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Actualités - REPORTAGES

Dans l’ex-zone occupée, le climat est à la morosité

Un an après le retrait israélien, le Liban-Sud est toujours hanté par les années d’occupation. Ses habitants, en majorité des femmes et des enfants, vivent dans l’incertitude. Beaucoup d’hommes sont en prison pour cause de collaboration, les ressources financières sont rares et l’État libanais est presque inexistant dans cette partie du pays. Les habitants du Sud, réputés pour leur accueil chaleureux, sont aujourd’hui méfiants. Les femmes sont réticentes. Les enfants, moins prudents, guettent le bon moment pour laisser éclater leur révolte. Les hommes sont conscients que leurs histoires valent la peine d’être racontées. Ils acceptent de témoigner mais n’osent pas livrer leurs vrais noms. «C’est terrible». La phrase qui revient comme un leitmotiv sur les lèvres des Sudistes peut être considérée comme une trahison, accusation qui ne leur est pas étrangère : «Oui, on arrive parfois à regretter le temps de l’occupation». Malakeh est malade. Elle a 70 ans. Assise sur le divan lit, dans sa chambre ornée de mille photos, la vieille à l’écharpe saumon pose un regard dur sur les visages des étrangers qui pénètrent dans sa maison. «Journalistes ?!» Avec sa voix cassée, elle lance : «Il ne me reste plus beaucoup de temps à vivre. Je veux parler. Du temps de l’occupation, je recevais mes médicaments d’Israël. Mon fils a rejoint l’ALS pour assurer les frais de mon traitement. Aujourd’hui, il est en prison. La moitié de ses enfants a émigré au Canada. Il ne reste plus à la maison que sa femme et moi. Certains jours on ne mange que du pain. On cuisine les mercredis soir pour pouvoir assurer de la bonne nourriture à ce malheureux qui croupit dans sa cellule. Sa femme la lui porte tous les jeudis». Au fur et à mesure que Malakeh raconte, sa voix devient tellement tremblotante qu’on n’arrive plus à distinguer les mots. «Mon fils n’a rien fait. Il était un de ces soldats à qui on demande d’aller acheter les paquets de cigarettes. Que le gouvernement aille donc arrêter ceux qui ont vraiment vendu leur pays», lance Malakeh. «Mon fils ne fait pas partie de ceux-là». Raghida a 25 ans. Elle tient le magasin de son frère. Elle précise que pendant l’occupation «il y avait trois sources de financement : le travail en Israël, l’argent que dépensaient les membres de la Finul pour leurs achats et les revenus des membres de l’ALS». Interrompue par un client, elle se tait. «On a peur, explique-t-elle, mon frère est en prison. J’ai peur qu’ils lui fassent du mal». «On ne se sent pas en sécurité. C’est comme si tout le monde nous voulait du mal», se hâte d’ajouter la mère. «Mon fils a été condamné à un an de prison car il vendait des marchandises israéliennes. J’ai toujours été fière de lui car il n’a jamais voulu rejoindre la milice. J’avais la tête tranquille. Mais malgré cela, il a été jugé et condamné. Il doit payer une amende en plus». Et la boutique ? «On ne vend plus beaucoup. La région s’est vidée. Beaucoup d’habitants sont partis en Israël», raconte Raghida. Comment vivent-elles ? «À deux, on se débrouille. J’avais mis un peu d’argent de côté. Jusqu’à maintenant on arrive à vivre. De quoi sera fait notre lendemain ? Je n’en sais rien. Je m’en remets à Dieu. Lui ne nous laissera pas tomber», soupire la jeune fille. Le sourire ne quitte pas son visage. Amira, la femme à la tête voilée et aux yeux en amande, a appris à rire de ses malheurs : «On nous a promis que les Sudistes ne paieront aucun sou pour l’électricité pendant cinq ans. Eh bien, on a déjà commencé à payer les factures». Ahmed, son mari, souffre d’un cancer. Elle ne veut rien dire de plus. Atef est indigné. Il est au chômage : «Je n’ai plus d’argent. J’ai donné tout ce que j’avais au gouvernement car j’ai dû payer une amende. Pourquoi ? Car j’ai été travailler en Israël». Atef continue : «Je ne comprends pas. Cela fait trente ans que le gouvernement libanais est absent de cette région. Nous avons été en territoire israélien tout simplement pour travailler et gagner de l’argent. Au début de l’occupation, je voulais voyager ; j’ai essayé de préparer mes papiers pour quitter cette région et refaire ma vie ailleurs. Mais les Israéliens me l’ont interdit. C’est le cas de plusieurs de mes concitoyens». Atef est révolté, il se sent trahi : «Je refuse qu’on me traite de collaborateur. Je suis entré en Israël pour pouvoir vivre. Je n’avais pas d’autre choix. Je ne suis pas content d’avoir été obligé de mener cette vie. Je me sens fatigué. Mon état physique ainsi que mon moral sont dans un état lamentable». Père de cinq enfants, il est maintenant dans l’impossibilité de répondre, même à leurs besoins quotidiens les plus élémentaires : «Que dois-je faire ?», se lamente-t-il. Atef a le regard rivé sur les montagnes du Sud. Il regrette d’avoir cru à la paix. Il regrette d’avoir eu de l’espoir : «Quand les troupes israéliennes se sont retirées, tous les habitants de mon village n’ont pas bougé. On se disait que l’État n’allait évidemment pas juger tous les Sudistes, qu’il n’allait pas condamner les 120 000 habitants du Sud pour le simple fait qu’ils ont travaillé pour survivre. On se disait que le gouvernement adopterait une politique d’amnistie et serait clément envers nous. La paix dans cette région est impossible. Comment voulez-vous qu’il y ait la paix alors que le gouvernement libanais n’a pas encore rétabli son autorité dans la zone ? Aujourd’hui, on n’a plus d’espoir». Un an après la débâcle des Israéliens, les habitants de l’ex-zone occupée ont besoin de se nourrir et de travailler. «Collaborateurs» aux yeux de beaucoup de gens, ils ne cessent de répéter : «On n’a fait que vivre, on n’a pas trahi». Il y a un an, ils savouraient la plus grande des victoires, celle de la libération du Sud. Il y a un an, ils croyaient en un lendemain meilleur sous l’aile protectrice de leur gouvernement. Un an après beaucoup ont déchanté.
Un an après le retrait israélien, le Liban-Sud est toujours hanté par les années d’occupation. Ses habitants, en majorité des femmes et des enfants, vivent dans l’incertitude. Beaucoup d’hommes sont en prison pour cause de collaboration, les ressources financières sont rares et l’État libanais est presque inexistant dans cette partie du pays. Les habitants du Sud,...