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Actualités - OPINIONS

Dissonances

«Dans le tumulte actuel, la voix qui se fait le mieux entendre est celle qui parle bas» (J. de Bourbon Busset, Tu ne mourras pas) Entre les clameurs militantes qui résonnent à Téhéran et les vœux pieux formulés à Washington, quelle règle de conduite possible, quel itinéraire praticable pour notre infortuné pays ? La conférence de soutien à l’intifada dans la capitale iranienne aura été l’occasion pour le Hezbollah de réaffirmer un dogme inviolable, celui de la poursuite systématique de la lutte contre Israël sans souci de l’équilibre régional des forces ou des pressions internationales : une voie qu’a également prônée sur place le président de l’Assemblée nationale Nabih Berry, et qui se trouve être d’ailleurs l’une des options de base du président Émile Lahoud. Au même moment pourtant, dans la capitale fédérale américaine, on a pu voir Rafic Hariri convenir avec George W. Bush de la nécessité d’un retour au calme au Proche-Orient. Voilà qui inciterait les États-Unis, «leader du monde» selon les propres termes du premier ministre, à contribuer activement à la stabilité politico-économique du Liban ; voilà qui est diablement incompatible, en revanche, avec le bouillant programme énoncé à Téhéran où, faut-il le rappeler, l’Oncle Sam est voué aux gémonies. Le Liban a-t-il les moyens de sa politique ? La guérilla pour les fantomatiques fermes de Chebaa passe-t-elle vraiment avant la sécurité générale du pays, avant sa cohésion encore embryonnaire, avant son économie déjà moribonde, avant ses vulnérables infrastructures ? Beyrouth peut-il être dans le même temps Hanoi et Hong Kong, selon la percutante formule de Walid Joumblatt ? S’il faut absolument que ce soit Hanoi, appartient-il à des combattants irréguliers de fixer eux-mêmes l’heure de la bataille, ce qui devrait relever de la responsabilité de tout État digne de ce nom ? Et tant qu’à batailler, que font donc les autres pays arabes – et singulièrement le «protecteur» en titre, la Syrie – pour lutter activement aux côtés de ce pathétique Hanoi, pour le doter de moyens crédibles de résistance et de survie au lieu de le noyer consciencieusement sous des flots de rhétorique enflammée ? Ce débat nous poursuit depuis des décennies telle une malédiction ; il a déjà provoqué des guerres, il a appelé des invasions, et nous n’avons toujours rien appris. Nous nous sommes déchirés à propos des Palestiniens qui prétendaient libérer leur patrie à partir de notre sol et qui, loin de sauver la Palestine, n’ont fait que causer la perte du pays-hôte. Plus tard, les Libanais ont soutenu comme un seul homme l’entreprise de libération du Sud, ils ont tous applaudi à l’héroïsme dont a fait preuve le Hezbollah; mais croit-on sérieusement que l’opinion interne continuera de suivre dès lors qu’on se bat, avec des risques décuplés pour tous, non plus pour le Sud mais pour quelques arpents de territoire fraîchement déterrés de l’oubli ? Mieux, qu’on se bat en réalité pour un Golan désespérément calme depuis exactement 27 ans sans parler, de mieux en mieux, des appels à la libération de toute la Palestine, dût le combat se prolonger durant mille ans ? Ce même et sempiternel débat – et il est plutôt réconfortant de le constater en ces temps difficiles – n’oppose plus chrétiens et musulmans, ni partis de gauche et de droite. Et surtout, il n’épargne plus une classe gouvernante qui s’est distinguée durant la décennie écoulée par sa parfaite homogénéité dans la fidélité aux consignes syriennes. Ce n’est plus le président maronite du Liban qui prêche prudence et retenue – pour un peu, il faudrait au contraire le retenir dans sa fougue libératrice – mais le très sunnite chef du gouvernement. C’est le premier qu’acclament – bien malencontreusement, pour lui et pour sa haute charge – les hordes vociférantes d’adeptes du couteau de cuisine qu’on a lâchés il y a quelques semaines dans la rue; et c’est le second qui est vivement pris à partie par les partis islamiques, qui se voit même dénier une escale à Damas, parce qu’il a eu le front de contester le timing choisi pour la dernière opération du Hezbollah, laquelle avait entraîné le raid aérien israélien sur des positions syriennes à Dahr el-Beïdar. Le Liban n’est pas la Syrie et tout le monde n’est pas Bachar el-Assad, qui réussit, lui, le véritable tour de force de se faire ovationner par les congressistes de Téhéran pour son ferme soutien à la lutte contre Israël, et de s’attirer dans le même temps les éloges de George Bush pour sa disposition à calmer le jeu. On continuera vraisemblablement donc de chercher à court-circuiter Rafic Hariri à chacune de ses expéditions diplomatiques. On ne réussira pas à le discréditer pour autant : car quelle que soit l’opinion que l’on se fait du personnage, c’est bien lui – et pratiquement lui seul – qui continue d’entretenir sur la scène internationale la fiction d’un Liban encore présent sur la carte, à défaut d’être indépendant et souverain. Le premier ministre a pour lui la notoriété, la fortune, les relations, diront ses ennemis. Ce qu’il possède surtout en réalité c’est l’art, devenu introuvable au sein du personnel politique libanais, de tenir aux puissances étrangères un langage de bon sens et de raison. Fallait-il absolument un géant de la finance pour comprendre que la propagande n’a pas cours sur les marchés mondiaux ?
«Dans le tumulte actuel, la voix qui se fait le mieux entendre est celle qui parle bas» (J. de Bourbon Busset, Tu ne mourras pas) Entre les clameurs militantes qui résonnent à Téhéran et les vœux pieux formulés à Washington, quelle règle de conduite possible, quel itinéraire praticable pour notre infortuné pays ? La conférence de soutien à l’intifada dans la...