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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Conférence - Opinion publique et médias - L’information, moteur, miroir ou outil de pression ?

Comment peut-on définir les rapports subtiles qui existent entre les médias et la vie politique ? L’opinion publique peut-elle influer sur la politique des gouvernements ? Celle-ci est-elle fidèlement reflétée par les médias ? Ces thèmes ont été au centre d’un débat qui a lieu mardi soir, dans le cadre «Forums de l’Information et de la communication», lancés par le Dess-Information et communication de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph. Animée par le ministre des Déplacés Marwan Hamadé, le président-directeur général du quotidien an-Nahar Gébran Tuéni et le directeur de l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication (Celsa), de l’Université Paris-Sorbonne, Jean-Baptiste Carpentier, cette conférence s’inscrit dans le cadre d’un cycle de rencontres-débats autour des thèmes d’actualité dédié aux étudiants en information. Partant de sa double expérience de journaliste et d’homme public, M. Hamadé évoquera les «liaisons dangereuses» entre le journalisme et la vie politique, le monde des médias et le monde politique. «An-Nahar, de Ghassan Tuéni, était qualifié de faiseur de présidents, L’Orient de Georges Naccache de tombeur de gouvernements, as-Safir de Talal Selman, de porte-parole de la gauche et al-Hayat de Kamel Mroué, de héraut de la politique conservatrice. Avant que tous les pouvoirs ne soient plus ou moins exercés ou accaparés par certains services occultes, la presse pouvait prétendre au titre de quatrième pouvoir», rappelle M. Hamadé. Qu’est donc devenue cette arme redoutable, à l’époque de l’argent et de la polarisation des capitales arabes ? Face à la lassitude de l’opinion et aux profondes désillusions des citoyens, peut-on encore parler «de faiseurs et de défaiseurs d’opinion» comme cela avait été le cas dans un passé lointain ? «Il est faux de croire que le journaliste ne tâte que de loin à la politique, ou qu’il n’en est que le pâle reflet, répond M. Hamadé. Il est indéniable que les médias suscitent chez l’homme politique une réaction paradoxale, faite de séduction et de terreur. Il veut en être la vedette et il craint son verdict». Et l’intervenant de rappeler que le journalisme fut et continue d’être l’antichambre de toutes les professions, en l’occurrence des présidents, des ministres, des députés et des hauts commis de l’État ou du privé. Cependant, si cette relation pouvoir-médias exerce un attrait certain dans les deux sens, elle est également marquée par cet obscurantisme et cette intolérance, dont ont été victimes plusieurs journalistes, reporters et photographes depuis 1958 et jusqu’à la fin de la guerre civile. L’intervenant citera des exemples plus récents d’intellectuels «victimes de massacreurs de pensée», tels l’idéologue Samir Frangié, « bête noire des autorités», ou Gébrane Tuéni « qui jongle avec la presse, la politique et parfois les services secrets». «L’information est-elle en définitive une plate-forme d’action politique, au service des politiciens, ou, au contraire, un instrument de pression populaire sur ces mêmes politiciens ?», s’interroge Marwan Hamadé La réponse est nuancée. Car, dit-il, si l’homme politique utilise la presse par divers moyens (la fuite contrôlée, une information sciemment livrée, etc.), il n’en subit pas moins, en contrepartie, les pressions, depuis l’éditorial jusqu’à la caricature en passant par la tribune libre, assure le conférencier. «Et le jeu continue, un peu comme celui du chat et de la souris». Pour Jean-Baptiste Carpentier, il serait erroné d’aborder la question des médias et de l’opinion publique en général sans les relier à un contexte temporel et géographique précis. Par conséquent, dit-il, ce n’est pas d’une relation duale qu’il s’agit, mais plutôt triangulaire, qui inclut l’État. Si ce dernier cherche à tout contrôler, les rapports ne relèvent plus de la même logique que s’il cherche simplement à jouer le rôle de régulateur. Abordant la question de la liberté des sondages d’opinion et leur impact sur les élections, M. Carpentier affirme que l’opinion n’est pas aussi malléable que l’on croit ni aussi manipulable qu’on le prétend souvent. «La presse fait une consommation de plus en plus importante de sondages . Pour les uns, les sondages s’intègrent dans la démocratie dans la mesure où ils apportent une information sur ce que pense untel. Pour les autres, ces sondages pervertissent la démocratie, avec des échantillons faibles, ou des questions biaisées», souligne l’intervenant. Dans quelle mesure ces sondages, quelle que soit leur crédibilité, peuvent-ils interférer dans les choix, en l’occurrence durant les élections ? s’interroge le directeur de la Celsa. Les médias n’assurent pas l’élection d’un homme politique, même si l’on a tendance à le penser . Ils peuvent y concourir, mais de nombreux exemples démontrent qu’on peut être battu – et même largement battu – malgré le soutien de tous les journaux et un affichage massif. Tout le monde ne reçoit pas les médias de la même façon. Les modes de réception par groupes et par catégories l’emportent sur la réception individuelle. «C’est pourquoi la conception d’un grand manipulateur qui arriverait à tirer les ficelles, lors des élections, n’est pas vérifiée, dit-il. Il ne faudra pas voir l’opinion publique comme un ensemble uniforme et homogène, mais plutôt une masse de sous-groupes et de mini-appartenances, parfois avec des appartenances plurielles». «On sait que les médias confortent plus les positions qu’ils ne les modifient. Les gens traitent l’information qui leur est proposée. Ils ne sont pas manipulables. Ils sélectionnent, ils font des choix», poursuit le conférencier. Et M. Carpentier de déplorer les rapports qu’entretiennent les hommes de médias avec les détenteurs des pouvoirs économique, politique et culturel, «qui conduisent à un certain nombre de dérives». «Je ne suis pas d’accord avec le ministre (Hamadé) que la presse doit être un pouvoir. Car un pouvoir suppose une légitimité et une sanction pour les erreurs», ce qui n’est pas le cas. «Est-il vrai qu’au Liban ou dans les pays arabes voisins, les positions adoptées par les individus , les collectivités, voire les gouvernements, sont profondément influencées par l’opinion publique telle que les médias la reflète ?». C’est à cette question que tentera notamment de répondre Gébrane Tuéni. Depuis la révolution de la communication, l’opinion publique est devenue une catégorie clairement identifiable. Comme telle, elle est étroitement liée à l’existence des médias pluralistes, affirme M. Tuéni. S’apparentant au «miroir qui offre un reflet à la fois fidèle de la réalité et une représentation laissant libre cours aux interprétations et aux explications», le rôle des médias est, par analogie, semblable au «moteur qui peut influer positivement ou négativement sur l’opinion publique». «Au Liban, dit-il, cette fonction est à l’œuvre, quoique seulement de manière partielle, étant donné les options et les choix actuels de l’État libanais». «Malheureusement, il est notoire qu’une grande partie de nos députés n’a cure de l’opinion publique. Et pour cause : ce n’est pas à l’opinion publique qu’ils sont redevables de leurs sièges, mais aux décideurs étrangers». Quant à la fonction de moteur que peuvent remplir les médias au Liban, elle s’applique dans «les situations où le rôle de miroir se révèle incapable d’encourager autre chose que des prises de position timides, craintives ou hésitantes de l’opinion publique», dit-il. Encore faut-il reconnaître l’existence d’opinions particulières, qui sont reprises par les médias en vue de leur transformation en opinion publique. À ce titre, la présidence du général Émile Lahoud, la quête de souveraineté du Liban par le patriarche Sfeir, la présence syrienne au Liban, etc., constituent des exemples de cas d’opinions particulières transformées en opinion publique, estime l’intervenant. Pascal Monin, directeur du département du Dess-Information et communication, conclura sur un cette pensée de Toqueville : «À mesure que les citoyens deviennent plus égaux, plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à croire la masse augmente, et c’est de plus en plus l’opinion qui mène le monde».
Comment peut-on définir les rapports subtiles qui existent entre les médias et la vie politique ? L’opinion publique peut-elle influer sur la politique des gouvernements ? Celle-ci est-elle fidèlement reflétée par les médias ? Ces thèmes ont été au centre d’un débat qui a lieu mardi soir, dans le cadre «Forums de l’Information et de la communication», lancés par le...