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Actualités - REPORTAGES

FRANCOPHONIE - L’américain gagne du terrain dans les médias audiovisuels - II - Le français résiste à l’anglais dans la presse écrite - en tant que langue de la communication publicitaire

La langue française cède du terrain face à l’anglo-américain sur le double plan du cinéma et de la communication par Internet, sous l’effet de la mondialisation rampante, dans le monde entier, mais aussi au Liban (voir L’Orient-Le Jour du mardi 5 juin 2001). Quelle place occupe le français dans le domaine de la publicité au Liban ? Si dans les médias audiovisuels, l’anglais devient prédominant, le français semble résister sensiblement au niveau de la presse écrite pour ce qui est de la publicité. Dans les lignes qui suivent, M. Pascal Monin, professeur à l’Université Saint-Joseph, responsable du DESS en information et communication à l’USJ et auteur d’une thèse de doctorat sur la présence française au Liban, dresse un tableau de la situation de la langue française dans le secteur de la publicité. La publicité fait partie intégrante de notre univers. Nous vivons dans un environnement envahi par la publicité. À la télévision, à la radio, au cinéma, dans la presse ou l’affichage, sur Internet, sur les transports en commun, les avions, sur la route, dans les villes ou les villages les plus reculés, dans tous les secteurs de la vie quotidienne, économique et sociale, la publicité est omniprésente. Dans notre pays, la publicité fait son apparition au début des années 1900 dans la presse. Ces annonces publicitaires étaient libellées soit en français, soit en arabe. Dès le départ, des publicités en langue française sont placées dans les médias libanais. Au début des années 1930, plusieurs agences de publicité sont créées au Liban. Une des toutes premières est fondée par un Français, Gabriel Brenas, père du publicitaire Alain Brenas. En 1960, Fouad Pharaon, un des précurseurs du métier et fondateur de l’agence Publicité Pharaon, apparaît sur la couverture du Time Magazine pour le succès de la campagne publicitaire des voitures Ford au Liban... Campagne dont la langue était le français. Sans s’attarder sur l’histoire de la publicité au Liban, par manque de temps, il est intéressant de relever que l’écrasante majorité des agences de publicité au Liban a été créée par des francophones. Jusqu’en 1975, Beyrouth était le centre régional de la publicité des pays arabes. Avec le déclenchement de la guerre, la majeure partie des agences de publicité s’expatrie vers d’autres pays tels que : la Grèce, Chypre, Dubaï ou Bahreïn, où elles vont se développer au niveau régional. Le lancement des médias audiovisuels privés au Liban depuis 1985 a encouragé les agences de publicité à relancer leurs activités au Liban. La prolifération des médias a entraîné systématiquement le développement de ce secteur. Aujourd’hui, Beyrouth a retrouvé son rôle moteur de la publicité proche-orientale. D’ailleurs, plus de 65 % du personnel travaillant dans ce domaine à travers les pays de la région sont des Libanais. Télévision, radio, presse, affichage, cinéma, PLV, sponsoring... se partagent plusieurs millions de dollars américains investis dans ce domaine. Ces investissements publicitaires, qui ont atteint plus de 100 millions de dollars en 2000, indiquent l’essor considérable qu’a connu le monde de la publicité au Liban et son rayonnement depuis ce pays sur le Proche-Orient. Mais suffisent-ils à faire vivre toutes les publications du marché libanais ? L’univers médiatique et publicitaire au Liban, malgré les années de guerre, fait preuve d’une grande vitalité, et la création dans ce domaine reste la plus importante des pays de la région. Beyrouth est aujourd’hui le centre où se développent et s’organisent les campagnes publicitaires non seulement pour le Liban mais aussi pour le reste des pays arabes. Cela a entraîné le recours de plus en plus à la langue anglaise aux côtés de l’arabe, au détriment du français. Car, avec le développement de la diffusion d’émissions par satellite auxquelles participent de nombreuses chaînes de télévision libanaises, l’arrière-plan de la publicité au Liban reste par excellence les pays du Proche-Orient. L’américanisation de ce métier s’est également accélérée avec le renforcement des activités de l’IAA au Liban, Association internationale de la publicité, dont deux Libanais ont présidé à ses destinées mondiales. Un troisième Libanais s’apprête à en devenir le président mondial en 2002, Jean-Claude Boulos. Cette association organise depuis 1996 chaque année à Beyrouth un séminaire spécialisé qui se déroule en langue anglaise. En 2002, le Liban accueillera le congrès mondial de cette association, dont les activités vont se dérouler en anglais. La publicité semble être au Liban un facteur de modernisation. Elle s’inspire essentiellement du modèle de la société de consommation occidentale, où dominent les références anglo-saxonnes. Elle tente d’uniformiser en quelque sorte les comportements des consommateurs. Les métiers liés au domaine de la publicité sont directement influencés par les méthodes américaines. Pourtant, la majorité des dirigeants des agences de publicité au Liban est francophone. La majorité également des créatifs qui y officient est francophone. Cela ne les empêche pas de participer à un véritable envahissement de la langue anglaise dans ce secteur de la communication de masse. De l’aveu même des responsables de la création publicitaire au Liban, la demande pour la publicité anglophone et arabophone destinée aux supports audiovisuels est beaucoup plus importante que celle en langue française. Les annonceurs s’adressent à travers la publicité à leurs clients potentiels en arabe, en français et en anglais. Mais dans ce domaine, la langue de Molière subit une concurrence de plus en plus agressive, surtout au niveau de la télévision. Sur une période de huit ans, la langue française a régulièrement perdu du terrain au profit de l’arabe et de l’anglais. Ainsi, en travaillant en exclusivité sur les archives de l’institut Ipsos, on remarque qu’en 1992, 13 % des publicités à la télévision étaient en français. Elles ne représentaient plus que 8 % du total en 2000. La langue arabe sous ses deux formes, littéraire ou dialectale, est la plus utilisée au Liban pour les films publicitaires. Avec un total de 64% en 2000, elle devance considérablement les autres langues dans ce secteur. Les annonceurs ont recours à la langue maternelle pour atteindre le plus grand nombre de personnes. L’arabe est surtout la langue des publicités pour les produits de grande consommation : lessives, produits d’entretien, alimentation... L’anglais est la deuxième langue des publicités à la télévision mais loin derrière l’arabe. Cette langue a connu une progression régulière et représente 16 % du total des campagnes à la télévision. Mais c’est l’arabe qui demeure la langue de prédilection des publicités à la télévision. En effet, avec le lancement des chaînes libanaises par satellite, les concepteurs des campagnes publicitaires, pour limiter leurs frais, réalisent les mêmes films à destination du marché libanais et arabe, d’où le développement de l’usage de l’arabe et, dans une moindre mesure, de l’anglais dans ce domaine. D’une manière générale, le français est de moins en moins perçu au Liban comme vecteur efficace de la publicité télévisuelle. Son emploi est surtout remarqué pour les films vantant les qualités des produits de luxe (parfums, accessoires, bijoux...), de l’habillement, des produits cosmétiques (crèmes de beauté, maquillage) et des arts de la table (argenterie, cristallerie...). L’anglais est la langue notamment des publicités pour les cigarettes, les voitures, le matériel électronique, la promotion des films de cinéma et l’alcool, sauf le vin où le français est en général utilisé, et pour l’arak où c’est l’arabe. Concernant la publicité dans la presse, nous enregistrons le même phénomène du recours à l’anglais dans 34 % des cas contre 25 % au français et 40 % à l’arabe. Pourtant, dans ce secteur, le français semble garder une bonne place. Ainsi, L’Orient-Le Jour représente un des médias écrits les plus choisis par les annonceurs publicitaires au Liban. La création de nombreuses publications francophones a dynamisé quelque peu l’usage du français pour la publicité destinée à la presse. Mais cela n’empêche pas pour autant le recours de plus en plus fréquent aux publicités en langue arabe ou anglaise dans la presse francophone libanaise. Le problème à ce niveau, c’est que le plus grand nombre de francophones maîtrise ou du moins comprend l’anglais. Alors que l’inverse n’est pas vrai. Donc pour réduire les dépenses et cédant à la facilité, les publicitaires ont de plus en plus recours à l’anglais, sachant qu’ils pourront toujours atteindre leur cible francophone. C’est la tendance inverse que l’on observe aux États-Unis où les publicitaires cherchent sans cesse à se démarquer : la dernière campagne audiovisuelle pour une voiture japonaise utilise délibérément le français pour paraît-il rendre le produit «sexy». Ainsi, aux États-Unis, selon les études de marché, même sans comprendre le français, on le reconnaît à sa mélodie et on lui attribue de nombreuses «vertus». Pour conclure, force est de relever que la langue et la culture françaises perdent peu à peu leurs atouts dans le secteur de la communication au profit du modèle anglo-saxon. Les métiers de la communication, surtout la publicité, «s’américanisent» inévitablement. Cependant, le français semble résister mieux à cette poussée au niveau de l’écrit que dans celui de l’audiovisuel ou de l’Internet. La vitalité de la presse francophone libanaise doit favoriser en quelque sorte le maintien de la langue française dans ce domaine. Par contre, la faiblesse de la présence francophone dans les médias audiovisuels libanais facilite la poussée et le développement des autres langues. Nous savons que la généralisation des nouvelles technologies, en particulier le numérique et le multimédia, conduit à un rapprochement inéluctable entre les télécommunications, l’informatique et les médias. Dans ce cadre, «Internet» et les inforoutes représentent pour la langue française, au niveau des contenus des programmes ou des encarts publicitaires diffusés, un des enjeux majeurs pour la francophonie. Ainsi, l’impact de la globalisation des moyens de communication, et plus spécifiquement à l’échelle de la francophonie, s’avère pour l’instant bénéfique à la culture anglo-saxonne et peu propice au développement du français. «Internet» est donc dominé par les Américains, aussi bien au niveau de la technologie, que des logiciels et des contenus. Une multitude de défis et de nombreuses difficultés que rencontre le français au niveau des médias et de la publicité, non seulement au Liban, mais aussi à travers le monde. Le français est-il devenu l’arme de culture du passé, comme se demande Guy Mettan, rédacteur en chef de La Tribune de Genève ? Le cas du Liban, pays au cœur du dialogue des cultures, dément cette idée. Communiquer ne veut pas dire consommer mais rencontrer, informer, dialoguer et échanger. Les nouveaux moyens de communication qui se basent sur le modèle anglo-américain nous mettent-ils en présence les uns des autres ? Nous rapprochent-ils réellement ? Nous permettent-ils d’avoir un vrai partage ? Nous permettent-ils de respecter et de mieux connaître les autres civilisations et cultures ? Nous permettent-ils d’être librement et correctement informé ? Il s’agit de ne pas confondre les moyens et les fins. Un vieil adage nous apprenait que l’on est transformé à l’image de ce que l’on regarde. Pourquoi nous laisserions-nous déposséder de nos valeurs et de nos cultures ? Le français, langue de la liberté et des droits de l’homme, permet une ouverture aux autres, le respect des valeurs essentielles, le droit à la différence, au pluralisme et au multilinguisme. De la capacité des pays francophones à rattraper leur retard dans ce domaine, en favorisant l’accès à l’information en langue française, en plaçant des réseaux francophones sur «Internet», en formant des spécialistes à ces nouvelles technologies et en renforçant la place du français au niveau des médias et de la communication de masse, dépend l’avenir de la francophonie au Liban et dans le monde.
La langue française cède du terrain face à l’anglo-américain sur le double plan du cinéma et de la communication par Internet, sous l’effet de la mondialisation rampante, dans le monde entier, mais aussi au Liban (voir L’Orient-Le Jour du mardi 5 juin 2001). Quelle place occupe le français dans le domaine de la publicité au Liban ? Si dans les médias audiovisuels, l’anglais...