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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Conférence - La Première Guerre mondiale évoquée par les pays de l’Est méditerranéen - Le reflet du conflit dans la mémoire des peuples

«Le recours au passé constitue une des stratégies les plus courantes dans le processus d’interprétation du présent. Ce qui anime un tel retour dans l’histoire (…), c’est l’incertitude que le passé est vraiment révolu, ou qu’il se perpétue à travers des formes différentes.» Cette citation d’Edward Saïd – universitaire américain d’origine palestinienne – qui figure sur l’un des panneaux géants illustrant les souvenirs de la Première Guerre mondiale a donné le ton à la conférence sur le même thème. Organisée par l’Institut allemand d’études orientales, en collaboration avec l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA), et l’Institut allemand d’études historiques à Rome (DHI), cette manifestation académique a accueilli d’éminents chercheurs et historiens de différentes nationalités. Dans quelle mesure la mémorisation de la guerre en tant qu’événement historique peut-elle permettre un examen approfondi des effets politiques, sociaux et culturels de ce conflit ? Comment les différents peuples concernés se souviennent-ils de cet épisode de l’histoire ? Quelles sont leurs perceptions et interprétations à travers les écrits, les témoignages et les images recueillis par les différents experts ? Enfin, comment se sont manifestées les identités nationales reflétées par la mémoire collective des différents peuples ? C’est sur cette réflexion originale sur l’histoire du premier conflit mondial que se sont penchés les spécialistes des pays directement ou indirectement impliqués dans la confrontation : Italie, Allemagne, Turquie, Égypte, Grèce, Syrie, Liban. Le but de cette conférence n’était pas tant une étude de la «vérité objective» de cette guerre, ou une analyse de ses conséquences sur le terrain, qu’une recherche de la «vérité telle que perçue par les peuples», commente Olëf Farschid, de l’Institut allemand des études orientales. Abordant le thème de la mémoire sous l’angle de la «conception de l’État libanais d’après les élites des comunautés libanaises (1914-1920)», le professeur Issam Khalifé souligne que «la position des élites des confessions libanaises a été extrêmement influencée par les stratégies et les politiques des grandes puissances (…) ainsi que par des facteurs intérieurs et régionaux». Présentes dans leur grande majorité à l’étranger (France, Égypte, Amériques du Nord et du Sud), il était «normal que la position de ces élites soit influencée par les politiques régionales et internationales», explique l’historien. Ce dernier distingue, à travers deux périodes historiques, la position de certaines élites chrétiennes à «tendance libanaise» qui avaient soulevé, avant 1918, la question de l’indépendance du Liban et des pays arabes par rapport à l’empire ottoman, et celle des élites chrétiennes à «tendance d’intégration avec la Syrie». Ces dernières revendiquaient l’incorporation du «Liban - Moutassarifiya» dans ce qu’ils appelaient la «Syrie naturelle». Quant aux élites musulmanes – affiliées à divers partis poltiques et associations qui prônaient soit la réforme dans le cadre de l’empire, soit l’indépendance totale du pays arabe –, «la plupart (d’entre elles) ne s’occupaient pas de la question des frontières libanaises parce que, dans leur majorité, elles appuyaient le nationalisme syrien arabe». Frontières ou intégration ? Dans un second temps, à savoir entre 1918 et 1920, il y avait d’une part ceux qui proposaient des frontières précises à l’État national, et qui ont agi en conséquence, et d’autre part ceux qui proposaient l’intégration de l’entité libanaise dans un nationalisme plus grand, syrien ou arabe. Cependant, commente M. Khalifé, «l’équilibre des forces au niveau international a permis aux premiers de réaliser leur but : l’édification de l’État libanais au sein des frontières du Grand Liban». C’est sur la question de la famine et du blocus imposé au Liban entre 1914 et 1918 que les professeurs Massoud Daher et Farouk Hoblos interviendront. «Il est inutile de dire que ce sujet est d’autant plus complexe qu’un ensemble de facteurs idéologiques et religieux font obstacle à une recherche historique objective sur la famine, le blocus, l’exil et la mainmise sur le Mont-Liban durant la Première Guerre mondiale», soutient M. Daher . Se fondant sur des documents et des sources premières illustrant cet angle particulier de l’histoire, M. Daher cite les mémoires de Chakib Arslan, un défenseur du gouvernment ottoman, et ceux de Loutfallah Nasr, un maronite qui soutenait la France. Les deux textes qui ont été écrits en 1922 concordent sur plusieurs points, fait remarquer l’intervenant. À côté des commerçants et hommes d’affaires libanais, qui ont réalisé des bénéfices grâce à la famine, plusieurs forces externes telles que les Ottomans, les Français les Britanniques et les Allemands ont participé à la stratégie qui consistait à affamer le peuple libanais, relève le professeur Massoud Daher. «Plusieurs propriétés ont été vendues à des prix dérisoires. En parallèle, l’immigration était devenue un phénomène courant», dit-il. Prenant à son tour la parole, Farouk Hoblos fonde son argumentation sur des textes divers, dont des documents provenant du tribunal chérié de Tripoli. «L’histoire de cette famine est rapportée avec beaucoup d’exagération, pour ne pas dire de manière non crédible», souligne l’historien. «Une partie de ces écrits ont fait porter la responsabilité du blocus, dont a souffert la Moutassarifiya du Mont-Liban au début de la guerre, aux Ottomans». Et l’intervenant de préciser que le but de cette étude est de montrer – objectivement – le contre-effet social de la famine à cette époque, précise le professeur Hoblos. «Cet objectif peut être atteint en étudiant la montée des prix des biens de consommation due à la dévaluation de la monnaie ottomane». Cette cherté était également justifiée par la disponibilité relative de certains produits alimentaires sur le marché local, affecté par le blocus maritime imposé par les alliés et par le siège infligé par Jamal Pacha au Mont-Liban. L’identité arménienne Autre thème soulevé lors de cette conférence, la question de l’identité arménienne telle que «façonnée» par la Première Guerre mondiale. «L’identité moderne des Arméniens est profondément marquée par un dénominateur commun, à savoir le sentiment d’être une victime de l’histoire», soutient Richard Hovanissian, professeur d’histoire arménienne et caucasienne à l’Université de Californie (UCLA). «Dispersé aux quatre coins du monde, le peuple arménien se situe à des stades différents d’acculturation et d’assimilation», ajoute-t-il, en expliquant que nombreux sont ceux qui ne maîtrisent plus la langue maternelle. Par conséquent, dit-il, le fait de se «sentir arménien» (feeling Armenian) s’est substitué à celui de l’appartenance (Being Armenian). Selon l’intervenant, la vie communautaire de ce peuple a été marquée par la conservation de la mémoire et par la construction d’une identité influencée dans une large mesure par la guerre. Outre les survivants, le traumatisme subi par ce peuple a poussé les nouvelles générations plus ou moins intégrées à concentrer leurs efforts sur une action politique visant à gagner une reconnaissance internationale de leur souffrances. Qui plus est, ajoute M. Hovanissian, «le poids de l’histoire est encore très lourd pour nombre d’Arméniens en quête d’une nouvelle identité qui leur permettrait de jouir librement de la vie, loin du complexe de culpabilité issu du besoin de se préserver». «Qui parle encore aujourd’hui du génocide arménien ?», disait Hitler peu de temps avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. «Ces propos étaient-ils justifiés ? Les Allemands avaient-ils réellement ignoré le génocide ?», s’interroge le professeur Wolfgang Wippermann lors de son intervention sur «le génocide arménien dans la mémoire des Allemands». Pas exactement, répond le conférencier, qui se fonde sur la condamnation dès 1916 par la presse d’Allemagne et par certains intellectuels de ce pays du massacre des Arméniens. Mais, dit-il, s’étant effacé devant le souvenir plus récent de l’Holocauste, le génocide a été passé sous silence à partir de 1945.
«Le recours au passé constitue une des stratégies les plus courantes dans le processus d’interprétation du présent. Ce qui anime un tel retour dans l’histoire (…), c’est l’incertitude que le passé est vraiment révolu, ou qu’il se perpétue à travers des formes différentes.» Cette citation d’Edward Saïd – universitaire américain d’origine palestinienne –...