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Actualités - CHRONOLOGIES

THÉATRE - « Aal Yamine », entre rêve et réalité triste - Appuyer là où ça fait mal

Une petite pièce de 60 minutes ciselée au couteau, juste pour ceux qui soupirent et lèvent les yeux au ciel en se demandant quand diable les artistes libanais arrêteront de remuer la vase de 15 ans de guerre. Aal Yamine de Joe Kodeih se charge donc de titiller les vieilles résistances : barrages, militaires en folie, rats, libidos, cigarettes, enlèvements, agressions sexuelles, vieux enfants, adultes infantiles, le tout dans un décor proche de l’apocalypse. Une apocalypse faite de boîtes qui ressemblent aux façades criblées de balles, dans lesquelles vivent 8 personnages, restés au Liban par la force des choses et tous un peu agités du bocal. Le grade de la grande muette Mais tristement, comme Adib le balayeur de rues (très belle interprétation de Karim Araman), qui vit avec les rats tout en jetant tous les soirs un coup d’œil à la fenêtre de Maïssa (impressionnante Yasmina Toubia) qui, ne voyant pas son mari revenir de l’église, nargue une dernière fois, au milieu de son salon, les francs-tireurs du quartier. Elle a décidé de partir pour le Canada avec ses deux enfants, Mariam et Youssef. Entre-temps Saber (rôle tenu par le prometteur Walid Abou Sarhal), le mari disparu, revient après sept ans d’absence. Il interroge le voisinage sur sa femme : en fait de voisinage, il n’y a plus qu’Em Jano (jouée par une Marwa Khalil en grande forme dramatique) et Jano, sa fille (Ayla Chahine en poupée aguicheuse). Elles savent, mais se taisent, comme tous ceux qui veulent oublier. Saber se souvient du barrage où il a été interpellé par le caprice d’un militaire sadique (Issam Bridi est parfait dans l’exaspération qu’il inspire), au faîte de sa puissance pendant ces années de déroute. Et de sa bêtise aussi. La grande muette en prend pour son grade. C’est parce que son otage refuse de répondre à ses questions et préfère prier à voix haute Marie que «Coy Boy», le chef de la section, affublé de lunettes noires et d’un chapeau de paille à larges bords (Roger Ghanem au plus près de son personnage) le punit par une sodomie. Saber restera 7 ans le cobaye de «Coy Boy» avant d’être relâché aussi absurdement qu’il avait été pris. Puis, rêve ou réalité, l’ex-otage croise sa femme, à la recherche de son fils Youssef (interprété par Karim Gharios) apeuré par les coupures d’électricité et hanté par le suicide. Le temps d’un tango, elle lui fera comprendre qu’elle l’a oublié. Entre cauchemar et espoir Saber cauchemarde, interpelle à l’aveuglette, et, ne sachant plus comment se défaire de la haine, se transforme en bourreau. Puis rencontre Jésus, lui pose les questions du barrage et Jésus, en voix off, lui répond et lui parle de la croix portée par chaque homme le long de son existence. C’est à ce moment-là que Saber est interpellé par l’espoir, incarné dans une jeune fille habillée d’une robe blanche, celle qui ouvre la pièce en chantant un refrain enfantin et qui le répète plusieurs fois après. Est-ce une fée, la propre fille de Saber, celle qui l’attendait envers et contre tout et tous, la Vierge ? C’est en tout cas sa main que saisit le héros avant de quitter la scène avec elle. Aal Yamine est une belle pièce, qui mérite d’être vue et qui ne laisse pas indifférent. Pas seulement parce qu’elle évoque un sujet qui est capable encore de réveiller ce qu’il ne faut surtout pas, selon la plupart des amnésiques de ce pays, réveiller. Joe Kodeih, blessé pendant la guerre, écœuré par le moindre uniforme armé, regarde les années de guerre bien en face. Sa pièce, écrite dans une période de reconstruction et d’espoir, suggère tout en montrant du doigt, déploie toute la folie morbide qui régnait alors, tout en l’enveloppant dans de fausses allures de comédie musicale : chorégraphies de pantins désarticulés, de danse des morts. Mais Mariam l’espoir tenant la main de Saber le patient, voilà une belle façon d’envisager l’avenir.
Une petite pièce de 60 minutes ciselée au couteau, juste pour ceux qui soupirent et lèvent les yeux au ciel en se demandant quand diable les artistes libanais arrêteront de remuer la vase de 15 ans de guerre. Aal Yamine de Joe Kodeih se charge donc de titiller les vieilles résistances : barrages, militaires en folie, rats, libidos, cigarettes, enlèvements, agressions sexuelles,...