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Actualités - ANALYSES

institutions - Cacophonies au niveau des propositions de réforme architecturale - Un thème récurrent, les défauts organiques de Taëf

«Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire ; le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau». Pour les Gavroche du cru, et de tous horizons, ce serait plutôt «la faute à Taëf». Tout le monde tombe à bras raccourcis sur ces pitoyables accords, dont la seule vraie ambition, heureusement réalisée, était de faire taire le canon. Mais si les déclamations critiques se font à l’unisson, c’est en revanche la pire des cacophonies qui éclate au niveau des propositions de réforme architecturale. Autrement dit, l’unanimité des démolisseurs cède la place à la dislocation, à la fission des bâtisseurs. Comme pour la tour de Babel. Les contradictions, les litiges, les conflits, les polémiques sur les retouches de fond à effectuer se neutralisent les unes les autres. Ce qui fait que, depuis onze ans, le Liban politique et institutionnel ploie sous le faix d’un système qui le handicape au point de le priver de toute autonomie de mouvement. On sait en effet, comme le rappellent régulièrement les professionnels, qu’en pratique Taëf a engendré un rejeton tricéphale qui, pour le malheur de la république, s’entend rarement avec lui-même. Comme quoi le remède est souvent pire que le mal. Car l’intention originelle était de réparer une injustice chronique, en partageant mieux les prérogatives du pouvoir entre les communautés principales du pays. Résultat des courses : au lieu de gommer les déséquilibres, la nouvelle formule les multiplie par trois. Dans la hâte, dans l’urgence, les auteurs de Taëf ont cru trouver la solution en inversant le balancier, en privant la présidence de la République de la plupart de ses pouvoirs pour les redistribuer au Conseil des ministres et à la Chambre. Mauvais choix, estiment des spécialistes, pour qui il est clair qu’un orchestre a toujours besoin d’un chef. Dès lors, il aurait fallu à leur avis préserver jalousement le rôle d’arbitre suprême, de régulateur, du chef de l’État tout en veillant à ce qu’il ne puisse plus tout régenter à sa guise comme par le passé. En d’autres termes, ses pouvoirs auraient été réduits en bien des points, mais sans aller jusqu’à lui rogner complètement les ailes en le privant de tout moyen d’action effectif. En effet, aux termes de la nouvelle Constitution, le président de la République ne dispose plus de cette arme absolue qu’est la dissolution du Parlement. Bien entendu, le chef de l’État n’a plus le pouvoir de désigner un nouveau Premier ministre à sa guise. Il doit à ce propos se plier à la volonté de la majorité parlementaire. Il ne peut plus, en outre, convoquer le Conseil des ministres en cas d’urgence, sauf avec la permission expresse du chef du gouvernement. De même, il n’a plus le droit de décider sans l’assentiment du président du Conseil l’ouverture d’une session extraordinaire de la Chambre. Ni publier sous son seul paraphe les décrets de formation du gouvernement ou de révocation de ministres. Par ailleurs, il se voit soumis dans la nouvelle formule à des contraintes qui ne s’étendent pas aux autres pouvoirs. Ainsi, il est tenu à des délais détaillés pour tout ce qui se rapporte à sa signature au bas de lois ou de décrets, alors que même les simples ministres n’y sont pas contraints. Sur l’autre plateau de la balance, que voit-on ? Un président de la Chambre devenu inamovible, puisqu’il est élu pour la durée de la législature qu’il dirige et non plus chaque année. Il est de la sorte libéré de l’obligation de faire risette aux blocs parlementaires ; et, par ricochet, à la présidence de la République dont l’influence sur son élection était traditionnellement déterminante. Dès lors, il prend une stature de véritable patron du Législatif, dont il n’est plus un simple speaker à l’anglaise. Lui-même leader d’un impressionnant bloc parlementaire, il se trouve en position d’approuver, de rejeter ou de geler la quasi-totalité des projets du gouvernement. Même quand ils sont revêtus du caractère d’urgence, car la détermination du démarrage du délai de quarante jours (à la réception du texte ou lors de son inscription à l’ordre du jour ?) baigne encore dans un flou que les législateurs évitent de dissiper. En d’autres termes, l’action même de l’Exécutif, son succès ou son échec, dépendent en grande partie du bon vouloir ou de la mauvaise volonté du président de l’Assemblée nationale et de lui seul. Bonjour la démocratie. Quant au chef du gouvernement, bien qu’ayant un peu moins gagné au change, il conquiert en pratique le pouvoir exécutif, dans la mesure où il forme de fait le cabinet, et s’y assure la majorité. Avantage d’autant plus délectable que le président de la République, s’il assiste aux séances du Conseil des ministres, n’y a pas droit de vote. Bref, la redistribution des pouvoirs s’est effectuée de manière telle qu’ils se trouvent en compétition au lieu de faire équipe au nom du concept d’État. Ils se retrouvent concentrés de fait aux mains des trois présidents dont les fréquentes mésententes maintiennent le pays en état de crise ou de paralysie. Comble des contradictions, quand d’aventure l’harmonie règne au sein de la troïka, elle permet à cet attelage de fouler gaiement aux pieds les prérogatives des institutions en tant que telles, c’est-à-dire de la Chambre, du Conseil des ministres et des ministères. On comprend dès lors la boutade de M. Pierre Hélou qui se demande s’il est mieux de voir les trois présidents d’accord ou en bisbille. Le mot de la fin appartient cependant au président Rafic Hariri qui affirme que «le principal défi que ce pays affronte est d’ordre institutionnel. Le système sera-t-il semblable à ceux des pays arabes ? Ne pourra-t-il pas, au contraire, conforter les libertés et les valeurs démocratiques ? Cette question de fond nécessite un vrai dialogue national». Une façon à peine détournée de convenir que Taëf est dépassé, qu’il y a une sorte de vide à l’heure actuelle et qu’il faut autre chose. Mais que peut-on bien inventer de vraiment nouveau tant que la notion même d’État se trouve brouillée par un confessionnalisme politique qu’on n’arrive pas à abolir.
«Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire ; le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau». Pour les Gavroche du cru, et de tous horizons, ce serait plutôt «la faute à Taëf». Tout le monde tombe à bras raccourcis sur ces pitoyables accords, dont la seule vraie ambition, heureusement réalisée, était de faire taire le canon. Mais si les déclamations...