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Actualités - OPINIONS

L’invitation au voyage

Aucun Libanais ne penserait demander un jour au chef de l’État, au président de la Chambre, au chef du gouvernement, à l’«administrateur général» d’un service de renseignements, à un ministre, à un député, à un responsable ou à un quelconque gestionnaire du pays de jouer les héros. Ce serait déplacé. Incongru. Absurde. À moins, bien sûr, que ce Libanais n’ait déjà donné – à ses dirigeants, mais où va le monde... – l’exemple, en (se) sacrifiant pour son pays, héros malgré lui, héros d’une heure, d’un jour, de quinze ou de vingt-cinq ans. Bien sûr... Ce que par contre ce Libanais peut exiger, en toute légitimité et indiscutablement, c’est que ceux d’entre ces hommes qu’il a plébiscités à l’échelle nationale ou dont il a applaudi l’arrivée – ils sont trois – se comportent en leaders. Nationaux. Qu’ils soient à la hauteur de ce formidable capital-espoir dont ils ont été crédités par un peuple certes prompt aux débordements en tout genre, mais depuis quelques années bien résigné. De cette sacrée bouffée d’espérance dont ils auraient dû être les garants. Qu’entre ce Libanais et ce leader, entre les aspirations, les besoins du premier et les terribles – aujourd’hui criminelles – absences des seconds, il n’y ait pas ces abîmes. Absence de courage, de témérité, absence de responsabilité, absence de conséquence, absence de vision, de prévision, absence de dignité, d’honneur, absence d’héroïsme, absence de cette indispensable hormone, celle qui permet de dire stop, celle qui ouvre grandes, béantes les portes de l’histoire. Absence donc de l’esprit, de la constitution physique de leader. National. Ce que ce Libanais veut – plus impératif encore : ce dont le Liban a besoin –, c’est d’une ambassade syrienne à Beyrouth, d’une autre, libanaise, à Damas. Plus concrètement : une application de Taëf, un redéploiement et un départ de tous les agents de renseignements. D’abord. Et avant toute chose. Bien sûr qu’il faut calmer le jeu, éviter de foncer tout droit dans des pièges tellement grossiers qu’un enfant de quatre ans atteint de glaucome les verrait; bien sûr qu’il faut un dialogue serein. Constructif. Entre tous ces petits Liban dont on veut se débarrasser en les refilant, papier-cadeau-bannière-étoilée par-dessus le tout, à l’obéissante mais fantasque sœur, qui n’en espérait pas tant. Mais tout cela, après. Après la souveraineté, après l’indépendance, après la libre décision, après la restructuration complète de la pléthore sale de services de renseignements, après l’établissement de relations, privilégiées si l’on insiste pour les nommer ainsi, mais qui ne peuvent qu’être identiques, point par point, à celles qui régissent, ou qui devraient régir celles entre les membres d’une Ligue arabe qui aurait tout à gagner à ressembler à l’Union européenne. Voilà ce à quoi ce Libanais et le Liban invitent, en premier lieu, leurs dirigeants, notamment aux trois premiers d’entre eux. Ensuite, et seulement ensuite, les Libanais décideront, en famille, de ce qu’ils devraient faire pour commencer à rebâtir un pays, un État, leur nation. Ensuite, ils pourront parler déconfessionnalisation politique, (con)fédération. Ou ce que bon leur semblera. Ensuite, ils commenceront à régler les problèmes intra-chrétiens, intra-musulmans, les problèmes inter-communautaires. Ensuite, ils pourront suicider les vieux démons, les flash-backs, les hantises, remplacer des complexes par une sérénité, une fierté, virer à tout jamais ces impensables images de couteaux de boucher, de hachettes, de machettes... Ensuite ils se rendront compte combien les accusations de «sale collabo» sont obsolètes. Démesurées. Une question de priorités. D’échelle (de valeurs). Émile Lahoud, Nabih Berry et Rafic Hariri : rien ne les empêche de devenir des leaders nationaux, de rejoindre l’histoire. Qu’ils se le disent. Ou qu’ils le fassent ensemble, ça pourrait leur donner du courage. Tout comme le fait de se dire que c’est la seule issue. Tous les grincheux, tous les résignés, tous les analystes, les grands penseurs, les ceux qui ne veulent plus jamais vivre ce qu’ils ont déjà vécu, les etc, souriront doucement, se moqueront : personne, ni Émile Lahoud, ni Nabih Berry, ni Rafic Hariri, n’hypothéquerait une carrière, des privilèges, une vie même pour entrer dans l’histoire. Personne n’est irremplaçable : s’ils parlaient, ils sauteraient et d’autres les remplaceront. Personne ne peut contrecarrer des décisions américaines, européennes, asiatiques, planétaires, conjoncturelles, etc. Eh bien, attendons alors. Attendons et prions. Un miracle, une conjoncture, un Godot, un Zorro, la pluie. Quelles foutaises. Ils devraient pourtant être ceux-là, le but, l’ambition d’un chef d’État, d’un président de Chambre ou de Conseil : travailler, ensemble, pour un pays, pour leurs concitoyens, s’installer dans l’histoire. En avoir. Et le montrer.
Aucun Libanais ne penserait demander un jour au chef de l’État, au président de la Chambre, au chef du gouvernement, à l’«administrateur général» d’un service de renseignements, à un ministre, à un député, à un responsable ou à un quelconque gestionnaire du pays de jouer les héros. Ce serait déplacé. Incongru. Absurde. À moins, bien sûr, que ce Libanais n’ait...