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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Tiraillements, entorses à la souveraineté libanaise, ambiguïtés juridiques - Le mandat français et la marche vers l’indépendance -

Un coup d’œil jeté sur la carte du Liban nous fait situer, d’emblée, son centre géographique autour de Beyrouth, sa capitale. Celle-ci plonge d’un côté dans la mer tandis que de l’autre elle ouvre sur la région du Mont-Liban, qui se compose principalement du Chouf, du Metn et du Kesrouan, subdivisés en plusieurs cazas. Ce centre géographique a été pour le Liban une base d’action politique et militaire pour l’unification du pays, le territoire à partir duquel un pouvoir central a travaillé en vue de placer sous son autorité le Nord, le Sud et l’Est du Liban. Jusqu’au XIXe siècle, ce pouvoir fut exercé par les Ma’an, puis par les Chéhab. Les autres régions du Liban peuvent se répartir en deux groupes : le premier, qui comprend les alentours immédiats et montagneux du centre tels que le Ftouh, la région de Jbeil, Batroun, Djebbet Bécharré, Iqlim, Jezzine, Zahlé et sa circonscription, s’est intégré au Liban central à l’époque de Fakhreddine. Malgré une nouvelle scission entre le Nord et le Sud, sous les premiers Chéhab, son libanisme n’a plus jamais été mis en question, ni en droit ni en fait. Le deuxième groupe comprend le Nord (Tripoli, Akkar et Dinnieh), les villes du littoral (Beyrouth et Saïda), l’Est (Baalbeck et la Békaa) et le Sud (le Wadi el-Taym). Ces régions ont été l’enjeu d’une longue lutte entre les émirs libanais et les pachas ottomans installés à Damas ou sur le littoral. Leur cohésion, sous l’autorité libanaise, a été en général maintenue à travers les siècles, malgré de nombreuses vicissitudes. Mais, en 1861, contrainte de consacrer officiellement l’autonomie du Liban sous la garantie des grandes puissances européennes, la Sublime Porte s’emploie à obtenir à titre de compensation la réduction du territoire libanais. Elle obtient gain de cause, et les régions du «deuxième groupe» sont séparées du Liban et soumises à l’administration directe des fonctionnaires ottomans. De 1864 à 1920, la revendication constante des Libanais porte sur le rétablissement de leurs frontières historiques et naturelles, c’est-à-dire la récupération de ces régions. Le 1er septembre 1920, le général français Gouraud, commandant des troupes alliées qui viennent de chasser les Ottomans des territoires arabes du Moyen-Orient, proclame la création de ce qu’il appelle d’abord le Grand-Liban, c’est-à-dire l’édification d’un État libanais comprenant le territoire autonome de 1861 augmenté des régions périphériques du Nord, du littoral, de l’Est et du Sud. Le pacte de la Société des Nations (1922), le traité de Lausanne (1923) et, enfin, la Constitution libanaise du 23 mai 1926 consacrent l’acte du 1er septembre 1920. Dans la masse des événements rapportés par les chroniques et les documents du XVIe au XIXe siècles – période où se compose et s’affirme le Liban moderne –, nous avons extrait des faits précis qui illustrent les liens des régions recouvrées en 1920 par le Liban. Pour leur conserver toute leur signification, nous avons pris garde à rapporter ces faits tels que relatés dans les sources anciennes où nous avons été les puiser. Au mois d’octobre 1914, l’Empire ottoman entre en guerre aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie et, dénonçant les protocoles qui garantissaient l’autonomie du Liban, occupe militairement son territoire. Jamal Pacha, qui commande les opérations, fait dissoudre le Medjliss, en exile les membres, oblige le dernier gouverneur autonome, Ohannès Kouyoumdjian, à démissionner, défère devant un conseil de guerre installé à Aley des fournées entières de publicistes et d’hommes politiques libanais et favorise enfin la famine dans le pays. C’est en vain que les comités libanais réfugiés à l’étranger protestent auprès de toutes les chancelleries contre ces violations et ces violences. L’Europe en guerre ne peut rien faire pour assurer le respect des conventions dont elle est garante. En septembre 1918, les troupes britanniques et françaises chassent enfin du Liban les Ottomans. Elles sont accueillies en libératrices. Les vainqueurs apportent avec eux une nouvelle formule de droit international : le Mandat. Celui-ci, dû à l’initiative du président des États-Unis Woodrow Wilson, provient explicitement de la négation des systèmes de domination et de colonisation, proclame le droit des peuples à l’indépendance et prévoit la nomination d’une puissance «mandataire» dont le rôle consiste à conseiller et à guider les premiers pas vers l’indépendance des nations placées dans le cadre de ce nouveau système. Les pays arabes détachés de l’Empire ottoman sont confiés au mandat de la France (Syrie et Liban) et de la Grande-Bretagne (Irak, Transjordanie et Palestine). Dans son mémoire rédigé pour la conférence de la paix, la délégation officielle libanaise, que dirige le patriarche Élias Hoyek, déclare à ce sujet le 25 octobre 1919 : «Le principe du Mandat étant posé par le traité de paix de Versailles du 28 juin 1919, et sans que cela aliène les droits du Liban à la souveraineté, nous sollicitons la remise de ce Mandat au gouvernement de la République française». De son côté, Raymond Poincaré, président de la République française de 1913 à 1920 et chef du gouvernement à partir de 1922, écrit dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1921 : «Nous ne sommes dans le Levant ni pour y annexer des territoires ni pour y installer notre protectorat. Nous y sommes en vertu d’un mandat que nous avons reçu de la Société des Nations en application du traité de Versailles. La catégorie A, dans laquelle rentre notre mandat syrien, notre mandat libanais, comprend les États qui doivent rester indépendants et auxquels les puissances mandataires ont simplement à prêter leur assistance». L’acceptation du Mandat n’implique donc aucune renonciation, de la part du Liban, à la souveraineté et à la complète indépendance. Cependant, l’application de cette formule absolument nouvelle, et sans précédent dans l’histoire des relations internationales, va se révéler difficile et contredira souvent son principe et ses objectifs. Une question importante se posera plus spécialement à diverses reprises : quand et dans quelles conditions le Mandat prendra-t-il fin ? Aux termes de l’article 1 de la charte du Mandat (24 juillet 1922), le mandataire doit élaborer dans un délai de trois ans un «statut organique», c’est-à-dire un document législatif qui organise tous les pouvoirs de l’État et régit leur fonctionnement. L’entrée en vigueur de ce statut rend automatiquement caduc le Mandat. Mais, alors que l’article 50 de la Constitution (1926) fait prêter au président de la République le serment de maintenir l’indépendance de la nation libanaise, la puissance mandataire apporte à cette indépendance des entorses graves ; elle continue en effet à gérer elle-même un certain nombre de services publics dits d’intérêts communs (c’est-à-dire communs à la Syrie et au Liban) tels que les douanes, les Postes, téléphones et télégraphes, le contrôle des sociétés concessionnaires (chemins de fer, ports, eau et électricité) et s’immisce dans des questions d’ordre intérieur comme la presse et la Sûreté générale. Le Liban est certes indépendant, mais sous étroite surveillance française… Pendant ce temps, la République libanaise poursuit, dans la mesure de ses faibles moyens – et avec la loyale collaboration de quelques techniciens et magistrats français – une évolution relativement normale, rajeunissant ses cadres administratifs et judiciaires, rénovant et modernisant ses lois civiles et pénales, perfectionnant ses programmes d’enseignement. Durant la période du Mandat, les présidents de la République libanaise sont successivement Charles Debbas, élu en mai 1926, Habib Pacha el-Saad, nommé par arrêté du haut-commissaire en 1934 sans autre forme de procès et sans aucun souci de sauver les apparences, enfin Émile Eddé, élu en janvier 1936. Le Parlement libanais connaît pour sa part des débats qui rappellent, par la qualité de certaines interventions et par le climat des discussions, ceux des plus vieux Parlements d’Europe. Tel est le cas notamment lors de l’approbation de l’accord dit de la dette publique ottomane – par lequel la France et la Grande-Bretagne obtiennent abusivement de répartir entre les pays détachés de l’Empire ottoman la dette publique que leur devait celui-ci –, à l’occasion de la révision constitutionnelle de 1927 et du vote d’une loi limitant le droit de réunion (1931). En ces diverses conjonctures, certains orateurs n’ont pas manqué de manifester leur opposition à la manière dont le Mandat était appliqué. Vers l’indépendance Telle est l’ambiguïté juridique dans laquelle se débat le Liban lorsque, le 8 juin 1941, les troupes anglo-gaullistes entreprennent d’expulser du Liban et de la Syrie les troupes françaises de Vichy. Elles promettent aussitôt de rendre effective l’indépendance des deux pays. Les opérations se terminent le 15 juillet par la victoire des Alliés. La République libanaise est alors dirigée par un gouvernement provisoire. En l’absence d’un Parlement élu, le général Catroux, délégué général de la France libre, écrit au président du gouvernement provisoire Alfred Naccache pour lui proposer de «prendre provisoirement les titres et prérogatives de président de la République libanaise» afin qu’il soit en mesure de recevoir la déclaration d’indépendance promise. Cette déclaration en date du 26 novembre 1941 affirme notamment que «l’État libanais jouit dès maintenant des droits et prérogatives attachés à la qualité d’État indépendant et souverain. Ces droits et prérogatives subissent les restrictions qu’imposent l’actuel état de guerre et la sécurité du territoire et des armées alliées». Il est également fait allusion au souhait de la France de pouvoir conclure, plus tard, un traité d’alliance avec le Liban pour définir les rapports mutuels entre les deux pays. À la suite de cette déclaration d’indépendance, la Grande-Bretagne, la Belgique, la Tchécoslovaquie, l’Iran, la Grèce et les États-Unis reconnaissent le Liban et accréditent des diplomates auprès de son gouvernement. Mais, obligée, sur l’insistance britannique, de consentir au déroulement d’élections législatives au Liban et en Syrie et appréhendant à cette occasion la montée des revendications nationalistes, la France libre croit pouvoir se prémunir contre les difficultés susceptibles de surgir pour elle dans les deux pays en revenant au Mandat. Sous le prétexte de préparer les élections, le général Catroux multiplie les démarches et les consultations auprès des personnalités politiques et des partis opportunistes, agissant en véritable proconsul comme du temps des hauts-commissaires. En réponse à une protestation officielle du gouvernement libanais, le représentant de la France libre écrit le 27 février 1943 : «Je me vois contraint de rappeler – ce que j’aurais désiré éviter – que nonobstant la proclamation de l’indépendance du Liban du 26 novembre 1941, la France demeurera juridiquement mandataire jusqu’au moment où la Société des Nations l’aura déliée de ses obligations». Le 18 mars, le représentant de la France libre fait de nouveau acte d’autorité en rétablissant lui-même par arrêté la Constitution libanaise suspendue en 1939 et en désignant un gouvernement de trois ministres chargé de procéder à une consultation électorale. Il prend cette fois la précaution de justifier son intervention par la nécessité de transférer les attributs effectifs de la souveraineté à une autorité émanant d’élections régulières. Ainsi, malgré la caducité du Mandat, la déclaration d’indépendance et les reconnaissances internationales, l’équivoque née de la Charte de 1922 ne finit pas de peser sur les destinées du Liban. Mais cette fois les esprits vont aller s’échauffant, à la faveur de la situation internationale et en raison de la compétition électorale prévue pour le 24 août 1943 : la voie est ouverte à une confrontation qui s’annonce décisive.
Un coup d’œil jeté sur la carte du Liban nous fait situer, d’emblée, son centre géographique autour de Beyrouth, sa capitale. Celle-ci plonge d’un côté dans la mer tandis que de l’autre elle ouvre sur la région du Mont-Liban, qui se compose principalement du Chouf, du Metn et du Kesrouan, subdivisés en plusieurs cazas. Ce centre géographique a été pour le Liban une...