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Actualités - REPORTAGES

Beyrouth au temps des émirs des druzes

Hormis quelques monuments religieux, les travaux actuels de la reconstruction ont oblitéré les derniers vestiges de la ville intra-muros eux-mêmes rescapés des plans d’aménagement plus anciens et de la guerre civile contemporaine. Nous devons l’essentiel de nos connaissances aux relations des voyageurs et à quelques rares archives familiales et paroissiales des XVIIe et XVIIIe siècles. On ne constate pas de différences fondamentales entre la ville mamelouke et celle des Ottomans. Le nouveau pouvoir s’installa en effet à la place de l’ancien, occupant les fortifications et le diwan, la résidence du gouverneur. Cet édifice devint le sérail, à proximité de la Grande Mosquée, elle-même au milieu de la zone commerciale qui s’était historiquement créée autour de son enceinte. Malgré quelques activités de construction entreprises par des gouverneurs, la ville devait globalement garder son aspect extérieur, un ensemble ramassé sur un dédale de ruelles et d’impasses, abritant les éléments traditionnels de la ville arabe, spécialement les sous et la Grande Mosquée, tout comme les khans, les hammams et les lieux de culte des minorités. L’émir Mansour al-Assaf, qui gouverna Beyrouth à la fin du XVIe siècle, fit construire à l’ouest de la ville une mosquée qui porte encore son nom. En 1620, l’émir Mounzir, oncle de l’émir Fakhreddine II, offrit à la ville une autre mosquée, l’agrémentant d’une fontaine, la célèbre Noufayrat. Mais l’opération urbanistique la plus spectaculaire du XVIIe siècle fut la réhabilitation du sérail par Fakhreddine II, à son retour d’exil de toscane. Voulant faire de Beyrouth, selon l’expression de Puget de Saint-Pierre, «le dépôt de ses richesses et le temple favori de ses plaisirs», il encouragea d’abord l’établissement en ville de nombreuses familles de la montagne et favorisa ensuite les colonies italiennes et les missions. Le palais, restauré à l’aide de maîtres toscans, s’organisait autour de cours intérieures et selon une succession allant des bâtiments publics et utilitaires aux édifices privés, à la manière des palais d’Istanbul. La première porte donnait sur Sahat al-Saraya, principale place publique de Beyrouth. Le règne de Fakhreddine se termina cependant en catastrophe : pour priver d’abris la flotte ottomane venue mettre fin à ses ambitions démesurées, il donna l’ordre de combler le port et faire sauter les deux puissantes tours qui étaient à son entrée. Le port, désormais bloqué, entraîna la fuite des commerçants beyrouthins, la dépopulation et le déclin économique de la cité. Successeurs des Maan, les émirs Chéhab ne réussirent à contrôler Beyrouth que durant quelques années. La ville connut une période sombre, caractérisée par des troubles civils, des schismes religieux, des guerres et un bombardement de la flotte russe. Bannis de la montagne, quelques princes Chéhab et leurs associés, des princes Abillama, choisirent cependant de s’établir à Beyrouth, y édifiant des résidences luxueuses, en contrebas et à l’est de la butte Qantari. Ils contribuèrent aussi à améliorer l’outil économique de la cité. L’émir Melhem fit d’abord bâtir le grand khan al-Mallahat, puis l’émir Mansour fit restaurer le diwan et construire une qaysariya (type de marché couvert destiné à des marchandises précieuses). L’émir Youssef érigea ensuite le khan al-Arwam et l’émir Souleiman Abillama la qaysariya al-Baroud. Il convient ici de noter l’impact des notables et de leurs communautés sur l’aménagement urbain. À travers le waqf, une des principales institutions par lesquelles la ville ottamane était gérée et développée, les communautés étaient des sièges d’autorité qui dirigeaient des ensembles urbains, des dispositifs religieux, charitables, culturels et économiques. Ceux-ci régissaient la vie des sujets et des institutions. Toutes les communautés chrétiennes, musulmanes et juive, disposaient d’équipements semblables, plus ou moins étendus selon l’importance de chacune. En sus du lieu de culte et des institutions charitables annexes, les maronites, par exemple, administraient en waqf une qaysariya située dans le souk al-Hayyakin (tisserands). Les orthodoxes dirigeaient un ensemble plus complexe, comprenant, hormis la cathédrale et la maison de l’évêque, un khan, une fontaine, un souk, un hospice, une école, une bibliothèque, ainsi qu’une imprimerie fondée en 1751, la première de Beyrouth. Mais la communauté sunnite présentait le dispositif le plus développé, composé de nombreux centres civiques gérés par les mosquées : écoles et fondations charitables, mai aussi un outil économique et public impressionnant, formé de pressoirs, de fours à pain, d’ateliers, d’entrepôts, de boutiques, de hammams et de simples habitations. À la fin du XVIIIe siècle, Beyrouth n’était qu’un minuscule port de pêche assorti d’un centre de production artisanale, spécialisé dans la fabrication de divers objets de bois, de cuir ou de lin. La «barutine» faisait cependant sa réputation : une étoffe de soie d’un genre particulier que la ville fabriquait sans doute depuis le Moyen Âge, quand Byzance introduisit l’élevage du ver à soie en Syrie. Le cadre traditionnel et l’armature urbaine de Beyrouth allaient résister, presque intacts, jusqu’aux environs de 1840. Une phase de développement rapide, de modernisation et de projets urbains complets allait suivre, faisant du XIXe siècle ottoman le véritable âge d’or de la cité. «Liban, l’autre rive».
Hormis quelques monuments religieux, les travaux actuels de la reconstruction ont oblitéré les derniers vestiges de la ville intra-muros eux-mêmes rescapés des plans d’aménagement plus anciens et de la guerre civile contemporaine. Nous devons l’essentiel de nos connaissances aux relations des voyageurs et à quelques rares archives familiales et paroissiales des XVIIe et XVIIIe siècles....