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Actualités - REPORTAGES

RECONSTRUCTION - Le centre-ville dix ans après - Un gigantesque chantier qui entretient la polémique

«La reconstruction du centre-ville, bilan après dix ans». Un sujet important non seulement à cause de la taille du chantier (4 700 000 m2 à construire) et de la fabuleuse entreprise archéologique qui a déroulé les vestiges de dix-sept civilisations imbriquées les unes dans les autres ; mais aussi en raison de «l’originalité de la formule» adoptée pour sa réalisation. Au centre culturel Ninar, rue Arz, Simon Moussalli architecte-urbaniste ancien consultant auprès de Solidere, a passé en revue quelques aspects de l’opération immobilière. Tout d’abord, M. Moussalli a rappelé que, dans cette opération «d’intérêt national», l’État libanais a utilisé ses pouvoirs légaux pour permettre à Solidere de s’approprier tout le territoire du centre-ville et de réaliser le plan de reconstruction approuvé par décret présidentiel. La reconstruction par «initiatives individuelles» était une option impossible. Elle impliquait les «initiatives non coordonnées» de 120 000 propriétaires, locataires et autres ayants-droit. De même, après dix-sept ans de guerre, l’État n’avait pas les moyens financiers de résoudre les problèmes des réfugiés et d’entreprendre les travaux d’infrastructures. «La réalisation du plan de reconstruction exigeait une expropriation totale de la zone. Le coût estimé de 1 milliard 200 millions de dollars dépassait les moyens d’un État ruiné par la guerre», a dit le conférencier. Le gouvernement opte alors pour «une stratégie de rénovation volontariste, concertée et obligatoire, par l’intervention d’une société privée où tous les ayants-droit seraient actionnaires». Le revers de la médaille Solidere va réaliser tous les travaux d’infrastructures ; le traitement du remblai ; la construction de la digue maritime ou ce qu’on appelle la corniche du bord de mer ; la rénovation et le développement de quelque un million de m2 de plancher (sur les 4 700 000 m2). Mais toute médaille a son revers. Le consultant de Solidere souligne «la non-participation citoyenne» à la réalisation du projet ; «l’antagonisme public contre la puissance d’un État dans l’État» ; le besoin constant d’un «appui politique pour soutenir l’action de la société foncière». De même, les ayants-droit, porteurs d’actions à valeur aléatoire, se retrouvent «engagés dans une entreprise à caractère incertain». L’action Solidere, cotée en Bourse, a perdu en sept années 40 % de sa valeur initiale. S’interrogeant sur l’avenir d’un centre d’affaires international dans un contexte régional et mondial en pleine mutation, M. Moussalli révèle que «jusqu’à ce jour, nous n’avons pas connaissance d’investissements internationaux». Sur le chapitre de la densité d’occupation du sol qui maintient l’ancien coefficient d’exploitation (de 5), le conférencier indique qu’«avant 75, la densité du centre-ville était la cause directe de sa dégradation. Va-t-on refaire les mêmes erreurs ?» L’architecte pose la question sans apporter de réponse. Côté espaces verts et jardins publics qui occupent une place privilégiée dans les prévisions du plan, sept hectares de la superficie du remblai sont consacrés à un parc public aménagé en lieu de promenade et d’activités de loisirs. «Mais dans la logique de profit des actionnaires, Solidere peut-elle se permettre d’utiliser des espaces à des fins non lucratives ?», demande M. Moussalli. Il poursuit : «Si elle ne devait pas en tirer profit, la société foncière aurait-elle accepté de réaliser les prévisions paysagères du plan et perdre ainsi des terrains à construire ?». Des questions qui restent sans réponses. Par ailleurs, le plan d’aménagement ne prévoit pas d’emplacements réservés aux activités sociales ou culturelles. Dans le cas d’une demande, la société foncière construira le bâtiment mais aux frais du client, sans prendre le risque d’une rentabilité économique discutable. «Une approche saine dans la logique de profit d’une société immobilière», explique l’architecte. Pour aussitôt enchaîner : «Mais comment perpétuer la tradition de mémoire collective et concevoir le centre de Beyrouth sans ses activités socioculturelles, qui s’adressent à toute la population, sans considération de classe ou de pouvoir d’achat ? Si ces activités devaient exister sous forme d’entreprises privées à but lucratif, seraient-elles alors à la portée de toutes les classes de la société ?». Mixité ou ségrégation ? Chapitre habitat, l’architecte-urbaniste Moussalli insiste sur les règlements de l’urbanisme, approuvés officiellement. Ils énoncent clairement que certains secteurs du plan de zoning ont un caractère résidentiel. C’est le cas, en particulier, des quartiers de Saïfi et de Wadi Abou Jmil, autrefois zones résidentielles mixtes et animées. La société foncière indique pour sa part que 200 000 m2 de plancher (sur un total de 4 690 000 m2) seront à usage résidentiel. Ils représentent 40 % de tout ce qui sera construit. Ce à quoi M. Moussalli répond : «Mais sans obligation contractuelle de réalisation, pour garder une flexibilité d’adaptation aux demandes d’un marché immobilier incertain». Selon lui toujours, il n’y a pas eu de demande «spontanée» de la part des promoteurs pour l’acquisition de parcelles à usage résidentiel. Quant aux immeubles restaurés, «ils attendent d’être occupés». Le m2 de terrain étant en moyenne à 5 000 dollars, les prix de vente ou de location se situeront dans la «fourchette supérieure» des appartements de grand luxe. Dans ce contexte, il est difficile de prédire la réalisation des objectifs de «continuité» (tradition d’habitat dans le centre) et de «mixité» (classes socio-économiques). Au contraire, «ce serait plutôt la ségrégation urbaine qui sera réalisée», déclare le conférencier. M. Simon Moussalli conclut en citant Edgar Pisani qui aurait dit, au cours d’une conférence sur la reconstruction du centre-ville, tenue à l’Ima, à Paris, en 1993 : «Il est des choses que nulle part on ne peut confier à l’entreprise privée. Dans certains cas, il ne revient pas à cette dernière de définir. Dans d’autres cas, il ne lui revient pas de faire. Cette initiative revient à la puissance publique. Qu’on ne se laisse pas prendre à la frénésie du marché. Il est le moteur ; il n’est pas le volant».
«La reconstruction du centre-ville, bilan après dix ans». Un sujet important non seulement à cause de la taille du chantier (4 700 000 m2 à construire) et de la fabuleuse entreprise archéologique qui a déroulé les vestiges de dix-sept civilisations imbriquées les unes dans les autres ; mais aussi en raison de «l’originalité de la formule» adoptée pour sa réalisation. ...