Rechercher
Rechercher

Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

CONFÉRENCE - Une causerie d’Antoine Messarra à l’Espace culturel libanais « Ninar » - La pédagogie de l’unité nationale

Dans le cadre des conférences-débats organisés chaque semaine par l’Espace culturel libanais «Ninar», à Saïfi, M. Antoine Messarra a donné une causerie ayant pour thème : «Notre passé a-t-il un avenir ?». Dans une brève introduction, M. Antoine Koniski, fondateur de «Ninar», a souligné la nécessité de «rétablir dans notre société un dialogue de qualité, dans un esprit de liberté et de respect de l’autre». Nous reproduisons ci-dessous le texte de la conférence de M. Messarra : La transmission d’une mémoire collective et solidaire au Liban, qui profite de l’expérience des années 1975-1990 et de la longue expérience libanaise de conflit et de consensus, comporte plusieurs éléments. A. L’édification nationale par les pactes : c’est au cours d’une conférence internationale de l’Unesco en 1970 sur le thème : «L’édification nationale dans différentes régions» qu’une distinction a été faite entre deux modèles de construction nationale : «par le fer et le sang» suivant l’idéologie en vogue, c’est-à-dire par un centre qui s’étend par la force à toute la périphérie ou, au contraire, l’édification nationale par une politique d’accommodement et de compromis. Les appellations varient suivant les pays : covenant, diète, alliance, junktim ou, au Liban, amiyât, tanzimât, mithâq... Il s’agit d’intégrer les pactes dans notre culture politique, non pas en tant qu’expédient ou de phénomène sui generis, mais de modèle d’édification nationale qui ne correspond pas à celui de l’État-nation. Or, on trouve dans des manuels scolaires d’histoire des expressions comme : «Il remporta une victoire éclatante...», «il brisa ses adversaires»... ! Qui, dans l’histoire du Liban, a remporté une victoire éclatante ? Le Liban est le pays des victoires impossibles, selon Ghassan Tuéni, des victoires piégées et des victoires finalement endossées en faveur d’autres. La notion de mithâq est pourtant fort riche dans la tradition arabe et islamique, outre sa riche tradition libanaise. B. Unité ou solidarité ? Après l’Indépendance de 1943, le Liban n’a pas été «divisé» au sens diplomatique. Il n’y a pas eu partition légale. Des solutions fédérales territoriales ou fortement décentralisées ont été proposées, mais pas la partition. Celui qui a voulu ou qui veut encore le partage se heurte au mur de l’impossibilité ou du coût exorbitant. Le Liban souffre non pas d’un manque d’unité, au sens diplomatique, mais de solidarité. On évite l’emploi de la notion de solidarité, parce qu’elle implique des exigences civiques et des sacrifices, et on la couvre avec un écran idéologique d’unité. Le contenu de l’unité, c’est la solidarité. Il s’agit de construire la solidarité dans la perception des Libanais, du fait que l’indépendance et la souveraineté sont tributaires de l’unité. Nombre d’orientations culturelles et pédagogiques en découlent : 1. L’histoire de tout le Liban : l’enseignement de l’histoire du Liban se limite aujourd’hui à une partie du Mont-Liban, alors qu’il faudrait partir de la géographie actuelle du pays pour enseigner l’histoire de toute cette géographie. De la sorte, l’habitant du Hermel, du Akkar, de Bint Jbeil... s’y retrouvera dans l’histoire du Liban qui deviendra «son» histoire. Il s’agit de concilier histoire nationale et histoire locale. 2. La répercussion des événements : tout événement saillant (et même non saillant) doit être étudié en lui-même et dans ses répercussions sur d’autres régions. Durant la crise de 1860, des gens ont-ils été déplacés vers d’autres régions ? Le prix de légumes a-t-il augmenté ? 3. L’histoire comptable : quel est le coût des conflits et des divisions internes ? Nous avons besoin d’historiens comptables qui ne se limitent pas à l’étude des causes et des acteurs, mais dressent des bilans comptables et comparés du coût des conflits et, parallèlement, des bénéfices de la solidarité. Une commission officielle avait été formée en 1860 pour l’évaluation des dégâts. Il n’en est pas question dans des manuels scolaires d’histoire ! 4. Des exemples de solidarité : il y a des martyrs de la libération, mais aussi des martyrs des libertés et de la concorde nationale. Il en découle que l’enseignement de l’histoire ne se limite pas à l’histoire des gouvernants et des notables, mais englobe l’histoire du peuple. Alors que l’histoire des gouvernants, le plus souvent, divise, celle du peuple, qui souffre et subit, unit. Au cours de la Première Guerre mondiale, 10 % des victimes étaient des civils. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, 50 % des victimes étaient des civils. Au cours de la guerre du Vietnam, 80 % des victimes étaient des civils. Dans la guerre au Liban, 90 % des victimes sont des civils. Qui écrira l’histoire de ces 80 % et 90 % ? On se demande si l’histoire est véritablement une science... humaine ? Sous couvert de scientificité, des historiens continuent la guerre après la fin des guerres. Pire encore, pour eux les 80 % et 90 % sont exclus de leur histoire ! Les disparus et kidnappés durant les guerres de 1975-1990 sont de toutes les communautés, régions et appartenances politiques (et non-appartenance), symbole vivant de la souffrance commune et partagée. Les martyrs du 6 mai à la place des Canons sont aussi de toutes les communautés. Cette commémoration avait été par le passé supprimée. C’est dire que nous n’avons pas une philosophie des fêtes nationales. Les libertés sont aussi un facteur d’union. Ou n’a pas assez exploité l’attachement de tous les Libanais à la liberté. On devrait lire et expliquer l’histoire du Liban dans la perspective des droits de l’homme et des libertés. 5. L’histoire économique, sociale et culturelle : le Liban est une unité commerciale fort solide que la machine de guerre n’a pu briser. La notion d’intérêt n’est pas péjorative. Il y a des intérêts légitimes, qui lient les gens et les rassemblent. Par exemple, les longs convois de camions qui attendaient l’ouverture du passage Musée-Barbir durant la guerre pour passer d’une zone à l’autre de Beyrouth. Et la prolifération des succursales des banques dans toutes les régions. Il y a aussi l’unité de la culture dans ses expressions sociales : chanson, folklore, gastronomie, habillement... 6. Clarté du vocabulaire : les mots utilisés dans les manuels, ceux notamment concernant l’indépendance et la souveraineté, doivent correspondre à la terminologie juridique et diplomatique. On ne peut continuer à employer dans les manuels d’histoire du Liban les expressions : «entrée» et «sortie» des forces étrangères, comme s’il s’agit d’une visite touristique. L’emploi d’une terminologie juridique et diplomatique contribue à consolider une culture solidaire sur les fondements de base du Liban politique et constitutionnel. Une approche authentique de notre mémoire collective a été intégrée dans les nouveaux programmes d’éducation civique et d’histoire, élaborés entre les années 1996-1999 par le Centre de recherche et de développement pédagogique sous la direction du professeur Mounir Abou Asly. Cette approche exige cependant leadership, continuité, suivi et surtout créativité.
Dans le cadre des conférences-débats organisés chaque semaine par l’Espace culturel libanais «Ninar», à Saïfi, M. Antoine Messarra a donné une causerie ayant pour thème : «Notre passé a-t-il un avenir ?». Dans une brève introduction, M. Antoine Koniski, fondateur de «Ninar», a souligné la nécessité de «rétablir dans notre société un dialogue de qualité, dans un...