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Actualités - CHRONOLOGIES

FRANCOPHONIE - Culture de la paix, démocratisation de la mondialisation, et diversité culturelle - Boutros-Ghali : L’impact du IXe sommet francophone se fera sentir bien après le mois d’octobre

S’il y a quelqu’un à même de parler du dialogue des cultures, thème du IXe sommet francophone qui se tiendra à Beyrouth du 27 au 29 octobre prochain, c’est bien lui. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est tout à la fois arabe, africain, et copte égyptien marié à une juive. Âgé de 76 ans, cet homme a marqué la fin du XXe siècle pour avoir été l’un des premiers à négocier la paix avec Israël alors qu’il était ministre d’État aux Affaires étrangères, et pour avoir tenu tête aux Américains quand il occupait le poste de secrétaire général des Nations unies. Impressionnant mais modeste, Boutros Boutros-Ghali, connu pour ces talents de négociateur, refuse qu’on le présente comme «un grand de ce monde». Non, loin de là. «On laissera aux historiens le soin de se charger de cette affaire», dit-il. Et quand on essaie de le ramener en arrière en évoquant les événements qui ont marqué l’histoire du Moyen-Orient et auxquels il a pris part, il se présente avant tout comme un professeur d’université qui a donné des cours aux étudiants du monde entier «durant trente ans», souligne-t-il. Les divers postes qu’il a occupés ? Il estime que tout au long de sa vie, il a fait un seul métier : «négociateur». Une tâche qu’il compare au mythe de Sisyphe. «Il ne faut jamais baisser les bras, et il faut souvent repartir à zéro sans pour autant perdre courage», explique-t-il. Au cours de son séjour à Beyrouth, M. Boutros-Ghali a accordé une interview à L’Orient-Le Jour. Il estime que les conséquences du IXe sommet francophone se feront sentir bien après le mois d’octobre. Et c’est à travers les thèmes et les notions chers à l’OIF, notamment «le dialogue des cultures, la démocratisation de la mondialisation, la culture de la paix» que l’on parvient à dresser le portrait de l’un des plus importants intellectuels du monde arabe. Comment cet homme issu d’une communauté minoritaire dans son propre pays et qui a réussi à jouer un rôle important sur la scène régionale et mondiale conçoit-il le dialogue des cultures, le thème du IXe sommet francophone ? Boutros-Ghali a une capacité que peu possèdent. Celle d’avoir une vision stratégique et globale des choses. Une vision qui lui permet de penser en «valeurs universelles», de tout relativiser, et de comparer l’incomparable (pour certains). Pour lui, une langue qui meurt est semblable aux espèces en voix d’extinction comme «les tigres du Bengale». «Le dialogue des cultures est important parce qu’il fait partie de la richesse du patrimoine de l’humanité, quand une langue meurt, le patrimoine de l’humanité diminue», indique-t-il. «Défendre les cultures et les langues voici un premier but auquel on aspire en choisissant ce thème». «Le second objectif réside dans le fait que la diversité culturelle et le plurilinguisme forment des éléments qui favorisent la culture de la paix, essentielle pour résoudre les conflits internationaux», déclare-t-il. Le secrétaire général de l’OIF cite un troisième élément : «La diversité culturelle et le plurilinguisme sont aussi importants pour la démocratisation des relations internationales ou la démocratisation de la mondialisation que le multipartisme est important pour la démocratie nationale». Des services assurés en permanence aux pays membres Mais comment le principe du dialogue des cultures, de la diversité culturelle peut-il être adopté par l’OIF qui regroupe cinquante États dont certains aussi différents que le Canada et le Burkina Faso et quand l’on assiste souvent à des guerres civiles ou encore à des conflits entre des pays qui parlent la même langue ? Dans la région des Grands lacs de l’Afrique, le Rwanda et Burundi n’ont-ils pas le français en partage ? M. Boutros-Ghali, qui ne prête pas à la francophonie plus qu’elle ne peut donner, indique que «l’OIF ne peut intervenir que si les protagonistes en conflit le demandent, et s’il n’existe pas d’autres organisations sur le terrain qui traitent le conflit ; et, dans le cas où l’OIF intervient, elle doit le faire en collaboration avec les autres organisations. Dans ce cadre, la dernière opération s’est produite aux îles Comores en coopération avec l’Organisation de l’unité africaine (OUA)». Quels sont les apports de l’OIF pour le respect de la liberté, des principes de la démocratie, des droits de l’homme, principaux thèmes de la Déclaration de Bamako (novembre 2000) ? «Les élections étant à la base de toute démocratie, nous avons offert une vingtaine d’assistances électorales. Une mission qui commence avant les élections pour convaincre l’opinion publique indifférente de l’importance du scrutin. Les missions présentes sur place surveillent les élections et s’assurent de la mise en œuvre des résultats en évitant les conflits», indique M. Boutros-Ghali. Faisant observer que les élections sont insuffisantes pour la bonne marche d’une démocratie, le secrétaire général de l’OIF souligne l’importance dans ce domaine «de la liberté de la presse, et c’est pourquoi l’organisation aide une quarantaine de journaux. Elle assure une assistance également au système judiciaire, dans ce cadre des conférences et des réunions ont déjà regroupé les membres des cours constitutionnelles et des ministres de la Justice des États qui forment l’OIF ». Dans quels domaines se traduit l’autorité de la francophonie, possède-t-elle un véritable pouvoir sur le plan économique ? M. Boutros-Ghali énumère l’action (méconnue du grand public) de l’OIF dans le domaine économique ainsi que les divers organismes et activités qui y sont rattachés : un observatoire qui rassemblera des informations sur la situation économique des États membres de l’OIF sera prochainement installé à Monaco; un forum des affaires donnant l’occasion aux hommes d’affaires francophones de se rencontrer, d’échanger des informations et de conclure des accords est mis en place ; diverses sessions de formation sont organisées pour permettre aux techniciens qui participent aux grandes conférences internationales de se défendre et de présenter leurs idées. Le secrétaire général de l’OIF souligne l’importance dans le cadre économique «de deux instituts qui assurent des services permanents aux États membres de l’OIF, notamment l’Institut de technologie de Bordeaux et l’Institut de l’énergie installé à Québec». L’apport de l’Agence intergouvernementale de la francophonie, qui regroupe 800 universités de par le monde, qui s’occupe du développement économique, et qui investit dans la recherche, n’est pas à négliger. Quel rôle pour la francophonie dans la démocratisation de la mondialisation ? «La francophonie toute seule ne peut pas agir dans ce domaine ; par contre, si elle s’associe à d’autres organisations mondiales, notamment les Nations unies, ses actes pourraient modifier le cours des choses», estime M. Boutros-Ghali. Dialectique entre le clocher et le satellite Capable de tout simplifier pour parvenir à se faire comprendre, M. Boutros-Ghali donne un exemple tiré de l’aviation civile : «L’atterrissage d’un avion à l’Aéroport de Beyrouth est réglé par des organisations internationales ; il suit les mêmes instructions qu’un avion qui atterrit sur un aérodrome de New York», dit-il. «Nous sommes devant un phénomène nouveau dont l’une de ses conséquences est la diminution des compétences des États-nations, indique-t-il. Désormais beaucoup de dossiers ne peuvent plus être traités uniquement sur le plan national mais doivent être gérés et résolus à l’échelle mondiale, notamment la mafia internationale, le trafic de la drogue, la protection de l’environnement, les problèmes économiques et financiers». Et le secrétaire général de l’OIF de souligner que, «dans les domaines les plus divers, cette mondialisation ne se fait pas d’une façon démocratique, donc nous avons besoin d’essayer de la démocratiser». «L’un des moyens qui nous permettra de démocratiser la mondialisation est le respect de la diversité culturelle, concept qui découle du thème du IXe sommet francophone», ajoute-t-il. Sur le même thème, M. Boutros-Ghali avait évoqué auparavant la culture de la paix. Dans quelle mesure l’OIF pourrait-elle promouvoir ce concept ? «C’est ce que nous allons faire ici-même à Beyrouth en octobre prochain car, en réalité, le dialogue des cultures est un moyen d’encourager la paix», indique-t-il. Riche de son expérience de négociateur qui a cru, contrairement à beaucoup d’autres citoyens et habitants du Moyen-Orient, à une véritable paix entre les peuples de la zone, M. Boutros-Ghali n’a pas à crier haut et fort ses convictions. Car elles se devinent à travers les exemples qu’il choisit, dans sa façon bien à lui de présenter les choses : «Quand vous engagez le dialogue entre deux cultures différentes, vous évitez le repli identitaire qui est un phénomène nouveau». Et de poursuivre : «Le citoyen moyen par exemple installé devant sa télévision et qui regarde des images de massacres perpétrés au Burundi ou des bombe qui éclatent en Palestine, refuse que son propre monde s’occupe de ces problèmes. Il se dit : je veux me replier dans mon village, je veux revenir aux sources de ma religion». Évaluant ce phénomène, M. Boutros-Ghali souligne que «nous sommes ainsi confrontés à une dialectique entre le clocher et le satellite ; le clocher qui représente le retour au village, le repli sur soi-même, et le satellite la mondialisation et l’ouverture sur le monde extérieur». «Malheureusement nous pouvons retrouver cette dialectique dans toutes les parties du monde», dit-il, citant en exemple le phénomène Le Pen en France, l’hindouisme qui reprend de la force contre la laïcité, et le fondamentaliste musulman… «Le dialogue des cultures, c’est l’ouverture sur le monde extérieur, la reconnaissance de l’autre. C’est le fait d’engager un dialogue avec celui qui n’est pas semblable à vous», souligne-t-il. Pourquoi soulignez-vous avec une telle insistance que le IXe sommet de la francophonie, qui se tiendra en octobre à Beyrouth, sera un véritable succès ? M. Boutros-Ghali estime qu’il «existe plusieurs critères pour la réussite d’un sommet». «Les déclarations du sommet sont certes importantes mais également les contacts générés par cette rencontre. Le nombre élevé des chefs d’État qui y participent, est considéré également comme un succès», ajoute-t-il. Et de poursuivre que «le succès d’un sommet, n’est pas palpable tout de suite. Il se peut que six mois plus tard, l’on se rende compte, que grâce au sommet une importante entreprise a investi au Liban ou que le nombre des touristes a augmenté». Et M. Boutros-Ghali de comparer un sommet organisé à une pierre jetée dans l’eau : «Cette pierre fera plusieurs cercles», dit-il. «La tenue du IXe sommet francophone au Liban représente déjà une réussite parce que inévitablement, comme une pierre jetée dans l’eau, elle aura des conséquences directes et indirectes sur le pays.
S’il y a quelqu’un à même de parler du dialogue des cultures, thème du IXe sommet francophone qui se tiendra à Beyrouth du 27 au 29 octobre prochain, c’est bien lui. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est tout à la fois arabe, africain, et copte égyptien marié à une juive. Âgé de 76 ans, cet homme a marqué la...