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Actualités - CHRONOLOGIES

FESTIVAL DE BAALBECK-2001 - « Al-Moutanabbi » de Mansour Rahbani - Un spectacle flamboyant, mêlant épopée et passion

Une vie entière vouée aux feux de la rampe, à l’amour des mots, aux dialogues qui font mouche, aux histoires bien fignolées, à ce que l’histoire a omis de dire, à la soyeuse et violente douceur d’une musique reflétant les sentiments qui bouleversent une vie, aux sortilèges d’une mélodie. Mansour Rahbani – puisque c’est de lui qu’on parle – se devait de rencontrer le plus hugolien, le plus shakespearien des poètes arabes, authentique écho de son siècle, Abou Tayyeb al-Moutanabbi. «Ils» se sont croisés sur une vaste aire scénique à Dubaï, nouvelle plaque tournante et perle des pays du Golfe. Un spectacle alliant majesté et émotion, grandeur et passions, au succès fracassant qui a ébloui et enthousiasmé les foules. Aujourd’hui, après son passage au «temple du soleil» en l’an 327 de l’hégire, comme si le temps ne s’était jamais écoulé entre son personnage mythique et son verbe sonore brandi comme une épée étincelante, le roi des poètes arabes, ambitieux chevalier de Koufa en quête éperdue d’un royaume, est de retour à Baalbeck. Retour triomphal, flamboyant. Le temps de déployer ses poèmes comme autant d’étendards flottant au vent de la nuit étoilée de la Békaa. Les Rahbani, Mansour en tête et qui signe le spectacle, Marwan qui nous entretiendra de la mise en scène, Oussama et Ghadi pour une partition à plusieurs mains, sont là pour présenter cette nouvelle création scénique qui ouvrira avec faste et panache, sur fond de souffle passionné et épique, le Festival de Baalbeck cru 2001. Comment est née cette rencontre entre l’homme au verbe d’or mais aux rêves déçus et notre éminent «musicien-librettiste» qui sait aussi bien placer les vocables dans la bouche des chanteurs que les notes sur une clef de sol ? Mansour Rahbani, fin esthète, impénitent «fouilleur» aussi bien en histoire qu’en philosophie et théologie, imposant patriarche du monde des planches, livre avec naturel, humour et simplicité ses explications. Écoutons-le faire le tour de la vie d’un poète incomparable, de son œuvre et du spectacle qu’il en a tiré : «Tout d’abord al-Moutanabbi est encore terriblement vivant. Chez les élèves, bien entendu, mais aussi en chacun de nous. Dans cette sagesse populaire qui souvent le cite sans savoir que c’est lui… Ce qui m’a attiré chez cet homme de lettres aventurier au charisme certain doublé d’un redoutable courtisan, c’est l’opacité, les paradoxes, l’étrangeté d’un personnage hors du commun. Sa grandeur, son courage, sa témérité aussi ! C’est une énigme que j’ai voulu résoudre en l’éclairant, à travers des recherches personnelles, surtout du côté émotionnel. Bien sûr, je suis parfaitement fidèle aux grands détails historiques mais j’ai comblé les points sombres où la littérature gardait obstinément le silence… On a dit qu’al-Moutanabbi n’a pas aimé. C’est faux. C’était un grand amoureux. Et il n’a aimé qu’une seule femme, qu’il a gardée cachée. Une sorte d’amour impossible. On a dit que son père était un modeste “sakkaa”. On a étouffé ses origines qui étaient nobles, lui investi d’une “mission”… Ne s’est-il pas déclaré “prophète”, surnom qui lui est resté même après avoir été emprisonné ? D’un tempérament vif et altier, doté d’une langue vipérine et acérée, nanti de grandes valeurs morales (tout en se gardant des vertus “religieuses”), à part son amour immodéré pour l’argent, c’est avec orgueil et fierté qu’on rapporte qu’il n’a pas menti, n’a pas cédé à la luxure et ne s’est jamais livré aux “garçonnies” abounawassiennes… Figure littéraire arabe emblématique, avec sa morgue, ses rêves de gloire, de domination et de magnificence, al-Moutanabbi a laissé à la postérité une superbe poésie coulée dans un écrin marmoréen, au souffle puissant et épique. Véritable joyau du Parnasse arabe, d’un niveau absolument universel, cette poésie, traduite ici visuellement, reflète une vie mouvementée et tragique. Il est vrai que j’ai pris mes libertés avec al-Moutanabbi et dit ce que les chroniqueurs n’ont pas dit et, dans un théâtre “total” comme le mien, tout se recoupe et se rejoint : le texte, la langue, le dialogue, la musique, la danse, les costumes. Indissociable de sa poésie, al-Moutanabbi, de ses chevauchées à ses espoirs et déconvenues, d’Alep au Caire en passant par la Palestine, Bagdad et Damas, revit, dans une cavalcade d’images et de situations, sous des traits qui le rendent profondément proche du public et chacun le percevra, certainement en toute liberté, selon sa sensibilité et ses projections». Marwan Rahbani, auteur, compositeur et metteur en scène (conciliant cinéma et théâtre), aura à affronter le cadre de Baalbeck pour «resituer» ce génial chevalier errant en quête d’un royaume où il n’est jamais arrivé. Mais les mots immortels du poète sont aujourd’hui le plus imparable des boucliers contre le temps et le plus somptueux des cortèges pour nous conter, entre la rage des batailles, les complots de cour, les tractations de sérail et les battements secrets du cœur pour Khawla, la vie d’al-Moutanabbi. Après avoir signé la mise en scène de Coup d’État, Les derniers jours de Socrate, La voix, la Messe maronite et Et il ressuscita au troisième jour, Marwan Rahbani nous livre ces propos : «C’était mon rêve que d’assumer la mise en scène d’al-Moutanabbi avec Mansour ! Mais au travail pas de relation familiale. Mansour est le papa par excellence sauf en art ! al-Moutanabbi ? C’est un personnage “sculpté” par les livres et toujours placé sur un piédestal. Avec Mansour on voit l’homme qui aime, l’amant transi, on sent les palpitations du cœur. Depuis son désir à Koufa d’unifier les Arabes jusqu’à son assassinat sur le chemin du retour, al-Moutanabbi s’est précipité avec passion sur son “fatum”. D’éclatantes victoires en amères déceptions, après avoir quitté sa femme et son fils pour concrétiser ses rêves, cet être d’exception né pour la célébrité et la gloire a cherché avec acharnement le sens d’une vie. Séjour à Alep chez Seif el-Dawla, déconvenue au Caire chez Cafour, déception chez Adad el-Dawlé à Chiraz et mort tragique dans un traquenard sur la route du retour à Koufa mais restent, immuables, l’amour secret pour une femme et cette poésie aux accents incendiaires, pure comme un diamant. Ma mise en scène, avec plus de 120 comédiens, danseurs, figurants et comparses sur scène et 75 techniciens en coulisse, est “visuelle” et mêle techniques du cinéma, du théâtre, mouvements et symbolisme des couleurs. Les costumes sont élégants tout en révélant le faste arabe d’autrefois avec ce quelque chose de théâtral pour une atmosphère de scène. Quant à la musique, elle a des chatoyances qui épousent la grandeur des thèmes et du sujet proposés ; lyrique, tragique, dramatique avec des moments d’intenses douceurs, la musique est ici un auxiliaire et un partenaire essentiels et majeurs».
Une vie entière vouée aux feux de la rampe, à l’amour des mots, aux dialogues qui font mouche, aux histoires bien fignolées, à ce que l’histoire a omis de dire, à la soyeuse et violente douceur d’une musique reflétant les sentiments qui bouleversent une vie, aux sortilèges d’une mélodie. Mansour Rahbani – puisque c’est de lui qu’on parle – se devait de...