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Le christianisme et la Commune
Par FAURE ELIE, le 29 mars 2001 à 00h00
L’esprit sémitique, au déclin du vieux monde, tenta de conquérir l’Europe par les apôtres du Christ, comme il allait s’emparer de l’Asie occidentale et de l’Afrique par les cavaliers de l’islam. Mais la religion de Mahomet restait près de ses sources, le désert, le ciel nu, la vie immobile. Elle pouvait facilement garder sa forme originelle et spiritualiser jusqu’à son expression plastique. L’Europe offrait à l’idée juive un cadre moins bien fait pour elle. Le contact des terres cultivées, des bois, des eaux courantes, des nuages, de la forme mobile et vivante, devait imposer à la religion de saint Paul une forme sensuelle et concrète qui la détourna peu à peu de son sens primitif pour replacer dans la voie de leur destinée naturelle les peuples de l’Occident. L’empreinte, il est vrai, était prise. Malgré le dualisme décevant qu’il fit entrer en elles avec la force de pénétration de sa foi désintéressée, l’apostolat juif peupla la solitude intérieure des masses oubliées par les civilisations disparues. Son impitoyable aspiration vers la justice y fortifia l’instinct social. Et c’est grâce à lui que l’esprit grec et l’esprit sémitique effectuèrent lentement dans le creuset occidental un accord pressenti par Eschyle et désiré par Jésus. S’il était resté tel que le voulait saint Paul et que le définissaient les pères de l’Église, le christianisme eût dû renier les interprétations plastiques des idées qu’il apportait. Mais comme il voulait vivre, il obéit à la loi qui nous force à donner à nos émotions la forme de nos visions. À Rome, alors qu’il tâtonnait dans l’ombre, essayant d’arracher sa doctrine à l’amas confus des vieux mythes, des figures gravées ou peintes apparaissaient dès le premier siècle aux murs des catacombes. Elles annonçaient sans doute de nouveaux dieux, mais leur forme restait païenne, grecque même le plus souvent. Car c’est l’esclave oriental qui propageait la religion de Galilée à Rome. Devenu gauche entre les mains des pauvres gens, l’art qui bâtit au-dessus du pavé des thermes et des amphithéâtres et couvre les villas de fresques et les jardins de statues, hésité au fond des ténèbres. L’âme populaire ne se taira que le jour où le christianisme officiel sortira de terre pour s’emparer des basiliques romaines et les décorer d’emblèmes pompeux. Il lui faudra dix siècles de recueillement pour trouver son expression réelle et imposer aux hautes classes la revanche de la vie profonde et de l’espoir libéré. L’organisation de la théocratie nouvelle, les invasions répétées des barbares, la faim, la torpeur, la misère affreuse du monde entre la chute de l’empire et le temps des Croisades ne permirent à aucun des peuples de l’Europe occidentale de prendre racine sur son sol. En revanche, bien que chaque marée humaine emportât les villes nouvelles construites sur les ruines neuves, les tribus descendues du Nord subissaient peu à peu la domination antique offraient à l’idée chrétienne le cadre imposant. Par-dessus le malheur des peuples, une alliance instinctive rapproche les chefs militaires ralliés à la lettre du christianisme organisé, du haut clergé dont l’esprit, à se frotter contre eux, devint de plus en plus rude. Quand Grégoire le Grand, quelques années après Justinien, ordonne de détruire ce qui reste des vieilles bibliothèques et des temples des anciens dieux, il consacre l’accord de Rome et des barbares. L’âme antique est bien morte. Les monarchies orientales recueillent ses derniers échos, les couvents remuent sa poussière. Les communautés religieuses étaient restées jusqu’aux Croisades les seuls îlots clairs dans l’Europe obscure. Un luxe d’élite cloîtrée, une civilisation de serre représentaient soixante siècles d’efforts, de sensibilité, de réalisations vivantes. Thèbes, Memphis, Babylone, Athènes, Rome, Alexandrie tenaient entre les quatre murs d’un monastère, en de vieux manuscrits feuilletés par des hommes durs qui opposaient le contrepoids indispensable de la Règle aux impulsions épouvantables d’un monde retombé à l’état primitif. Mais c’est autour de ces murs, dans les vallées écartées, hors des grandes routes du massacre, que se groupait çà et là le peuple des campagnes pour y façonner l’avenir. Le Nord des Gaules, aux temps mérovingiens, dans le chaos des mœurs, des races, des langues, qui s’agitait sur les villes incendiées et les moissons détruites, n’eut pas d’autres centres d’action. Dans le Midi, au contraire, la tradition vivait encore profondément. Les aqueducs, les arènes, les thermes, les temples étaient debout au milieu des campagnes que les bois d’oliviers argentent. Les amphithéâtres ouvraient encore dans la lumière leur courbe pure. Les sarcophages sculptés bordaient toujours les voies ombragées de platanes que l’hiver blanchit en les dépouillant de leurs feuilles et qui restent blancs sous la poussière de l’été. Sur la terre brûlée de la France méridionale qui s’inscrit sur le ciel par les lignes sûres qu’on retrouve au bord des golfes grecs, l’art gallo-romain unissait naturellement au positivisme de Rome l’élégance hellénique et la verdeur gauloise. À peine s’il déclinait quand passèrent les Arabes que ce sol ardent adopta. Rien ne put arrêter sa fièvre. L’Asie nomade mêla son sang à la Gaule gréco-latine dans la violence du soleil. Ce fut un monde étrange, cruel et pervers, mais de vie intense, égalitaire, irrépressible, plus libre et plus profond quand la dissociation de l’empire de Charlemagne l’eut séparé du Nord qui commençait à se débattre entre les Francs et les Normands. Élie Faure : «Histoire de l’art».
L’esprit sémitique, au déclin du vieux monde, tenta de conquérir l’Europe par les apôtres du Christ, comme il allait s’emparer de l’Asie occidentale et de l’Afrique par les cavaliers de l’islam. Mais la religion de Mahomet restait près de ses sources, le désert, le ciel nu, la vie immobile. Elle pouvait facilement garder sa forme originelle et spiritualiser jusqu’à son...
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