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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Territoire, origine, langue : un présent intimement lié au passé - Les critères nécessaires à la naissance d’une nation : la formation de l’entité libanaise -

Le Liban tel qu’il se présente aujourd’hui résulte de dix mille ans de présence humaine sédentaire intense, et particulièrement variée et nuancée, fruit de plusieurs civilisations et cultures. Il est vrai que l’Histoire doit parfois négliger beaucoup d’événements pour ne retenir en fin de compte que les faits essentiels à l’évolution d’un peuple qui constituent la trame historique du Liban d’aujourd’hui. Du fait du particularisme de ces événements, le Liban est devenu une entité ayant une vie propre et des caractéristiques demeurées constantes tout au long de son histoire, une réalité dont le présent est intimement lié à son passé. L’aspect géographique et physique de ce lopin de terre conditionne d’ailleurs en grande partie la particularité ethno-socioculturelle du peuple qui y vit. N’a-t-on pas toujours dit que le Liban est un pays refuge, un espace, il est vrai un peu restreint, où la liberté, mais aussi la vie et les biens sont protégés et garantis ? Volney, de passage au Liban au XVIIIe siècle, expliquait la forte densité de la population libanaise enserrée dans sa montagne et sur son étroite bande côtière par «le rayon de liberté» et par «la sécurité des vies et des propriétés» qui y avaient cours. Pour sa part, Lamartine, qui visitait le Liban (1832-1833) après son passage en Égypte, alors que ces pays étaient gouvernés par deux hommes dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils géraient leurs administrés d’une poigne de fer, écrivait ceci : «En Égypte, j’ai rencontré un homme (Méhemet Ali), au Liban j’ai rencontré un peuple». Ces deux points de vue soulignent une des qualités essentielles du Liban et expliquent que ce pays ait aussi bien réussi à s’intégrer dans le concert des nations modernes. Ce caractère original se fonde sur une idée constante de libération, un nationalisme certes tenace, mais qui s’est toujours distingué par une souplesse et une modération tout orientale, loin des extrémismes obstinés à l’encontre d’autre peuples. Ceci a mené ce petit pays à la victoire du droit sur différentes formes de violence, en premier lieu celle qui se fonde sur la supériorité des nombres et des moyens. Les historiens s’accordent à dire pour définir une nation et reconnaître au peuple qui la forme cette qualité, qu’il faut qu’elle jouisse de quatre critères communs bien nets ou quatre éléments : le territoire, l’origine, la langue et l’histoire. LE TERRITOIRE - Le territoire du Liban est certes petit, mais il a l’avantage d’avoir des frontières naturelles, et jouit d’un climat tempéré et de plusieurs microclimats qui viennent enrichir encore une terre agricole très variée, offrant toutes sortes de produits agricoles : céréales, légumes et fruits. De part les caractères géographiques du Liban qui en font un pays adossé à la montagne et ouvert à la mer, le Libanais de tous les âges et de toutes les époques a toujours été sollicité par le monde méditerranéen auquel il appartient économiquement et culturellement. Mais s’il n’oublie ni ne renie son appartenance au Proche-Orient, cette bipolarisation a créé chez lui le désir de liberté et d’indépendance et l’aptitude du commerce des choses et des idées. Elle se retrouve en même temps chez le Phénicien de l’antiquité et chez le Libanais des temps modernes. Cette quasi-similitude entre périodes historiques aussi éloignées dans le temps montre bien l’influence du territoire sur ses habitants. Il faut, cependant, attirer l’attention du lecteur sur l’importance relative du territoire qui dépend souvent de ce que l’historien veut bien lui faire dire. Prenons à témoin trois grands historiens, qui, chacun à sa manière, ont fait parler le territoire ; l’un a parlé du territoire de la France et c’est Jacques Bainville et les deux autres sont parmi les plus grands spécialistes du Proche-Orient et ce sont Henry Lammens et le colonel Lawrence ou Lawrence d’Arabie. Jacques Bainville déclare en parlant du territoire français : «On dit communément que, dans cette contrée fertile, sur ce territoire si bien dessiné, il devait y avoir un grand peuple. On prend l’effet pour la cause. Nous sommes habitués à voir à cet endroit de la carte un État dont l’unité et la solidité sont presque sans exemple. Cet État ne s’est pas fait tout seul. Il ne s’est pas fait sans peine. Il s’est fait de main d’hommes. Plusieurs fois il s’est écroulé, mais il a été rebâti. La combinaison France nous paraît naturelle. Il aurait pu y avoir d’autres combinaisons». Henry Lammens disait en 1915 de la Syrie : «Quand on jette un coup d’œil sur la carte de l’Asie antérieure, le regard ne tarde pas à distinguer un long rectangle de terres, d’un seul tenant, comprimé entre la Méditerranée et le désert arabique. Ce pays (la Syrie) possède des frontières naturelles déterminées, comme peu de peuples ont le bonheur d’en posséder : la mer, les montagnes, le désert». À quoi répond le colonel Lawrence sensiblement à la même époque : «Le mot Syrie n’existe pas en arabe pas plus qu’un mot quelconque pour l’ensemble des régions qu’un politicien syrien a dans l’esprit. La pauvreté verbale du nom, emprunté à la langue de Rome, était le signe même d’une désintégration politique. Les siècles semblent proclamer pour cette terre l’impossibilité d’une union autonome». LA LANGUE - La langue que les Libanais parlent aujourd’hui est l’arabe, mais il n’a pas toujours été ainsi. Les habitants du Liban ont toujours parlé trois langues même à l’époque de la plus haute Antiquité. Les Cananéens à différentes périodes de leur longue histoire parlaient à côté de leur langue d’origine deux autres langues appartenant aux civilisations qui leur étaient contemporaines : l’akkadien, l’égyptien, l’amoréen, l’assyrien, le babylonien, l’araméen ; ils ont ensuite pratiqué le grec et le romain et le syriaque qui a remplacé petit à petit le phénicien. Après la conquête arabo-musulmane, les habitants de la côte adoptèrent rapidement la langue arabe qui ne se répandit vraiment dans la montagne qu’à partir du XVIe siècle. Mais l’atavisme étant ce qu’il est, les Libanais redevinrent polyglottes à partir du XVIIIe siècle. Ils apprirent l’italien et le français d’abord, puis le français et l’anglais et ils continuent à pratiquer ces deux langues aujourd’hui avec leur langue maternelle, l’arabe. LES ORIGINES ET L’HISTOIRE - Rappelons, en bref, les événements qui se sont déroulés sur le sol du Liban. La civilisation cananéenne-phénicienne qui avait pris son essor au quatrième millénaire av. J-C fut d’abord sévèrement malmené par l’arrivée des armées d’Alexandre le Grand pour tomber définitivement sous les coups des Romains de Pompée au Ier siècle av. J-C. Depuis, la Phénicie annexée n’existait plus que sous la forme d’une région romaine où vivaient ce qui restaient des Phéniciens et les Araméens, sémites comme eux, qui avaient fui les villes syriennes et mésopotamiennes chassés par les querelles religieuses. Après la conquête arabe, la côte s’arabisa beaucoup plus vite que la montagne ; il faut attendre l’arrivée des Croisés, pour que, paradoxalement la montagne s’ouvre à l’arabité avec l’installation sur son territoire de certaines tribus et quelques clans menés par des émirs comme les Maan, les Chéhab et les Tannoukh. C’est ainsi que peu à peu la langue arabe remplaça le syriaque. Les grandes capitales historiques des arabo-musulmans tombèrent les unes après les autres : Bagdad en 1242, Le Caire en 1250 et Grenade en 1492 ; le coup de grâce qui terrassa la brillante civilisation arabo-musulmane fut donnée par les Turcs ottomans en 1516. Et c’est du Liban, qu’à la fin du XVIe siècle la première renaissance arabe prit son essor. Quant aux autres éléments qui constituent le peuple du Liban, citons, d’abord, l’élément persan relevé par le géographe al-Ya’qoubi (897) et par l’historien al-Baladhori (892), ensuite les descendants des Mardaïtes, population à caractère arménoïde dont une partie s’installa au nord du Liban sous la dynastie des Omeyyades et les débuts du règne des Abbassides ; enfin, il ne faut pas oublier les fils et les filles des Croisés qui avaient choisi de rester et de s’intégrer au Liban selon les témoignages de tous les chroniqueurs de l’époque. Pour nous résumer, disons qu’il existait au Liban au XVe siècle deux grandes races : les Sémites avec les Phéniciens, les Araméens et les Arabes et les Indo-Européens avec les Persans, les Mardaïtes et les descendants des Croisés. À cette mosaïque d’ethnies, il faut ajouter une autre mosaïque, celle des rites et des religions : les maronites, les grecs-orthodoxes, les jacobites, les sunnites, les chiites, les druzes et les nosairis et, fait très important à souligner, aucune de ces religions ne correspondait à une race déterminée. Notons aussi que cette diversité dans les populations libanaises ne datait pas de cette époque récente. L’Antiquité, en effet, a connu avec les Canaanéens-Phéniciens plus d’un peuple et plus d’une culture des Assyro-Babyloniens aux Aramnéens en passant par les Mèdes, les Perses, les Égyptiens, le Grecs et les Romains. Ces populations se sont entremêlées sur le territoire libanais et les guerres de religion sont comme les croisades ont encore ajouté à la confusion générale ; et ce n’est qu’au cours du Moyen-Age d’ailleurs que de nouvelles nations commencèrent à se forme sur les décombres des anciennes civilisations et des anciens empires.
Le Liban tel qu’il se présente aujourd’hui résulte de dix mille ans de présence humaine sédentaire intense, et particulièrement variée et nuancée, fruit de plusieurs civilisations et cultures. Il est vrai que l’Histoire doit parfois négliger beaucoup d’événements pour ne retenir en fin de compte que les faits essentiels à l’évolution d’un peuple qui constituent...