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Actualités - BIOGRAPHIES

PORTRAIT - Présidente de la commission de l’Éducation et ambassadrice de l’Unesco, elle aspire à une scolarisation pour tous - Bahia Hariri, une femme habitée d’un rêve…

«La vraie bataille est celle de l’éducation et du savoir». Par cette phrase longuement réfléchie, Bahia Hariri résume une existence vouée à la lutte pour un avenir meilleur. Le sien d’abord, lorsqu’elle n’était qu’une adolescente sérieuse et déterminée, issue d’un milieu modeste mais riche de foi et celui des autres ensuite, à travers, notamment, la Fondation Hariri et la présidence de la commission parlementaire de l’Éducation. Nommée ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco pour le développement de la femme arabe, elle prend à cœur sa mission et son esprit, qui ne semble jamais se reposer, est à la recherche de mille projets pour aider toutes ces femmes qui, à ses yeux, ont moins de chance qu’elle. La chance ne semble pourtant pas l’élément déterminant de sa vie, marquée plutôt par le labeur, l’opiniâtreté et le courage. Mais Bahia Hariri ne voit pas les choses de cette manière. Cette femme que l’on pourrait croire austère, voire distante, dégage une grande sérénité et sa vie riche en combats ne semble susciter en elle aucune amertume, ni regret. Calme et souriante, elle ne s’enflamme que lorsqu’on s’en prend à son frère Rafic ou lorsqu’on met en doute son travail en faveur d’une éducation accessible à tous. Benjamine des trois enfants Hariri, Bahia a grandi dans une famille modeste qui ne possédait d’autres biens que le culte de certaines valeurs : la volonté d’apprendre, le sens de la solidarité, la fidélité et le rejet du mensonge. C’est pourquoi, à l’école publique où elle faisait ses études, Bahia s’est très vite démarquée de ses camarades par son sérieux et son application. Très proche de ses deux frères, Rafic et Chafic, et de ses parents, elle suivait le chemin tracé par les traditions, avec un souci, se trouver un emploi stable capable de lui assurer une vie décente et une certaine indépendance. C’est surtout sa mère qui l’encourageait dans cette voie, même après son mariage avec un lointain cousin, ami de ses frères, Mustafa. Le projet avorté de Kfarfalous Bahia entre à l’école normale et obtient une formation d’éducatrice, un domaine qui ne cessera jamais de la passionner. De cette période, Bahia Hariri garde un souvenir heureux : elle aimait son travail, ses amis, vivait avec ses parents qu’elle a choyés jusqu’au bout et avait déjà deux enfants. Elle en aura deux autres par la suite. Entre-temps, Rafic, qui était rapidement devenu le leader de la famille, a fait fortune en Arabie séoudite et souhaitait de plus en plus faire profiter les autres de ses richesses. Il confie à sa sœur le soin d’aider les jeunes de la famille. Ce sont les débuts de la Fondation Hariri qui prendra ensuite en charge les frais universitaires de 35 000 étudiants. En 1979, Bahia démissionne du ministère de l’Éducation et se consacre entièrement aux projets de son frère. La Fondation, certes, mais aussi le gigantesque complexe de Kfarfalous, une cité du savoir construite sur un terrain acheté à Nicolas Salem, destinée à devenir un phare universitaire scientifique et professionnel dans la région. Évoquer ce projet ravive chez Mme Hariri une plaie qui ne s’est jamais vraiment cicatrisée. De 1979 à 1982, elle supervise la construction du complexe et recrute 1 500 employés qui travailleront notamment dans l’hôpital universitaire de 350 lits. En dépit de l’invasion israélienne, la cité est officiellement inaugurée en 1982, mais elle ne fonctionnera que pendant trois ans, faisant l’objet d’un terrible saccage en 1985, au moment des combats qui ont précédé l’exode des chrétiens des villages de l’est de Saïda. Toute cette période a été particulièrement dure pour Bahia, qui avait la responsabilité du projet ainsi que celle de sa famille et des enfants de son frère Rafic nés d’un premier mariage. 1982 avait en effet provoqué un renversement de situation dans la région et les escarmouches entre les milices chrétiennes et l’armée de Saad Haddad d’une part et les Palestiniens et leurs alliés d’autre part se sont multipliées et l’insécurité a régné. De 1982 à 1985, Bahia habitait déjà la villa de Majdelyoun, mais elle n’est jamais rentrée chez elle après le crépuscule. En 1985, les affrontements se sont intensifiés et Mme Hariri a accueilli chez elle plusieurs familles chrétiennes pour les sauver de l’exode. Mais les miliciens les ont poursuivies jusqu’à la villa pour les contraindre à s’en aller. Les parents de Bahia ainsi que les trois fils de son frère avaient été envoyés en Arabie. Elle, par contre, s’est réfugiée à Saïda, pour rester proche des gens. D’ailleurs, cette dame qui avait désormais les moyens de vivre sous des cieux plus cléments a toujours refusé de quitter le Liban et particulièrement la ville de Saïda. Le complexe de Kfarfalous détruit (elle dit aujourd’hui qu’il était sans doute prématuré), elle s’est lancée dans la distribution d’aides aux habitants de la ville et de ses environs, sous le grand thème de la solidarité. L’école du complexe ayant fermé ses portes, elle a loué un bâtiment à Saïda et l’année scolaire a pu être sauvée. Le calme revenu, Bahia est rentrée chez elle ainsi que ses parents avec lesquels elle a vécu jusqu’à leur mort. «Mes parents sont morts à un âge avancé et j’ai beaucoup appris de cette cohabitation. Mes enfants ont eu la chance de pouvoir grandir dans un milieu chaleureux avec la famille élargie, saluant tous les matins leurs grand-parents et voyant régulièrement leurs cousins. Le sens de la famille est très important chez nous». La famille avant tout On la croit facilement, tant la famille semble importante dans sa vie. D’abord ses parents, puis ses frères et évidemment ses neveux, sans compter bien sûr ses propres enfants. L’immense demeure de Majdelyoun, où chacun possède une aile, symbolise d’ailleurs cette appartenance à un clan très soudé. «Bien sûr, le prix à payer, c’est le manque d’intimité, mais il y a tant d’autres satisfactions», commente Mme Hariri, qui relève en passant que 70 employés vivent avec elle dans la villa. Aider son pays et y investir étant devenu l’objectif de Rafic, les projets se sont multipliés et c’est toujours Bahia qui a été chargée de l’aspect humain et du contact avec les gens. La fondation n’a cessé de prendre de l’ampleur et son champ d’action s’est élargi. En 1992, Rafic Hariri se lance ouvertement dans la politique et demande à sa sœur de se présenter aux élections législatives. Bien que n’étant pas rompue à ce genre d’exercice, elle relève le défi et la voilà élue au Parlement. Dès lors, elle est très exposée et tous ceux qui en veulent à son frère s’en prennent à elle, l’attaquant souvent sur sa qualité de femme. Mais, à son habitude, Bahia fait front, défendant avec une fidélité jamais démentie Rafic Hariri et son projet et évitant de répondre aux attaques personnelles. Que pense-t-elle aujourd’hui des campagnes menées contre elle ? Dans son salon privé, une sorte de boudoir à l’ancienne (avec tout le confort nécessaire), où tout, du narguilé qui fume doucement à la partie de scrabble en attente, porte à la détente, Bahia réfléchit longuement. «J’ai sans doute assumé de lourdes responsabilités, mais je ne regrette rien. J’ai parfois eu des moments de découragement, de tristesse, mais je n’ai jamais connu le désespoir». Dans ces périodes, elle se souvient aussi de cette phrase que lui répétait sa mère, une femme pleine de bon sens : »Tant que vous travaillez dans le privé, les gens vous sont redevables, mais si vous entrez dans le public, tout ce que vous faites est considéré comme un dû». Aujourd’hui, Bahia affirme qu’elle n’a jamais senti de l’ingratitude chez les gens, mais elle reconnaît que c’est difficile de créer un enracinement. «Les gens croient que nous pouvons tout faire, ils ne comprennent pas qu’on leur refuse une demande». Petit à petit, elle a réussi à imposer son style, celui de la franchise et de la persévérance. «Je ne travaille pas dans la perspective d’une saison ou d’une échéance. Mon objectif : rendre l’éducation accessible à tous, car je suis convaincue que la vraie bataille est celle du savoir, la principale ressource du Liban étant ses fils». Foi dans la francophonie Pourquoi, dans ce cas, a-t-elle décidé de ne pas se présenter aux législatives de 2005 ? Pour laisser la place à son neveu ? “Cela fera 26 ans que je travaille dans la chose publique. J’appartiens à un groupe qui a un chef, Rafic Hariri. L’essentiel est que notre projet demeure après nous et je me dois d’assurer la relève». N’est-elle pas gênée de contaster que souvent les gens ne voient en eux qu’une source d’enrichissement ? «C’est vrai que la relation est parfois très matérielle. Surtout quand ceux qui sont avec nous sont considérés comme des profiteurs. Heureusement, cela va mieux aujourd’hui et de plus en plus de gens savent que nous avons un projet». Bahia affirme que même hors du Parlement, elle continuera à travailler dans le domaine public. Elle perçoit sa nomination d’ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco pour le développement de la femme arabe comme le couronnement de ses efforts et elle en est, à juste titre, très fière d’autant que ces ambassadeurs ne sont que trente dans le monde, dont, avec elle, trois seulement au Proche-Orient. Il faudrait un journal entier pour exposer ses projets, notamment dans le domaine de la francophonie à laquelle elle croit passionnément, tout en déplorant la tendance générale vers la facilité, qui pousse beaucoup à adopter l’anglais. Au fil de la conversation, cette femme qui paraît froide se laisse aller aux confidences. «Je me sens habitée d’un rêve», dit-elle et prête à tous les combats pour le concrétiser. D’où tire-t-elle sa force ? «De ma famille, bien sûr, de la confiance des gens et de ma sérénité intérieure. Le soir, quand je fais mon bilan, je pense encore aux bénédictions de ma mère et j’essaie de les mériter».
«La vraie bataille est celle de l’éducation et du savoir». Par cette phrase longuement réfléchie, Bahia Hariri résume une existence vouée à la lutte pour un avenir meilleur. Le sien d’abord, lorsqu’elle n’était qu’une adolescente sérieuse et déterminée, issue d’un milieu modeste mais riche de foi et celui des autres ensuite, à travers, notamment, la Fondation...