Lettre au président el-Khoury

À un an et demi de l’expiration du mandat du président Béchara el-Khoury et à l’initiative des députés du Sud, à leur tête Ahmad el-Assaad, le gouvernement d’alors a projeté de modifier le texte de la Constitution pour permettre la réélection de Béchara el-Khoury. Michel Chiha écrit la lettre suivante au président el-Khoury. Je voudrais mettre en relief que : 1- Il s’agit du Liban et de son avenir et que dans ce pays, il y a assez de mauvais exemples à tous les niveaux pour qu’il ne vienne du degré le plus élevé ; 2- Que personne ne comprendrait la révision 18 mois avant le temps, les étrangers surtout, et que notre crédit moral pourrait en être atteint ; 3- Que le précédent est redoutable et que c’est un devoir de considérer, quand il n’y a pas de certitude en rien dans ce monde, pour chacun de nous, que nous avançons tous à la grâce de Dieu et qu’il est raisonnable et juste que la générale demeure, aussi longtemps qu’il se peut, la règle. Un autre président ambitieux et sans scrupules qui pourrait durer 12 ans ébranlerait ce pays dans ses fondements et le mettrait au pillage… 4- Mon sentiment est que ce que l’on projette est prématuré et dangereux ; que l’exemple syrien ne suffit pas en 1948 ; que nous avons en ce moment sur les bras plus d’une difficulté et plus d’un motif de discorde ; et qu’il n’y a enfin aucune urgence que l’on pourrait fonder par exemple sur la nécessité de fortifier la situation du président dans l’opinion. J’ai réfléchi à la chose hier et je te les propose comme c’est, je pense, mon devoir, à la suite de la démarche de Ahmad el-Assaad. Malgré toute la reconnaissance que l’on peut avoir pour cet homme et les siens, je n’ai pas l’impression qu’on puisse en une matière aussi sensible et délicate s’en remettre à leur dévouement. Je voudrais ajouter que sur ce point, comme sur quelques autres, il est naturel de montrer la différence entre le Liban et le pays voisin où l’on voit renaître le climat ottoman et le monde turc… Tu en jugeras avec le sang-froid qu’imposent les nécessités proprement libanaises de la charge que tu assumes et tes obligations envers toi-même et envers les autres. Il s’agit de prouver quand même que ce qu’il y a de plus précaire et de moins respecté dans ce pays c’est la loi. Pour l’accessoire, je me sens, je t’assure, l’expérience de ma vie aidant, des trésors de compréhension et de bonne humeur ! (signé)