin, pour un long entretien sur nos visions respectives pour l’avenir. Pour ma part, j’ai trouvé un diplomate d’envergure, sage et efficace, issu de la même école que Saoud al-Fayçal (ancien ministre saoudien des Affaires étrangères, décédé en 2015) et animé du dynamisme du prince héritier, Mohammad ben Salmane. En substance, je rappelle que l’Arabie saoudite, lors du dernier sommet de Riyad, a inclus l’acceptation par l’Iran de la solution des deux États en Palestine. Ce rapprochement saoudien-iranien, sans précédent depuis la révolution iranienne en 1979, ouvre une voie rapide pour la présidence du “troisième candidat”, que je soutiens avec Walid Joumblatt depuis deux ans. Le moment est venu, l’Arabie et les États-Unis aideront au déblocage puisque le “troisième choix” est devenu un leitmotiv commun.
Ce ne sera pas facile de s’accorder sur le président, mais la liste est limitée. Pour ma part, j’essaie d’être le plus engageant possible avec les députés et la presse et prends position sur les dossiers divers qui s’imposeront au futur chef de l’État. La situation régionale est un ancrage. Il en est d’autres, par exemple un long entretien sur la télévision palestinienne sur les grands enjeux juridiques, ou l’agencement des réformes essentielles. J’aimerais que d’autres présidentiables sortent de leur mutisme, le pays ne peut qu’y gagner.
Approche raisonnable pour peu que le droit international existe encore et s’applique à tous. Sinon c’est comme jouer du pipeau.
13 h 05, le 16 juin 2024