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Actualités - BIOGRAPHIES

PORTRAIT - Le ministre « a détourné la francophonie au service de la culture » - Ghassan Salamé, un perfectionniste qui craint l’ennui et déteste le travail mal fait

«Dans la vie, il y a ceux qui veulent être quelque chose et ceux qui veulent faire quelque chose». Le ministre Ghassan Salamé reprend à son compte cette phrase de Churchill en espérant faire partie de la seconde catégorie. Il s’y emploie ferme d’ailleurs, d’abord en tant que professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et ensuite en tant que ministre de la Culture, chargé de la préparation du sommet de la francophonie. Du professeur, Ghassan Salamé a la clarté dans l’exposé et la facilité à trouver ses mots. De l’observateur qu’il a longtemps été à travers plus d’une centaine de publications dans les plus importants médias internationaux, il a ce détachement rare qui lui permet de garder la tête froide et de parvenir, en replaçant les événements dans leur contexte général, à trouver des explications à défaut des solutions. De l’homme de théâtre qu’il était à l’origine, il a cette voix qui porte loin et le sens de la pose et enfin du grec-catholique de Kfarzebiane (Kesrouan), il a… quoi au fond ? Ah oui, ce sentiment si commun chez les minorités de vouloir compenser par le labeur le fait de ne pas appartenir à la majorité. C’est d’ailleurs dans cette situation de minoritaire qu’il faudrait peut-être chercher la raison de l’extraordinaire capacité de travail de M. Salamé. Ses collaborateurs en sont d’ailleurs souvent les premières victimes. «J’aime le travail bien fait», explique simplement le ministre, «qu’il s’agisse de cours universitaires ou de préparation de projets de loi», avant de lancer avec nonchalance «samedi à 23h30, mon bureau était encore allumé». Salamé tenait en effet absolument à achever au plus tôt les trois projets de loi structurant le ministère de la Culture afin de les remettre à son collègue chargé du développement administratif, avant leur examen en Conseil des ministres. Pour lui, il s’agit absolument de doter le ministère d’une législation ultra-moderne, d’autant que jusqu’à présent, aucune loi ne régit l’activité du ministère. Ensuite, Salamé compte s’occuper de la Direction générale des antiquités, où il n’y a pas un seul archéologue, de la propriété artistique et culturelle et du repositionnement culturel du Liban, en multipliant la signature d’accords avec divers pays. «Mon véritable chantier, c’est le ministère de la Culture», confie Salamé, qui ajoute malicieusement : «J’ai d’ailleurs détourné la francophonie au service de la culture, en privilégiant les activités culturelles à l’occasion du sommet». Il vient aussi d’obtenir que les équipements utilisés pendant le sommet de la francophonie soient ensuite recyclés dans son ministère. Pourquoi travaille-t-il autant ? «Ma grande ambition est qu’à la formation du prochain gouvernement, les candidats se battent pour le portefeuille de la Culture». Un portefeuille pour l’instant secondaire «sinon, on ne me l’aurait pas confié». Car, depuis Taëf, les ministres appartenant «aux petites confessions» n’ont pas accès aux «grands portefeuilles». Comment a-t-il atterri dans ce gouvernement ? Les histoires les plus fantaisistes circulent sur son compte. Certains racontent qu’il serait très lié aux Français et que c’est le président Chirac lui-même qui aurait demandé que la préparation du sommet de la francophonie lui soit confiée. D’autres affirment mordicus qu’il serait très lié à l’ambassadeur de Syrie en France et même au brigadier Ghazi Kanaan. Ghassan Salamé se contente de sourire. «J’ai déjà entendu toutes ces histoires. La vérité est malheureusement bien plus simple. C’est le président du Conseil qui a proposé mon nom et le chef de l’État a accueilli favorablement l’idée. Certes, j’ai de bonnes relations avec l’ambassadeur de Syrie en France ainsi qu’avec l’ensemble du corps diplomatique arabe à Paris. L’Institut d’études politiques dans lequel j’enseignais produit fréquemment des ministres. C’est pourquoi, il suffit d’aviser le directeur pour se faire remplacer. Personnellement, je comptais de toute façon prendre six mois sabbatiques pour aller enseigner aux Etats-Unis. Ma nomination n’a fait que hâter mon départ». Selon lui, M. Hariri aurait commencé à penser à lui en 1996, lors de l’agression israélienne, puisque c’est Salamé qui avait suggéré la formule de l’arrangement d’avril. Hoss aussi avait pensé à lui en 1998, mais pour des raisons familiales (il voulait rester en France avec ses deux filles), il a refusé le portefeuille qu’on lui proposait. En 2000, il n’avait aucune raison de refuser. Au contraire il sentait qu’il était temps pour lui de servir autrement son pays et de passer de l’autre côté du miroir. On lui confie donc le ministère de la Culture et quelques semaines plus tard, il est chargé de la préparation du sommet de la francophonie. «Ce n’est ni Chirac ni qui que ce soit d’autre qui en a fait la demande. Il s’agissait simplement de distribuer l’héritage de Michel Murr qui était à la tête de la commission pour la francophonie et de bien d’autres commissions d’ailleurs…». Qu’a-t-il ressenti lorsque le conseil de sa communauté a jugé que les grecs-catholiques n’étaient pas suffisamment représentés au gouvernement ? Salamé sourit de nouveau. «Je n’étais pas au Liban à ce moment-là. Mais de toute façon, étant très croyant, je n’ai aucun sentiment confessionnel». Le ministre multiplie les phrases de ce genre qui donnent à réfléchir mais il les lance simplement comme s’il parlait du temps. Chez lui, rien ne semble superficiel ou banal. Ni son parcours de prof de théâtre à l’UL qui devient rapidement une référence sur le Moyen-Orient dans l’institut le plus prestigieux de France, ni son impressionnant carnet d’adresses, ni le sérieux avec lequel il travaille. S’il a des doutes, il ne les montre pas, et il ne voit aucune contradiction dans ses origines kesrouanaises et le sentiment de son appartenance au monde arabe. «Ce sont d’ailleurs les Arabes qui m’ont ramené à mon pays», lance-t-il avec humour. En 1989, son ami Lakhdar Ibrahimi lui avait demandé d’aider la commission tripartite arabe dans la préparation de l’accord de Taëf. Ghassan Salamé s’est alors replongé dans la politique libanaise, mais, selon lui, il est encore parfois perçu comme un intellectuel arabe vivant au Liban. D’ailleurs, il aime bien garder ce détachement d’observateur, qui lui permet de rester au-dessus de la mêlée. «Je ne cultive pas la différence par rapport à mes collègues, précise-t-il, mais je ne cherche pas non plus l’uniformisation». Sa carrière universitaire a été riche et Salamé espère que celle de ministre le sera tout autant. Lorsqu’elle ne le sera plus, il trouvera un autre métier pour servir ses idées et son pays. Ghassan Salamé craint plus que tout l’ennui et déteste le travail mal fait. C’est un perfectionniste qui souhaite que l’on se souvienne avant tout de ses actes.
«Dans la vie, il y a ceux qui veulent être quelque chose et ceux qui veulent faire quelque chose». Le ministre Ghassan Salamé reprend à son compte cette phrase de Churchill en espérant faire partie de la seconde catégorie. Il s’y emploie ferme d’ailleurs, d’abord en tant que professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et ensuite en tant que ministre de la...