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Actualités - REPORTAGES

DÉTENUS - Quel soutien aux anciens prisonniers des geôles syriennes ? - Libérés, ils font face au chômage et à la cherté de la vie

Respirer l’air frais, s’asseoir au soleil, circuler librement... Des plaisirs simples, que tous les prisonniers libérés de leurs geôles peuvent réapprendre et dompter à nouveau. Ils sont un peu plus d’une centaine à avoir été libérés des geôles syriennes et ils tentent tant bien que mal de survivre. Mais que faire après avoir passé 8 ans, 9 ans 10 ans, voire 14 ans, en prison ? Que faire quand aucune association n’est prête à leur assurer un soutien psychologique et social, quand ils ne parviennent pas à trouver un emploi ou même à consulter un médecin ? Tous sont pratiquement dans la même situation. Tous, probablement par pudeur, omettent de parler de leurs déboires au quotidien. Ils ont appris à leur sortie de prison que le Liban n’est plus ce qu’il était, que le pays traverse une crise économique et que le pouvoir d’achat tout comme les offres d’emploi ont considérablement baissé. C’est donc en vain qu’ils frappent à toutes les portes. Eux, qui des années durant ont été obligés de vivre dans des geôles à l’étranger, pensent à s’établir sous d’autres cieux. En fait, que faire quand toutes les portes leur sont fermées ? Ils savent qu’ils ne mèneront plus jamais la vie qu’ils ont vécue auparavant mais ils rêvent parfois d’un minimum, qui n’est pas assuré : ces hommes aimeraient bien s’occuper de leur famille, sur le plan affectif et financier. Pourtant, après leur retour, confrontés au chômage et à la cherté de vie, ils pensent qu’ils sont devenus de lourds fardeaux pour leur femme, leurs enfants et leur famille. Que faire également sans aucun soutien psychologique ? Ne faut-il pas réapprendre à vivre après avoir passé des années coupé de tout ? Déguster leur plat préféré, acheter des chaussures ou une veste neuve sans penser à l’argent qui sera dépensé… Ils considèrent pourtant que ce genre de plaisir est superflu. Ils sont incapables de payer leurs médicaments, ou encore des analyses et des suivis médicaux nécessaires à des personnes dans leur état. Ali Abou Dehn, 51ans, originaire de Hasbaya, libéré en décembre dernier, n’a pas effectué toutes les analyses médicales nécessaires. «Je ne suis pas sûr de tomber sur un médecin comme l’ophtalmologue Sami Nehmé, qui m’a ausculté gratuitement», dit-il. Ali n’a pas les moyens de se faire opérer le genou par exemple. L’ancien prisonnier garde le sourire malgré tout : «Je ne vais pas en mourir», plaisante celui qui a passé 14 ans dans une geôle syrienne. Depuis sa sortie de prison, Ali, arrêté à l’âge de 37 ans, est touché par les témoignages de sympathie des personnes qui le croisent dans la rue. «Beaucoup me reconnaissent parce que je suis passé à la télévision», dit-il en soulignant que, durant les fêtes, il a été à Marjeyoun pour s’acheter une veste. «Le propriétaire du magasin m’a reconnu et a refusé la somme due», explique-t-il. Cette veste pour Noël est bien le seul article vestimentaire qu’il a acheté depuis sa libération. Mais pour Ali, ce genre de luxe ne compte pas. C’est surtout à sa famille qu’il pense. Ali a trois enfants et trois neveux et nièces qu’il avait lui-même élevés avant d’être emprisonné. Vivre dans un frigo Pour survivre alors que son conjoint était en prison, l’épouse de Ali a vendu le camion et les magasins que son mari possédait à Dékouané. «J’ai été arrêté alors que mes filles étaient âgées de 7, 5 et 3 ans», dit-il. Il a tellement envie de rattraper le temps perdu. «L’aînée s’est mariée quand j’étais en prison, les deux autres sont toujours à l’école», explique-t-il. «Nada a 19 ans, elle est la meilleure de sa classe, elle est en terminale et elle a envie de suivre des études de médecine», raconte fièrement l’ancien prisonnier. Pourtant, il y a quelques jours, sa fille l’a informé qu’elle n’ira pas à l’université. Elle veut trouver un emploi et aider ainsi la famille. «Je veux travailler, ma famille a besoin de moi. Ce n’est ni à ma femme ni à mes filles de pourvoir aux dépenses, surtout pas aux miennes, déjà elles ont beaucoup souffert durant les 14 ans de ma détention», dit Ali indigné. «Je ne veux pas continuer à leur faire subir des déboires après ma libération», soupire-t-il. Il est même un peu amer. Pour travailler, il a frappé à toutes les portes en vain. «Et puis, j’ai 51 ans, qui va embaucher quelqu’un qui a vécu 14 ans dans un frigo ?», se demande-t-il. L’effet de frigo, c’est Fady Saïd, libéré lui aussi en décembre dernier, qui parvient à le décrire. Fady, arrêté en 1988, indique : «Quand j’ai été emprisonné, le briquet coûtait 2 livres libanaises, actuellement, il est à 500. Chez l’épicier, parfois je sens que l’on se moque de moi», dit-il. En prison, Fady a développé plusieurs problèmes de santé. Jusqu’à présent, il a mal au foie et a toujours des migraines. Dans les geôles syriennes, durant un an et demi, il a souffert de tuberculose. À sa sortie de prison, il a subi quelques analyses médicales à l’hôpital Sainte-Martine de Byblos. Comment les a-t-il payées ? «Les bonnes âmes ne manquent pas, un médecin de l’institution m’a beaucoup aidé», dit-il. Faute de moyens, Fady n’a pas effectué jusqu’à présent les tests relatifs à la tuberculose. Il ne sait pas s’il en est effectivement guéri. Comme Ali, Fady, emprisonné à l’âge de 29 ans, considère mineurs ses problèmes de santé. Car il les compare aux problèmes de la vie quotidienne. Durant son séjour en prison, il a perdu famille et maison. Actuellement, il vit avec son frère marié, qui a sept enfants, et ses deux sœurs dans une maison de Aïn el-Remmaneh. «Je dors sur le canapé du salon», dit-il. Originaire de Aïchiyé au Liban-Sud, Fady, ancien chauffeur de camion, vivait avec sa femme et ses deux enfants, un garçon et une fille âgés actuellement de 20 ans et de 15 ans, à Mrouj (Haut-Metn) dans une maison de location. Un an après le début de sa détention, son épouse a été expulsée de l’immeuble, et trois ans avant la libération de Fady, elle a demandé le divorce. Elle croyait peut-être qu’il n’allait plus jamais sortir de sa geôle syrienne. Elle travaille actuellement dans les cuisines de l’Irap. Elle loge également avec son fils dans l’école des sourds-muets. La fille de l’ancien détenu a été placée en pensionnat à Broummana, à l’école des sœurs de la Croix. «Ma femme m’a rendu visite à ma sortie de prison. Je veux tellement lui revenir, revivre en famille comme avant 1988, mais je n’ai même pas les moyens de louer une maison», raconte-t-il. Fady vit grâce à l’aide de son frère, qui a une famille à sa charge, et de ses sœurs célibataires. Il revoit ses enfants en week-end. Pour trouver un emploi, il a même été jusqu’à Zghorta en vain. Il a pensé s’établir en Arabie séoudite. «Mais j’ai déjà passé 12 ans en prison, loin de ma famille», dit-il. Fady rêve de se donner une nouvelle chance avec sa femme, ou du moins avec ses enfants, mais comment faire quand il n’a même plus un toit à leur assurer. Ali, Fady et des dizaines et de dizaines d’autres anciens prisonniers libérés des geôles syriennes ont vécu en hibernation durant de longues années. Seul l’espoir de liberté les a aidés à tenir le coup. Ils ont franchis pleins d’élan les portes de leurs geôles, mais de jour en jour leur espoir s’évanouit. Qu’avons-nous à offrir à ces exilés dans leur propre pays ?
Respirer l’air frais, s’asseoir au soleil, circuler librement... Des plaisirs simples, que tous les prisonniers libérés de leurs geôles peuvent réapprendre et dompter à nouveau. Ils sont un peu plus d’une centaine à avoir été libérés des geôles syriennes et ils tentent tant bien que mal de survivre. Mais que faire après avoir passé 8 ans, 9 ans 10 ans, voire 14 ans,...