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Actualités - BIOGRAPHIES

COMMÉMORATION - Vingt-six ans déjà : l’évolution du parcours d’une combattante - Jocelyne Khoueiry, ou comment lutter autrement pour la même cause

Ils ont cru en des causes, et ils ont porté des armes pour les défendre. Mais un jour, bien avant la fin des hostilités en 1990, ils ont décidé de lâcher prise. Quitter le champ de bataille pour livrer une guerre ailleurs. Et avec autant de conviction, ils se sont mis à défendre la même cause, autrement. Sont-ils nombreux parmi toutes les factions qui se sont entre-tuées à avoir effectué ce parcours ? Probablement pas, vu le nombre de Libanais qui, à un moment ou un autre de la guerre, ont pris les armes. Jocelyne Khoueiry, ancienne militante des Forces libanaises, fait partie de ceux-là. À 20 ans, en 1976, elle était responsable d’un des fronts du centre-ville. Aujourd’hui, elle a sa propre association «La Libanaise, femme du 31 mai». La date marque «la visitation de la Vierge Marie à Élisabeth ainsi que la journée des militantes célébrée dans les camps des FL», explique-t-elle. Jocelyne Khoueiry lutte actuellement contre l’avortement et pour l’unité de la famille, noyau indispensable pour la construction d’une patrie «qui a la vie humaine pour raison d’être, la liberté et l’amour pour terre, et le respect de l’autre pour loi», indique une brochure qui présente l’association mise en place par l’ancienne combattante. Pour la militante, il n’existe aucune rupture dans le chemin parcouru. Il suffit de l’entendre parler pour comprendre. Depuis 1976, elle se bat pour défendre «l’identité du Liban», affirme-t-elle. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’elle a pris les armes. «Nous n’avions plus le choix ; nous devions lutter contre un fait accompli», indique-t-elle. Après avoir passé neuf ans à lutter sur les fronts, elle a décidé de fonder une association qui défendra pacifiquement les valeurs qui lui ont été inculquées dès son enfance. Déjà, en 1980 alors qu’elle était aux commandes de la section des femmes combattantes au sein des Forces libanaises, elle devient responsable de la formation évangélique de tous les miliciens. Et pour bien remplir sa tâche, elle entame des études de théologie, qui seront achevées en 1985. «Au début, beaucoup m’ont accusée de transformer les Forces libanaises en un ordre religieux, ensuite ils ont compris», indique-t-elle, en soulignant qu’avant de «défendre une identité il faut bien la connaître». «Aime ton prochain comme toi-même», Khoueiry cite l’un des plus importants commandements de Dieu. Pour elle, «la parole de l’Évangile était essentielle pour éviter les dérapages de la guerre», c’est-à-dire les vols, les crimes, les massacres… qui ont malheureusement eu lieu. «J’ai toujours détesté le slogan “à la guerre comme à la guerre”», dit l’ancienne combattante qui ne nie pas cependant que «des dérapages» ont bel et bien eu lieu. Et de poursuivre que «l’engagement spirituel atténue l’agressivité des combats». Mais peut-on tuer au nom du christianisme ? Khoueiry rectifie la question posée. «Le christianisme est la religion de l’amour, de la tolérance, la religion qui défend et respecte l’homme créé à l’image de Dieu», indique-t-elle en soulignant que «le Christ a bien chassé les marchands du temple». L’autodéfense est donc une parole d’Évangile. Et Jocelyne, dont les images de jeune combattante armée jusqu’aux dents ont fait à une époque le tour du monde, déclare qu’elle «a défendu une cause». Elle a tué uniquement quand «sa vie était en danger». Elle cite en exemple son souvenir de guerre le plus marquant : l’opération du 6 mai 1976. Elle avait 20 ans. Le front dont elle était responsable était encerclé par des miliciens ennemis. Il n’y avait plus qu’une alternative : se rendre et se suicider (au sens propre) ou se défendre et survivre. Elle a choisi la deuxième option. Se souvenir pour éviter de futurs conflits Pour Khoueiry, le sujet de la guerre est loin d’être tabou. Elle en parle avec les anciennes miliciennes, dont certaines travaillent actuellement au sein de l’association, ainsi qu’avec d’anciens miliciens d’(ex)-camps adverses. «Oui en 1985, quand elle a quitté les rangs des FL», elle voulait comme la plupart des anciens combattants «oublier». «Et puis j’ai compris qu’il fallait dissocier la cause pour laquelle nous nous sommes mobilisés des combats qui se sont déroulés», explique-t-elle. N’est-ce pas pour se repentir des péchés commis durant la guerre que Jocelyne Khoueiry a décidé de se tourner avec autant de ferveur vers Dieu ? L’ancienne combattante, qui estime probablement que la question est déplacée, n’a «pas de regrets». Son association située dans un immeuble qu’elle a elle-même baptisé «le Centre Jean-Paul II» défend la même cause – l’identité chrétienne – autrement. Fondée en 1988, «La Libanaise, femme du 31 mai», a entamé son action en assurant des leçons de suivi aux élèves qui font face à de difficultés scolaires. En 1995, l’ONG commence à lutter contre l’avortement en volant au secours des futures filles-mères, et de femmes qui souffrent des séquelles des interruptions volontaires de grossesse (IVG). Avec le travail effectué, l’organisation mondiale «Oui à la vie», qui est membre de la commission épiscopale pour la famille, ouvre une branche au Liban. Mais comment peut-on lutter contre l’avortement après avoir porté des armes destinées à tuer ? «J’étais en danger et je me suis défendue contre mon agresseur. L’avortement, c’est agresser un enfant», répond Khoueiry. Il y a quelques mois, un nouveau service du Centre Jean-Paul II, a vu le jour. À l’initiative de l’ancienne combattante, un groupe formé d’un psychologue, d’un sociologue, d’un psychiatre, de conseillers spirituels et matrimoniaux a été créé. Il a pour but de venir en aide à des couples mariés qui font face à des difficultés conjugales. «La famille est au cœur des préoccupations du pape Jean-Paul II», indique Khoueiry, en soulignant également qu’une «famille unie est à la base d’un pays uni». «C’est à partir de la cellule familiale que l’on peut édifier un État», ajoute-t-elle. L’ancienne combattante tient à faire partager son expérience. Elle participe à des conférences et des tables rondes, des retraites spirituelles. «Il faut que l’on se souvienne pour éviter les conflits futurs», dit-elle. Et celle qui estime que «les événements déclenchés en 1975 étaient inévitables» de poursuivre : «Il ne faut plus que la guerre soit l’unique choix». Et si c’était à refaire, effectuera-t-elle le même parcours ? Pour cette combattante née, la réponse est évidente : «Sans aucun doute». Et de déclarer : «Si j’avais 20 ans et si la même conjoncture de 1975 se présentait encore une fois je prendrai les armes». Au début des années quatre-vingt-dix, elle s’est rendue en Croatie, au cœur du conflit yougoslave. Elle a acheminé des aides humanitaires. Khoueiry évoque son séjour à Zagreb. «En me promenant dans la capitale croate, qui se préparait à la guerre, j’ai revu le Beyrouth des années soixante-dix», raconte-t-elle. Qu’a-t-elle ressenti ? «Tout au long de mon séjour, j’avais la gorge serrée et je sentais un énorme poids sur le cœur», relève-t-elle. Elle n’en dira pas plus. On devine que celle qui a pris les armes à 20 ans, la combattante née, a des difficultés à évoquer ses émotions.
Ils ont cru en des causes, et ils ont porté des armes pour les défendre. Mais un jour, bien avant la fin des hostilités en 1990, ils ont décidé de lâcher prise. Quitter le champ de bataille pour livrer une guerre ailleurs. Et avec autant de conviction, ils se sont mis à défendre la même cause, autrement. Sont-ils nombreux parmi toutes les factions qui se sont entre-tuées à...